Que vaut le Pardon, l’abracadabrant nouveau bar de nuit de la rue Oberkampf ?

Écrit par Quentin Sedillo
Photo de couverture : ©D.R
Le 13.12.2018, à 15h44
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©D.R
Écrit par Quentin Sedillo
Photo de couverture : ©D.R
Pardon. Derrière ce nom se cache la nouvelle planque des fêtards et fripons du quartier, lancée par l’agence Bonjour/Bonsoir. Trax est allé s’y égarer le temps d’une nuit.

114, rue Oberkampf. Si l’adresse vous dit quelque chose, c’est que le Pardon succède au sulfureux 824 heures, ce projet éphémère piloté par le Camion Bazar qui avait réussi le petit exploit d’instiller dans une ambiance bar de quartier l’atmosphère d’une fête délurée. Dorénavant, ce sont l’équipe de Brain Magazine, chargée de la direction artistique, et Arnaud Crame, aux manettes de la programmation, qui reprennent ce flambeau multicolore. Et ce nom ? “(Pardon), c’est comme un mot d’excuse pour avoir trop fait la fête quand on arrive le matin au boulot. C’est pour s’excuser d’avoir un peu trop de goût pour le mauvais goût et de faire des blagues un peu nulles”, poétise Crame, fantasque créateur de Jeudi Java et des House of Moda.

Ce samedi soir (l’endroit est ouvert 4 soirs par semaine, du mercredi au samedi, jusqu’à 5 heures), on demande pardon lors de l’accueil pourtant chaleureux par deux vigiles, qui nous laissent entrer dans un sas sombre. Puis on demande pardon en ouvrant la seconde porte, marchant sur quelques pieds, et l’espace d’un instant, on se tait. L’endroit est bondé, les couleurs chatoient, personne ne se ressemble : des paires de Nike immaculées côtoient de la résille, des perruques ou des cheveux crépus. Une odeur de sucre flirte avec celle de la fumée, dans une surprenante harmonie.“Au Pardon je fonctionne de la même manière que pour mes autres projets : s’adresser à tout le monde en restant qui on est, en défendant ce qu’on défend”.

Ça bouge, ça chahute. On reprend nos esprits en s’avançant à gauche, vers un coin chill, constitué d’une flopée de canapés. Si l’envie de s’y lover est tentante, l’appel de l’aventure est plus fort. On passe derrière une colonne pour se rendre au cœur du domaine. Le palpitant du Pardon, c’est en effet son énorme bar. La carte y figure sur des miroirs. En cherchant de quoi s’hydrater, c’est finalement son propre double que l’on croise. Monologuant sur le choix de telle ou telle bière, on croise le regard des représentations de Jésus qui ornent le bar, caressés par la lumière rosée des spots alentour. La mystique détonne avec les objets insolites qui jonchent les fenêtres (masques, extincteurs, licornes…). On demande brièvement pardon à la Sainte Trinité pour les péchés qu’on s’apprête à commettre, avant de se laisser happer par le lieu, les gens.

Qu’on y soit drag queen ou startupper, qu’on y prépare un after brûlant ou que l’on vienne juste éponger une journée de boulot, Le Pardon possède cette qualité rare de fédérer, de réunir tout le monde sans aucune distinction. Le moindre regard est suivi d’une parole, et si un pincement de coeur nous étreint à chaque séparation, chaque nouvelle rencontre confirme ce sentiment qui grandit depuis le début : on s’y sent chez soi. Arnaud Crame avait prévenu : “nous sommes mu.e.s par une idée de fête joyeuse, pas poseuse, et les gens qui viennent aussi, alors marions-nous ! Au pardon, on laisse aussi beaucoup plus de place aux femmes que dans les endroits lambda : plus de DJ’s femmes, plus d’initiatives portées par des femmes…”

On s’épouse de manière éphémère dans le photomaton situé… on ne sait plus trop où (il est d’ailleurs interdit de prendre des photos soi-même). Cela fait déjà plusieurs noces diaphanes qu’on célèbre dedans, entre des allers-retours au bar, où l’on alterne shots colorés et mots échangés avec Luc, le géant tenancier. N’oublions pas la rencontre fortuite avec le regard froid d’un mannequin… en plastique, posé là en plein chemin. Et surtout pas ces quelques cigarettes consumées dans ce qui mérite une autre mention spéciale : la cuisine reconvertie en fumoir. À l’autre bout du dancefloor, elle est si étroite qu’il faut faire pieds et mains pour ne pas en fumer deux d’un coup, ou repartir avec un souvenir au fer rouge sur l’avant-bras. On y étouffe presque, et pourtant on s’y pose avec plaisir dans de grands canapés noirs. Et puis, le fait d’être littéralement collé aux autres a pour avantage évident de créer un lien immédiat.

Alors que l’on ressort pour s’hydrater de nouveau, c’est sur “le plus petit bar au monde”, situé à quelques pas du DJ booth, que l’on débouche. On ne les a pas tous faits, les bars, mais celui-ci semble être à la hauteur de son nom. À peine plus de cinq places disponibles, que surplombe un crocodile en plastique entouré de fausses plantes grimpant du sol au plafond. Le barman y passe la musique qu’il veut, et ce soir c’est hip-hop.

Les corps, les mots, les couleurs, tout virevolte. On rentre sur le dancefloor comme on en sort, après quelques pas de danse langoureux devant le large DJ Booth. L’endroit est chaud mais pas aride, le contact fréquent mais jamais oppressant. Et puis d’un coup vient la fin. La danse du lieu tout entier nous mène dans la pénombre du couloir. La porte sur rue laisse échapper un peu de lumière, qui semble bien terne, et revoilà les gris pavés qui clignotent en rémanence. Arnaud Crame et l’équipe de Brain n’avaient pas menti : Le Pardon est un paradis éphémère dans lequel les repères, les clichés, les barrières s’effacent. Une question demeure donc : pourquoi diable s’excusent-ils ?

Le 15 décembre, le Pardon partira “en Vrille” aux côtés d’Antoine Calvino, journaliste et co-organisateur des fêtes Microclimat, et de SHUGI, la sulfureuse chanteuse du groupe Their Names et résidente chez Rinse France. Le club ne s’excusera pas de fêter Noël, avec le crew Deviant et le live de Raymond D.Barre pour la Deviant Christmas le 20 décembre.

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