Quand free jazz rime avec free party, le son unique du duo franco-américain Nasty Factorz

Écrit par Éléonore Reyes
Photo de couverture : ©Nasty Factorz Tous droits réservés
Le 20.09.2017, à 15h24
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©Nasty Factorz Tous droits réservés
Écrit par Éléonore Reyes
Photo de couverture : ©Nasty Factorz Tous droits réservés
Nasty Factorz, c’est la rencontre entre le saxophoniste français Gaël Horellou et le batteur américain Ari Hoenig, mais aussi entre la discipline jazzistique et la composition électronique. Quand le swing se mêle à la bass music.

La recette semble simple, mais la réalisation n’en est pas moins complexe. Un batteur virtuose (Ari Hoening), un saxophoniste (Gaël Horellou) et des productions électroniques réunies en un trialogue au rythme effréné. Des nappes sombres et diffuses dont les harmoniques se perdent dans leur propre écho. Des ponctuations d’accords dub. Des notes basses semblant être soufflées discrètement par un didgeridoo. Puis entre un saxophone au charme quasi oriental, avant que la batterie ne vienne diluer nos repères dans des complexités inattendues. Bienvenu sur le seuil du premier album de Nasty Factorz, sorti le 22 septembre sur DTC records.

Gaël Horellou évolue dans le jazz depuis 1992. C’est au sein du groupe Cosmik Connection, formé avec Philippe Pipon Garcia (batteur) et Jérémie Picard alias DJ Labas (chanteur-programmeur) qu’il forge ses premières armes sur le front de l’hybridation entre jazz et musique électronique : “Notre propos, c’était de transporter ce qu’on savait faire, c’est-à-dire de la batterie, du saxophone, chanter, et de composer de la musique électronique aux sonorités drum’n’bass par-dessus laquelle nous puissions jouer”. Une forme de démesure les ayant amené à jouer dans les teufs comme dans des festivals dub et dans le réseau des SMAc (Scènes de Musique Actuelle), friand de musiques électroniques à la fin des années 90.

Dans les années 2000, les soirées mélangeant instruments acoustiques et numérico-analogique foisonnent. À cette même époque, l’intérêt croissant de Gaël pour la musique électronique l’amène à échanger avec Laurent DeWilde et à intégrer son sextet. Une rencontre qui engendrera une série d’albums dont Organics en 2006, qui mêle déjà future jazz, dub et drum’n’bass.

Mélange des signatures rythmiques

Cette même année à Paris, Gaël Horellou croise la route d’Ari Hoenig. Un batteur américain qui a notamment partagé la scène avec Herbie Hancock et joué dans le groupe Elastic Band de Joshua Redman. Deux albums jazz naîtront de cette rencontre : Pour la terre en 2008 et Brooklyn en 2014. C’est alors qu’ils décident de créer Nasty Factorz, un projet qui explore les retranchements de leurs univers respectifs. “Ari est quelqu’un qui a développé un style très personnel avec la géométrie rythmique, ce qu’on appelle la polyrythmie (Superposition de différentes signatures rythmiques, NDLR), explique Gaël. Au niveau de la composition, c’est quelque chose que j’expérimentais déjà sous mon alias drum’n’bass/breakcore Dual Snake. Ari était donc le partenaire rêvé, car rares sont les batteurs à pouvoir jouer avec autant de précision les rythmes complexes programmés sur l’ordinateur.”

Avec ce projet, Ari pénètre pour la première fois dans l’univers de l’électronique, dont il affectionne particulièrement la précision rythmique : “Je recherchais toujours à perfectionner mon jeu dans de nouveaux projets. Nasty Factorz s’est alors posé comme un défi de taille”. L’inédit de cette collaboration vient d’ailleurs d’une rythmique assez inédite dans la musique électronique : “la batterie jazz passée à la moulinette de l’ordinateur. Nasty Factorz c’est l’extension du shuffle, une manière de jouer que l’on entend principalement dans le blues, mais avec des rythmiques encore plus complexes.”

Une musique pour soundsystems

Mais que l’on ne se laisse pas tromper par sa rhétorique de conservatoire : Nasty Factorz se veut aussi un “retour au gros son. L’univers est vraiment celui de la teuf, avec des sons issus de la drum’n’bass, voire du dubstep.”. Entre free jazz et free party, on aura tôt fait de faire le rapprochement. D’un côté, un mouvement qui transgresse les normes sociales et le cadre légal, de l’autre une improvisation nouvelle qui s’affranchit des codes musicaux. Selon Gaël, la comparaison tient aussi sous l’angle politique : “Dans la free party, il y la révolte, l’envie de faire les choses comme on le désire, d’être laissé tranquille. Le free jazz était aussi un cri de révolte, porté par la véhémence de la culture afro-américaine à la fin de la ségrégation.”

Nasty Factorz promeut la liberté des métissages: “c’est de la musique pensée pour être jouée sur des soundsystems, où le sax amène un contrepoint mélodique avec des riffs psychotiques, tandis que la batterie fait vivre tout ça d’une manière très organique. C’est un mélange qui perturbe le dancefloor.” À ne plus savoir de quel pied taper.

 

Jouer avec les machines

Sur scène, la formule présente un véritable challenge. “Jouer avec les machines c’est jouer avec quelqu’un qui ne nous entend pas. Mais ça peut aussi être libérateur, parce que l’on sait que ce sera toujours correct à 100 %”, raconte Ari. Au même moment, Gaël jongle entre saxophone, interface et pédales.“Il y a un véritable engagement physique lorsque l’on joue du saxophone. Il faut être ancré dans le sol et souffler fort, ce qui tranche avec le calme nécessaire à la manipulation de l’ordinateur.” En hybridant le jazz et l’électronique, l’improvisation et la composition, le live et le séquençage, Nasty Factorz tisse une musique aux motifs pluriels et charnels. Une expérience intense qu’ils partageront avec nous lors de leur tournée en France en octobre prochain.

Retrouvez Nasty Factorz le 6/10 au Cargö à Caen – le 8/10 à l’Escale à Landeda – le 13/10 au Plan à Ris Orangisle 15/10 au Sirius à Lyonle 17/10 au Jazzèbre Festival à Perpignan – le 20/10 au Triton à Paris.

Et pour se procurer l’album, ça se passe par ici.

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