Cet article est initialement paru dans Trax n°220, encore disponible dans le store en ligne.
« Beethoven n’aurait jamais pu composer une de ses oeuvre majeures, La Grande Fugue pour quatuor à cordes, sans la conduction osseuse », nous glisse en guise d’introduction Orange Chen, responsable produit de la firme chinoise AfterShokz. Sourd dès l’âge de 27 ans, le compositeur allemand avait alors adopté un ingénieux système : il serrait entre les dents une baguette en bois qu’il appuyait sur la caisse du piano, ce qui lui permettait d’entendre les sons directement dans son oreille interne, les ondes se propageant par les os du crâne. À la suite de ce fait historique et documenté, l’ostéophonie ne fera plus grand bruit jusqu’au début des années 50. L’apparition des transistors favorise alors la fabrication d’aides auditives exploitant ce principe d’écoute. Plus tard, grâce aux progrès de la miniaturisation, c’est l’armée américaine qui en équipera ses GI, afin qu’ils puissent entendre les ordres transmis par radio tout en restant alertes aux bruits ambiants sur le terrain. En sortant successivement ses casques Trekz Air et Xtrainerz, AfterShokz démocratise donc un système d’écoute jusque-là cloisonné à des secteurs bien spécifiques.
Un casque qui se substitue à vos tympans
Pour comprendre le fonctionnement de l’ostéophonie, Orange Chen nous propose un rapide cours d’anatomie. « Une oreille fonctionne sur le même principe qu’un transducteur : elle convertit un signal physique en un autre. Lorsqu’on écoute de la musique, l’oreille externe, ou le pavillon, capte l’onde acoustique puis la dirige vers une deuxième cavité nommée l’oreille moyenne. Sur place, le tympan convertit l’onde en signal mécanique à travers des os, ce qui a pour effet de stimuler les cellules de la cochlée de l’oreille interne. Ces vibrations osseuses se transforment alors en impulsion neuroélectrique pour être transmises au cerveau grâce au nerf auditif. Avec un casque à conduction osseuse, les oreilles ne sont pas couvertes donc la phase acoustique n’existe plus. Posées directement sur l’avant du tragus, ce petit repli de peau situé à l’entrée du conduit auditif de chaque oreille, les membranes des écouteurs remplacent le tympan et alimentent directement les os du système auditif. » En test grandeur nature, le résultat est d’abord surprenant. Le premier réflexe est de regarder béatement les gens autour, comme persuadé qu’ils entendent notre playlist. Une fois l’effet de surprise passé, l’écoute du son apparaît comme intelligible et naturelle. La sensation s’apparente à celle d’écouter de la musique en fond, avec des enceintes que l’on ne verrait pas. On continue à percevoir clairement l’environnement sonore, comme le bruit des voitures dans la rue. La musique vient s’ajouter par-dessus.
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Une écoute avant tout destinée aux sportifs
Que les amateurs d’immersion musicale se rassurent, ces casques n’ont jamais eu l’ambition de détrôner l’écoute active. Leur qualité de restitution sonore reste d’ailleurs limitée, avec un son assez mat et des basses étouffées. Pour le moment, le produit se destine avant tout aux sportifs. « Avec la conduction osseuse, il est possible de courir en environnement urbain sans aucun danger. Nous ciblons également les personnes souffrant de troubles auditifs, afin qu’elles aient accès au nomadisme musical », poursuit Orange Chen. Ces dernières sont malheureusement de plus en plus nombreuses. Selon l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), 2 millions de personnes de moins de 45 ans sont malentendantes et 6 % des 15-24 ans souffrent d’un début de surdité. Pire, d’après un sondage Ifop d’avril 2018, 14 à 17 millions de personnes souffrent d’acouphènes en France, soit 28 % de la population. Sans forcément bousculer l’ordre établi sur le marché des casques audio, le développement de l’écoute par conduction osseuse s’avère tout de même d’intérêt public.