Pourquoi Physical Therapy est le secret le mieux gardé de la scène électronique

Écrit par Sylvain Di Cristo
Le 20.06.2016, à 18h40
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Écrit par Sylvain Di Cristo
Percer le secret de Daniel Fisher c’est surtout s’aventurer dans les labyrinthiques raisons qui enfantent la créativité artistique. C’était notre dessein ici, en skypant l’un des artistes les plus sous-estimés des sphères house, techno et breakbeat, Physical Therapy. De ses premiers gigs aux soirées new-yorkaises GHE20G0TH1K à ses DJ sets au Berghain, en passant par son amitié avec Mykki Blanco et son amour pour la French Touch, nous avons retracé ensemble le parcours d’un artiste à part, en constante évolution, qui apporte ce génial grain de folie à chaque nouveau genre musical auquel il s’attaque.Photos : Natascha Goldenberg & Julia Burlingham

En écoute exclusive sur Trax, le track “Baktadust (Fried Mix)” issu de son dernier EP du même nom, sorti le 15 juin dernier sur Work Them.

La chose qui m’importe le plus, c’est de jouer de la musique fun.”

Tu as 27 ans c’est ça ?

Oui, 28 vendredi prochain !

Et tu viens de New York ?

New Jersey en fait, jusqu’à mes 18 ans.

Et passé ces 18 ans ?

Je suis parti à Chicago pendant deux ans puis New York City pendant cinq.

Pourquoi Chicago ?

Pour mon école d’art. Mais à ce moment-là, je suis complètement passé à côté de sa superbe scène électronique.

Tu n’écoutais pas de house là-bas du coup ?

Pas vraiment, les soirées dans lesquelles j’allais étaient plutôt bass drum, hip-hop, juke, indie rock ou inutilement bruyante.

Physical Therapy

Puis tu retournes à New York…

Oui, j’ai abandonné mon école d’art, ce n’était pas pour moi, je n’aimais pas son fonctionnement. Puis j’ai essayé d’aller dans un lycée normal, ce qui n’a pas marché non plus, puis je me suis entièrement concentré sur la musique un an plus tard.

Dans une interview que j’ai lu de toi en ligne, j’ai pu comprendre que le début de ta carrière serait liée à ces soirées GHE20G0TH1K (“Ghetto Gothic”) de 2010 et 2011 à New York…

Elle a commencé un peu avant ça, quand j’ai joué pour une soirée qui s’appelait Ban jee in the basement. Puis, grâce à mon amitié avec Mykki Blanco que j’avais rencontré au lycée et aux soirées qu’on essayait d’organiser ensemble en 2010, Venus X de GHE20G0TH1K nous a demandé de venir y jouer.



Tu produisais déjà à cette époque-là ?

Oui, je commençais à m’y mettre en même temps que le DJing, je n’étais pas très bon. Mais j’ai toujours plus ou moins sorti des trucs, des remix, des edits, et c’est comme ça que j’ai appris, sur le tas.

Comment étaient ces soirées ?

Très fun. Elles se sont d’abord déroulées dans des bars miteux avec des soundsystem catastrophiques. C’était aussi ça la recette, “bad bars, bad soundsystems, good parties”. C’était un environnement libre où tous les styles de musique se confondaient, hip-hop, house, transe, hardstyle, tout était acceptable et les gens étaient là pour voir jusqu’où tu pouvais pousser le truc.

Tu représentais un style de musique particulier ou t’étais plutôt du genre ouvert ?

J’étais très ouvert. La dernière fois, j’ai crée une playlist avec uniquement des sons que j’aimais jouer à cette époque, autour de 2011, et j’ai été choqué par leur diversité.

Cette diversité et cette liberté sonore, c’est quelque chose que tu as en commun avec Mykki Blanco j’imagine.

Mykki est l’un de mes meilleurs amis du monde entier et, dans notre vingtaine, nous avons grandi en ayant des goûts très variés. Il pouvait aimer autant les Riot Girl qu’un morceau techno, et c’est ce qui a donné son son. En ce qui me concerne, je produis toujours de manières différentes mais je deviens de plus en plus précis. Dans le monde de la house, de la techno ou du breakbeat, j’écoute vraiment tout.



Et c’est justement ça que l’on aime dans ta musique, c’est qu’elle n’est pas simplement techno, house ou breakbeat, elle va au-delà des règles de ces genres en incorporant une part de folie que l’on sent provenir de tes goûts musicaux très larges.

C’est un mélange d’ouverture d’esprit et de naiveté. Pour moi, produire de la musique a toujours rimé avec apprentissage. Quand j’ai commencé à mixer pour les soirées GHE20G0TH1K, je n’avais pas vraiment de connaissances en matière de musique électronique et de son histoire, mais j’avais cette obsession d’apprendre. Avant d’arriver à la musique électronique, je suis passé par le rock indie, le rock, puis le rap et le r’n’b et, en chemin, j’essayais d’absorber le plus de choses possibles. De la même manière, j’ai absorber tout ce que j’ai pu de l’histoire de la house et en même temps essayé de la recréer dans mes productions, mais je ne savais pas vraiment ce que je faisais.

J’approche chaque genre de la même manière. En ce moment, plus je tombe amoureux de la techno, plus j’ai envie d’en produire, mais je ne peux pas le faire sans y apporter ma propre théorie, ma propre vision de ce que doit être la techno.

