1 – À la base, vous êtes passionné de musique. Mais la plupart des gens que vous allez rencontrer en tant que DJ ne sont pas vraiment au diapason. Il y a d’abord les « runners », qui vont vous amener de l’aéroport à l’hôtel, et de l’hôtel au club – aussi passionnants qu’un chauffeur de taxi, et les chauffeurs de taxi, vous n’avez pas besoin de voyager pour les connaître. Ensuite, vous dînerez avec le patron du club. Et un patron de club, ce n’est pas un spécialiste de Drexciya, c’est un limonadier, un spécialiste du chiffre au bar. Vous n’avez aucune raison de dîner avec ce type d’individu, et pourtant, vous ne dînerez plus qu’avec ce type d’individu. C’est dans la fête que vous rencontrerez des gens plus intéressants, sauf que vous êtes en train de mixer, alors la discussion, ce sera après votre gig. Mais à cette heure-là, les plus vaillants sont aussi les plus défoncés, et le degré d’intelligence est fortement dépendant de l’état des neurones valides. À force de côtoyer des cons, vous déteignez.
2 – On recommence : à la base, vous êtes passionné de musique, DJ est donc le métier idéal. Sauf que rapidement, vous n’écouterez plus la musique de la même manière. Vous n’aurez plus le temps pour les pas de côté et les vraies découvertes, vous resterez scotchés dans votre pré carré pour faire danser (qui techno, qui house, etc.). J’ai vu tant de DJ’s, même parmi les plus brillants, perdre toute acuité parce que confinés dans leur style. Terminé le rock ou le rap, de toute façon, vous n’en jouez pas. Au final, vous ne faites que tourner autour des mêmes labels et des mêmes recettes. Bref, être DJ appauvrit votre spectre musical. Vous apprenez par cœur les playlists spé de Resident Advisor, mais vous ne comprenez plus rien au reste de la presse : « C’est quoi Young Thug ? » « c’est qui Tame Impala » ? Et la Terre tourne sans vous.
3 – « DJ, c’est génial, on voyage tout le temps. » Et puis, on s’en lasse. Au final, vous passez bien plus de temps dans les avions que dans la ville où vous devez jouer, que vous découvrirez essentiellement à travers les quatre murs du club qui vous a booké. Je me souviens d’un DJ avec qui j’avais fait une soirée à Kuala Lumpur : il n’est resté que dix heures, le temps d’une sieste, un dîner et le gig. Le lendemain, il partait pour Toronto, avant de rentrer à Paris le dimanche. Bilan carbone béton, pour le reste, il n’a rien vu. Seule sa santé en a pris un coup. Sans parler, de l’alcool, des drogues et du décalage horaire. Le métier de rêve devient un périple à la Walking Dead. Et le pire, c’est que, rentré chez vous, personne ne supportera vos plaintes. Après tout, vous venez faire le tour du monde, les gens tueraient leur mère pour faire le tour du monde. Mais vous, vous resteriez bien chez elle le week-end prochain.
4 – « DJ, c’est génial, on est payé à mettre des disques. » Oui mais combien ? Évidemment, si vous gagnez 5 000 euros (ou plus), vous supporterez les dîners insipides et le jet-lag constant. Mais mettons que vous gagnez 500 euros par gig. C’est déjà génial, 500 euros, des milliers de DJ’s jouent gratuitement chaque semaine. Avec 4 gigs par mois, vous vous faites 2 000 euros. Combien de temps allez-vous tenir comme ça ? Entre 20 et 30 ans, tout roule, vous avez l’énergie, vous vous éclatez chaque week-end, et vous avez votre petite renommée dans les pages de Trax. Mais à 35 ans, vous n’êtes pas plus avancé, vous vous apercevez que les 2 000 euros filent vite et que le petit portrait dans Trax, tout le monde s’en fout. Arrivé à 50 ans, vous voyagez toujours en économique, vous dînez encore avec le même patron de club, vous n’avez plus que l’oreille gauche de valide, et vous n’en pouvez plus d’écouter les nouveautés techno de la semaine qui se ressemblent toutes, et ça fait vingt ans qu’elles se ressemblent toutes. Quant à vos points retraite, bien mérités à ce stade, et ben ils n’existent pas. Il vous faudra faire DJ jusqu’à vos 80 ans.
Conclusion, laissez tomber le DJing tant qu’il est temps. De toute façon, il y a trop de DJ’s, on n’a pas besoin de vous. Mon conseil pour enrichir votre culture et garder une santé impeccable : mettez-vous au Scrabble. Et là, même en maison de retraite, vous serez toujours dans le coup.
David Blot anime chaque soir de la semaine le Nova Club sur Radio Nova, de 19 h 30 à 21 h.