« [Des] soirées échangistes décrites par Michel Houellebecq, aux bals musette ou aux techno partys, la fête se présente à nous comme un temps universel : elle se rencontre en tous temps, en tous lieux, traverse cultures et milieux, échauffe les dominants comme les dominés. »
Voilà le constat, relativement consensuel, duquel part l’article « Les structures élémentaires de la festivité », publié dans le dernier numéro de Philosophie magazine. En décrivant la bringue comme « […] une sorte de mariage du paradis et de l’enfer […] », l’article d’Alexandre Lacroix s’interroge sur les figures incontournables de la fête, les composantes sociales inhérentes à son déroulement.
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Pour l’auteur, le premier facteur clé est « la temporalité-trou ». Il explique que la dimension hors du temps d’une soirée, prévue ou pas, est le premier mécanisme permettant le bon déroulement de la fête. Le temps doit y être « […] brisé, discontinu, hétérogène par rapport au reste de l’existence. […] il faut cesser de se soucier de l’avenir, ne surtout pas penser au lendemain. » L’idée est d’accepter l’abandon provisoire des responsabilités, dans une certaine mesure, liées au quotidien, et d’être prêt à percevoir le temps d’une façon nouvelle.
La deuxième caution est l’ivresse, qu’elle soit provoquée par des substances légales ou pas, mais qui peut aussi provenir du chant, de la danse ou du sexe selon l’auteur. Attention cependant : « les altérations plus ou moins spectaculaires de la réalité […] » incarnent plus le médium de la fête, la façon dont elle est vécue et ressentie, que son but.
Puis vient la communication « avec un autre monde », d’origine religieuse, sociale ou spirituelle. L’auteur cite ici Nietzsche, et La Naissance de la tragédie : « Sous l’influence du sortilège dionysiaque [le vin, ndlr], ce n’est pas simplement le lien d’homme à homme qui se renoue : c’est aussi la nature qui, après lui être devenue étrangère, hostile, ou lui avoir été assujettie, fête à nouveau sa réconciliation avec son fils perdu, l’homme. »
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Le texte cite ensuite la redistribution politique, en tant que « […] fonction [sociale, ndlr] de rendre supportable la relation entre les dominants et les dominés, en l’abolissant symboliquement, en la tournant en dérision, voire en l’inversant. » L’auteur prend l’exemple de la fausse fête, comme celle d’entreprise, lugubre parce que « […] personne ne parvient à faire abstraction des rapports hiérarchiques et de l’organigramme de la société. » À partir de l’essai TAZ. Zone Autonome Temporaire, du penseur anarchiste Hakim Bey, il prend l’exemple des festivals, en tant que « soulèvement temporaire », dont la dimension non ordinaire empêche la généralisation et la mise en place au long terme de ce mode de fonctionnement.
Enfin, Alexandre Lacroix distingue une dernière composante pour une bringue de qualité, celle du ou des « roi(s) de la fête », qui vient perturber l’expérience de la fête comme « […] laboratoire égalitaire ». Ici, c’est le rôle du prêtre qui conduit la messe, ou de son équivalent (si l’on veut), du DJ en club, dont il est question. Ils sont à l’origine du basculement et occupent une place souveraine, qu’elle soit spontanée ou attendue, qui permet aux autres d’« entrer dans la transe ».
La fête occupe les esprits comme les nuits, d‘autant plus dans un contexte où, à Paris, l’offre n’a jamais été aussi forte. Cela valait bien un dossier spécial. Un toast ?