Pourquoi les jeunes ne croient plus au mythe de l’artiste torturé ?

Écrit par Clarisse Prevost
Le 22.05.2023, à 18h34
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Écrit par Clarisse Prevost
Dans un article du média britannique woo, des jeunes artistes ont partagé leur conception du mythe de l’artiste torturé et leurs expériences personelles. On en a profité pour creuser le sujet et montrer en quoi il s’agit d’une illusion, d’un stéréotype qui inspire de moins en moins la nouvelle génération.

Écrivains bourrés, rockstars cokées, club des 27, le mythe de l’artiste torturé toxicomane a longtemps était perçu comme un phénomène, bien que triste, glamour. D’après celui-ci, pour être un “bon artiste”, il faudrait être sujet à un état de souffrance récurrent, que seuls les psychotropes et autres substances psychoactives permettraient de soulager. En découle une commercialisation outrancière de ces figures via des documentaires ou des t.shirts, mais aussi une démocratisation de l’idée selon laquelle vie chaotique et créativité serait des alliés. Nombreux le pensent, alors que les études scientifiques ont montré qu’une personne sous psychotrope ne verrait pas sa créativité augmenter. Pour cause d’éthique, il reste cependant difficile de mesurer la créativité d’un invidivu en fonction de son état car on ne peut pas rendre un individu accro à quelconque substance sous couvert d’étude. Paul Hanel, docteur du département de psychologie de l’université d’Essex, explique : « Nous entendons toujours parler de la fois où ces artistes drogués ont réalisé une peinture, mais pas de la fois où ils se sont évanouis. »

LE MYTHE DE L’ARTISTE TORTURÉ

Rebbeca, écrivaine de 24 ans, qui ne consomme plus rien depuis un an, admet : « J’avais l’habitude de dire : “Oh, j’écris tellement mieux quand je suis ivre. J’écris tellement mieux quand je suis droguée ». Comme d’autres par la Beat Génération, Rebecca avait été influencée plus jeune par la découverte de Autoportraits sous drogues, travaux de l’artiste américain Bryan Lewis Saunders dans lequel il expérimente diverses drogues. Avec du recul, elle explique : « Prendre un tas de drogues ne fait que me donner l’impression que mon esprit et mon corps sont dans un état lamentable. Cela ne me rend pas soudainement créative et je n’ai pas d’idées géniales.»

En effet, dans le passé, les communautés d’artistes ont pu dérivé vers l’alcoolisme et la toxicomanie comme une réponse à des normes conservatrices. On l’observe avec les contre-cultures américaines d’après guerre, notamment avec la figure caricaturée du hippie sous beuh ou LSD. Une autre écrivaine, Bella, se confie : « On a l’impression d’enfreindre une sorte de limite sociétale quand on se fait démolir. On sait qu’on ne devrait pas, mais on le fait quand même. » Naturellement, le cliché empreigne bon nombre d’artistes en devenir qui craignent que la sobriété annihile leur créativité. Mais n’est-ce pas plus subversive de ne pas s’y soumettre ?

POURQUOI CONTINUER S’IL S’AGIT D’UN MYTHE ?

La frénésie qu’on associe à l’artiste torturé a quelque chose de romantique. Il peut donner l’impression d’être spécial, auréolé d’un rôle artistique qui dépasse toute bienséance. Mais il s’agit d’une illusion. Au contraire, créer en consommant va contribuer à nourrir et exacerber les anxiétés et souffrances psychologiques. Eerie, fashion designer, parle de son expérience en école de mode : « Nous demandons beaucoup aux artistes. Surtout si l’on tient compte de la crise du coût de la vie. Je pense que nous demandons aux gens d’être poussés à leurs limites physiques. La charge de travail et le rythme des échéances étaient si intenses que les nuits blanches étaient normales. Le corps humain n’est pas fait pour travailler 48 heures d’affilée. Il est donc très difficile d’être sobre dans ces espaces, car un corps sobre ne peut pas faire cela. »

Elle aborde notamment le sujet du réseautage des industries créatives, dans des événements avec open bar ou l’on doit rencontrer les bonnes personnes, être à l’aise et “cool”. Être sobre dans ces situations peut être difficile et les substances peuvent facilement devenir un appui fallacieux,, surtout si vous êtes introverti et que vous essayez de paraître plus extraverti que vous ne l’êtes en réalité. Le conseil d’Eerie pour naviguer dans cette sobriété ? « Écoutez votre corps. Prenez une eau tonique. Si vous ne vous sentez pas à l’aise dans un endroit, vous pouvez simplement partir. »

N’EST-IL PAS TEMPS DE SE TROUVER DES NOUVEAUX MODÈLES ?

Eerie, qui partageait son expérience plus haut, affirme que s’être entourée de personnes sobres lui a permis de décrédibiliser le mythe de l’artiste drogué/torturé. C’est pourquoi il est peut-être temps de s’inspirer de nouveaux modèles, qui sont des créatifs avant d’être des consommateurs. Torturés, nous le sommes tous, la différence avec les artistes, c’est qu’ils exploitent leurs mouvements internes via différents médiums. Mais rechercher volontairement la destruction par la création est un mythe. Malgré tout, boire, ou expérimenter des drogues hallucinogènes peuvent apporter une nouvelle perception sur l’objet créé, comme c’est souvent le cas lors d’expériences sous champignons hallucinogènes, mais ces occasions ne peuvent pas être une condition nécessaire à la créativité.

On voit d’ailleurs un nouveau modèle d’artiste sobres émergés, avec notamment des figures comme Tyler The Creator, Ama Lou, André 3000 encore Pharrell Williams, qui créent constamment, et font pour cela appètent à la clarté spirituelle. Tyler, racontant une anecdote dans laquelle il s’est rendu dans un studio pour collaborer et a remarqué que quelqu’un fumait un joint, explique: « Je suis entré dans la pièce, j’ai pris le joint de la main de quelqu’un, je l’ai jeté par terre, j’ai marché dessus et j’ai dit : “C’est une distraction. Il faut que cela cesse. Nous sommes ici pour travailler, putain. Pas pour traîner. Fuck ça. Avoir l’esprit clair. Au moins une fois. »

Car en effet, la sobriété nous permet d’être plus honnête avec nos souffrances, quand les distractions chimiques ne sont que des pansements. Il faudrait apprendre à ressentir ses émotions plutôt que de les fuir pour sincèrement les exploiter sur le plan artistique. Cela ne veut pas dire qu’il faut être drastique, et tout se refuser. Un verre, parfois, en créant, peut-être fun, différent. Mais associer la consommation avec la créativité est un leurre, et il est désagréable de se dire que l’on est un artiste “à condition de”. Exploitez vos émotions, appréciez les instants, regardez le passé, le présent, vivez, et vous aurez probablement assez de matière pour en faire quelque chose de libérateur pour vous, comme pour les autres.

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