Alors comment en es-tu arrivé à la techno ?

C’est une question d’évolution. J’ai commencé avec Michael Magnan, un DJ qui joue dans pas mal de soirées gays à New York depuis 10 ans. Il m’a booké à l’une de ses soirées, nous avons ensuite produit de la musique ensemble et ça m’a vraiment immergé dans la house. Puis j’ai commencé à absorber du 4/4, beaucoup, et je suis allé à Berlin, en tournée en Europe avec Mykki Blanco. On allait là-bas pendant notre temps libre. À ce moment-là, j’étais à fond dans l’esprit des raves techno des années 90, ce qui m’a conduit à une techno plus dure, plus profonde. J’étais impressionné et complètement sous le charme. J’ai donc voulu voir si je pouvais tout réduire pour parvenir à faire cette musique là.

“C’est une bonne chose que les gens mettent un peu plus du leur pour trouver ce qu’ils veulent.. Tout est si disponible aujourd’hui. Et si tu passes cinq minutes en plus à chercher quelque chose, peut-être que tu le désireras un peu plus fort.”

Ce que j’aime avec la techno aujourd’hui, c’est qu’elle évolue mais reste très lancinante, poignante. Je trouve que ce qui sort ce jours-ci est tout aussi intéressant que ce qui sortait en 1998, et parfois tu ne vois même pas la différence. C’est une musique avec beaucoup de possibilités qui n’a jamais cessé d’être efficace sur un dancefloor.

C’est là ton environnement de prédilection, les dancefloors ?

Oui, depuis trois ans, ma collection de disques a muté vers quelque chose ciblée sur le dancefloor.

Et sur le rythme ?

Aussi oui. Tu sais, je suis batteur, et quand j’ai commencé à écrire de la musique je ne faisais pas de piano et je ne savais pas lire une partition. Même pour mes chansons les plus mélodiques, je crée ces sons mélodiques d’une manière rythmique, avec des percussions par exemple.



Quelle est ta relation avec le hip-hop ?

J’adore le hip-hop, j’en écoute toujours un peu, mais depuis quelques années j’essaie de me concentrer sur le genre de musique que je joue en DJ set. Ça restera toujours une énorme part de mon évolution musicale et une influence majeure de mon processus de production.

Je te pose la question parce que, visuellement, le projet Physical Therapy et même ton label Allergy Season me font beaucoup penser à l’Internet Wave, ce mouvement musical et esthétique assez proche du hip-hop, né et reprenant les codes d’Internet. Taper ton nom de scène sur Google est véritable un casse-tête, comme une blague des artistes de cette scène qui ne veulent pas qu’on les retrouve facilement sur le Web.

(Rires). Et pourtant je n’ai jamais créé cet alias pour qu’on galère à me retrouver sur Google ! Mais c’est vrai que, quelque part, je continue à sortir des disques qui portent des noms difficiles à trouver en ligne. Mon label Allergy Season est aussi dur à googler. Je ne sais pas, je ne pense pas que ce soit intentionnel, mais je trouve que c’est une bonne chose que les gens mettent un peu plus du leur pour trouver ce qu’ils veulent. Tout est si disponible aujourd’hui… Et si tu passes cinq minutes en plus à chercher quelque chose, peut-être que tu le désireras un peu plus fort.

C’est quoi la suite pour toi ?

J’ai des EPs prévus sur Work Them et Valence Records, et peut-être que je sortirai quelques trucs sur Allergy Season.

Et la France ? J’ai pu remarqué que c’est la première fois que tu parles à un média français. Tu connais un peu la scène électronique d’ici ?

Oui c’est vrai, c’est la première fois. Je suis un peu au courant de ce qu’il se fait en France ces temps-ci mais c’est surtout la French Touch de l’époque qui m’a le plus influencé. Pour moi, Thomas Bangalter reste le meilleur producteur de tous les temps, surtout ses premiers trucs. Ça a été les premiers sons électroniques que j’ai écouté et ces joyeuses boucles ont défini ma façon de produire.



Il faut venir jouer en France alors !

Aussitôt qu’on me booke !

Le public t’attend ici, il attend ce genre de house, de techno que tu proposes. On sent depuis quelques mois à Paris comme un sentiment d’essoufflement de la techno “autoroutière”, celle qui peut se jouer parfois au Berghain ou au Tresor et qui peut sembler très répétitive à première vue.

La chose qui m’importe le plus – depuis que je me produis en tant que DJ jusqu’à aujourd’hui – c’est de jouer de la musique fun. Même si c’est de la hard techno, il y a toujours un moyen de rendre la soirée amusante ; ça peut être avec un petit sample vocal ou un truc hors propos. Ces derniers temps, j’ai beaucoup joué de techno tribale de la fin des années 90 au début des années 2000, des choses d’Adam Beyer ou Samuel L Session… Des artistes de ces années où la techno devait être la plus bizarre possible. Je pense qu’aujourd’hui il y en a toujours, mais que la plupart se concentrent sur des sons plus fonctionnels.

Et ça craint.

Ouais. Mais tu sais, si tu es en club, en plein dans ton trip de 10h, ce que tu veux entendre, c’est de la musique fonctionnelle. Mais selon moi, la diversité d’un set, sa courbe structurelle et le fait de commencer et finir à deux endroits très différents, c’est ça le plus excitant.

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