Quand Philippe Zdar nous invitait dans son studio à Montmartre

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©MWTM
Le 20.06.2019, à 11h59
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Ce jeudi 20 juin 2019, la chute mortelle de Philippe Zdar, membre du duo Cassius et producteur de génie, était annoncée, choquant violemment les fans et le monde de la musique. En novembre 2010, Trax s’était rendu à son célèbre studio Motorbass, du nom du premier groupe formé avec Etienne de Crécy.

Par Olivier Pernot

Cet article a initialement été publié dans le hors-série Trax Magazine de janvier 2011. L’entretien eut lieu le 8 novembre 2010.

« Les murs de ce studio ont une histoire. Il existe depuis le début des années 1980. Serge Gainsbourg, Isabelle Adjani ou Étienne Daho ont fait des sessions ici. Le studio a appartenu à Dominique Blanc-Francard, le père d’Hubert (Boombass, son acolyte de Cassius, NDLR) sous le nom de Continental Studios. Puis il a eu divers noms, Musica, Pigalle Sound. Je l’ai racheté il y a une dizaine d’années. » À l’époque, Philippe Zdar y dépense toutes ses économies : « Il me restait juste de quoi acheter une porte blindée et le studio est resté fermé pendant tout ce temps. » Passionné de technologies de toutes les époques, Zdar accumule depuis des années du matériel vintage. « Avant Internet, j’achetais dans des magasins à Paris. Dès qu’il y avait une belle pièce, comme un équaliseur Neve, on me passait un coup de fil. J’ai trouvé comme ça des appareils pour une bouchée de pain. Que ce soit des équaliseurs Pultec, des compresseurs, des delays, des reverbs, des pré-amplis. Certaines machines, des années 1960, sont estimées maintenant dix fois leurs valeurs de l’époque. Et puis, bien sûr, à l’arrivée d’Internet, j’ai trouvé aussi plein de matériel sur eBay. » Analogique ou digitale, Zdar ne choisit pas : « Je prends le meilleur des deux technologies. Toutes les machines que j’utilise pour le traitement du son sont analogiques. Ma table de mixage est analogique. Après, l’enregistrement se fait de manière digitale. Mon travail reste très artisanal ! »

Grammy Awards

Petit à petit, le Motorbass Studio a pris forme, complété par la pièce maîtresse, une table de mixage analogique SSL 4000 E de 1983. « Un jour, la BBC vendait la même table, pas très chère. Je l’ai achetée et mes assistants ont démonté toutes les pièces et les ont méticuleusement référencées et rangées une par une. Du coup, j’ai une seconde table en pièces détachées et dès qu’il y a un pépin, nous pouvons puiser dans cette réserve. La maintenance, c’est le nerf de la guerre dans un studio d’enregistrement ! » Aujourd’hui, en plein cœur de Pigalle, le Motorbass Studio est un petit studio d’enregistrement convivial (« comme un grand home studio dément »), avec beaucoup de cachet : parquet en bois, beaux tapis, lampes d’antiquaire, amplis et instruments vintage. Un antre confortable et chaleureux utilisé par Philippe Zdar et ses assistants. « Mes potes de Phoenix cherchaient un endroit pour se poser, répéter tranquillement leurs morceaux en vue de leur nouvel album. Je leur ai prêté le studio, qui à l’époque, n’était pas encore fini. Ils se sont installés pendant huit mois dans ce chantier, mais ils pouvaient répéter quand ils voulaient. » Zdar, qui a déjà mixé le premier album du groupe, devient alors co-producteur de ce nouveau disque, le quatrième de Phoenix. Le matériel analogique et sa production pleine de dynamique donne une chaleur incroyable à la pop de Phoenix. L’album Wolfgang Amadeus Phoenix reçoit en 2009 un Grammy Award (« Best Alternative Music Album ») aux États-Unis. Une récompense inédite pour un groupe de pop français ! « À un moment, dans les années 1990, les disques sont devenus fatigants à cause du traitement du son. Très aigu, très compressé, écrêté et mis très très fort. Le rap a commencé à faire ça, à avoir le plus gros son possible. Puis, toute la musique s’y est mise. Moi, je me bats contre ça. Je veux un beau son, bien pur avec beaucoup de dynamique, beaucoup de basses et beaucoup d’air. »

« Je veux que le Motorbass Studio soit comme une école, un endroit où la passion et l’expérience se partagent ! »

En transe

Dans la foulée de l’album de Phoenix, premier disque enregistré au Motorbass Studio, Zdar y travaille sur plusieurs projets : The Rapture, Housse de Racket, Adam Kindness. « Avec The Rapture, nous avons commencé à travailler à New York, puis après, ici, un mois en mars 2010 pour faire tous les arrangements électroniques. C’est un disque à écouter à fond dans une voiture, les fenêtres ouvertes ! Le disque de Housse de Racket est un album hyper classe, comme celui de Phoenix. Un album à écouter l’été à Ibiza ou dans le sud de la France, le soir au coucher de soleil. Et en ce moment, je travaille au studio avec Adam Kindness, un jeune artiste anglais très doué, qui sonne entre Sly Stone, D’Angelo et Stephen Stills. » Entre ces trois disques, Zdar a fait plusieurs escapades à New York pour travailler avec The Beastie Boys et mixer leur nouvel album (« Ma façon de réaliser un disque est tellement old school qu’elle a plu aux Beastie Boys »). Mais le trio hip-hop américain n’est pas venu à Pigalle. Par contre, c’est bien là, dans ce studio, que Philippe Zdar a mixé aussi ces derniers mois des titres pour plusieurs artistes qui ont fait l’actualité : Gossip, Two Door Cinema Club, Kele (Bloc Party), Primary 1, Chromeo, Adam Kesher, MelTones, Ric Ocasek. Et aussi des remixes pour Booka Shade ou Crookers. Sans oublier évidemment la production avec Boombass du maxi six titres de Cassius (The Rawkers EP). « J’ai des retours déments sur cet EP et nous allons faire un album, c’est sûr. Je veux m’immerger complètement dans le studio avec Hubert. Je veux que ce soit un album où on rentre en transe ! »

Savoir-faire

En seulement deux ans, le Motorbass Studio a déjà vu naître de belles histoires : des disques plein de saveurs et de couleurs, des mixes léchés. Et quand le patron Zdar n’est pas là, il donne sa permission pour que le studio revienne aux artistes : Charlotte Gainsbourg y a ainsi fait récemment une session de voix et Metronomy a profité du confort des lieux pour enregistrer des tracks pendant plusieurs jours. « À un moment, j’ai eu la chance qu’on me laisse travailler dans des studios d’enregistrement. Aujourd’hui, mes adjoints et assistants (Florent, Julien, Fabien, Bastien) peuvent profiter du studio pour s’exercer, apprendre. Je suis un ingénieur du son altruiste. J’aime transmettre mon savoir-faire aux plus jeunes, car l’art de l’enregistrement disparaît peu à peu. Je veux que le Motorbass Studio soit comme une école, un endroit où la passion et l’expérience se partagent ! »

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