Que vaut l’exposition-événement “Electro” à la Philharmonie de Paris ?

Écrit par Lucien Rieul
Photo de couverture : ©Lucien Rieul pour toutes les photos
Le 09.04.2019, à 10h18
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©Lucien Rieul pour toutes les photos
Écrit par Lucien Rieul
Photo de couverture : ©Lucien Rieul pour toutes les photos
L’événement était attendu depuis plus d’un an. La grande exposition Electro à la Philharmonie de Paris ouvre enfin ses portes ce 9 avril. Son défi ? Montrer les musiques électroniques, leur histoire et leurs imaginaires, sans abolir l’énergie du dancefloor. Visite en avant-première à 130 BPM.

« Beaucoup d’amateurs de musique ne croient pas aux expositions sur la musique ». Le commissaire de l’exposition Electro Jean-Yves Leloup a conscience que sa tâche n’est pas aisée. Convaincre l’amateur de concerts d’entrer au musée est déjà complexe. Attirer l’habitué des expériences sensorielles hors-norme des raves  sentir son corps entier soulevé par un bass-kick, se laisser emporter des heures durant par un tourbillon de strobes  l’est d’autant plus. Qu’à cela ne tienne.

D’emblée, Electro plonge le visiteur dans cet univers nocturne et extatique. Exit les murs blancs de craie et les néons froids – la salle est plongée dans l’obscurité, les cimaises noires sont éclairées à la lampe ultraviolette, les textes brillent en vert et bleu fluo, des vidéos clignent de partout. Les fameux 11 mix de Laurent Garnier lient tout le parcours au fil de 5h30 de classiques de la techno/house, avec des incursions bass music, electronica et disco. Lorsque nous démarrons la visite, le titre éponyme de LFO nous plonge en plein Second Summer of Love. Immersion renforcée quand on se retrouve nez à nez avec un smiley d’1m50 de haut au détour d’une vitrine de flyers des premières raves britanniques.

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Chargé de la scénographie, 1024 Architecture a choisi de délaisser la progression de salle en salle et de privilégier la déambulation. « Pour rappeler le plaisir de l’errance propre aux raves qui investissent des bâtiments improbables », souligne Leloup. Plutôt qu’un découpage chronologique ou spatial, le parcours se répartir ainsi en « imaginaires » correspondant aux nombreuses facettes des musiques électroniques : la communion des corps, l’émancipation des queer, la répression des fêtes techno, le culte du vinyle, la synergie entre l’homme et la machine… Les grandes villes – Detroit, Berlin, Chicago – si souvent prises comme point de départ pour explorer ces univers, sont ici condensées dans de petites alcôves que l’on découvre en bifurquant dans les couloirs de l’exposition. Résultat : le didactisme ne plombe à aucun moment un parcours remarquablement sensoriel.

Chaque visiteur reçoit un casque audio personnel qu’il peut brancher sur les prises jack disséminées dans l’exposition, afin de visionner des clips et films, parfois diffusés au-dessus de sa tête. Une façon habile de conserver partout l’immersion dans la BO de Garnier, troublée seulement par l’installation des Daft Punk, où l’animatronique du clip « Technologic » scande en boucle un a capella du morceau : « load it, check it, quick, rewrite it, plug it, play it, burn it, rip it »… Electro trouve un bon équilibre entre des œuvres plus spectaculaires – les dizaines de milliers de LED synchronisées du CORE de 1024 Architecture, le concert 3D de Kraftwerk, les immenses photographies de la série May Day d’Andreas Gursky, où une foule de danseurs se mue en fourmilière, la TR-808 géante de Moritz Simon Geist – et les nombreuses pochettes de disque, synthétiseurs, et autre memorabilia (ici une maquette du Berghain, là une harpe laser miniature) de rigueur dans une expo musicale. Équilibre que l’on retrouve aussi chez les producteurs convoqués ; Jeff Mills et Richie Hawtin retrouvent Benga, Jacques, Molécule et DJ Lag, preuve que l’exposition s’inscrit dans le présent.

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Un certain présent, du moins, puisqu’Electro, malgré son intitulé fourre-tout, contourne soigneusement l’EDM (auquel sont pourtant rattachés les artistes les plus célèbres de la sphère « électro ») par un parti pris esthétique certain, assez « underground », qui se décèle dans les choix de la BO (pas de Skrillex, de David Guetta ou de Martin Garrix à la tracklist) comme chez les photographes exposés : la portraitiste des pionniers de Detroit Marie Staggat, le reporter des raves Lunacy Meyer, les spéléologues des nuits sulfureuses de Paris et Berlin Jacob Khrist et George Nebieridze. La grande frise chronologique à l’entrée comble à mi-mot ces omissions, mais l’on se dit qu’il aurait été judicieux de clarifier ce choix de façon plus explicite au fil de l’exposition, surtout lorsque celle-ci se targue de traiter de « la musique des machines » au sens le plus large, et que son sous-titre « De Kraftwerk à Daft Punk » mentionne d’actuels collaborateurs de The Weeknd. En tant que première grande exposition du genre en France, Electro restera sans doute dans l’histoire. Ne lui convient-il pas alors d’être aussi inclusive que les dancefloors qu’elle célèbre ?

Les plus connaisseurs regretteront peut-être de ne pas en apprendre davantage sur les artistes et les œuvres, Electro étant au final une exposition où on lit peu de texte ; les murs consacrés à la culture gay et à la répression des raves tablent ainsi principalement sur une collecte de slogans (« Dance proud, fuck safe ») et de titres de presse (le fameux « La musique techno a ses rites, ses chefs et ses croix gammées » de l’Huma). Sans doute faut-il y comprendre qu’en 2019, les musiques électroniques en sont encore au stade de « l’exposition-témoin », dont l’objectif est d’attester qu’elles ont leur place au musée, dans le grand bassin de la culture, et de les faire connaître, sans les travestir, auprès du grand public. En cela, Electro reste une réussite. Les passionnés et les néophytes en ressortiront tous deux en ayant pu palper, goûter à ces fameux « imaginaires » qui illuminent nos nuits blanches et nos rêves de machines. « La fête est finie », clame le néon de Claude Lévêque à la fin du parcours. On a plutôt l’impression qu’elle ne fait que commencer.

Electro, du 9 avril au 11 août 2019 à la Philharmonie de Paris. Plus d’informations sur le site de l’exposition.

Le musée est-il le tombeau de la club culture ? Trax Magazine s’est posé la question dans son numéro 221, disponible en kiosque et sur notre shop en ligne. Au sommaire : Piper, quand le club est devenu une oeuvre d’art ; ces créateurs qui s’emparent de la rave ; l’idylle entre Keith Haring et le Paradise Garage ; Xavier Veilhan, sculpteur de musiciens ; les coulisses de la rave pour le climat…

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