Cet article a initialement été publié dans Trax n°222, disponible sur le store en ligne.
Par Alice Pfeiffer
Photos : © Now Fashion
Lorsque j’interviewe Francisco Terra, fondateur et directeur artistique du label Neith Nyer, il m’envoie immédiatement une vidéo de trap totalement barrée d’Amnesia Scanner. « C’est ce son qui a bercé toute la collection lors de sa conception au studio. » Le créateur décrit son dernier défilé, une collaboration avec la marque DDP présentée à la Fashion Week féminine automne-hiver 2019 de Paris, comme une collision entre les mondes. Dès ses débuts, quatre ans plus tôt, le Brésilien se fait connaître pour son jeu autour du mauvais goût. Le vulgaire, le populaire, le kitsch, il le reconfigure en propositions nouvelles. Par des jeux de coupes et de superpositions, Francisco amène à repenser les frontières hiérarchiques du goût et de l’élégance. Un parti pris tranché quand on défile dans l’immuable capitale du chic.
Spice Girls et Givenchy
En s’associant à DDP, label iconique du streetwear des années 90-2000 fondé par Laurent Caillet et Didier Mauroux, l’esthétique est au début de millénaire. Les doudounes-couettes sont fleuries et portées avec des sacs à dos ou bananes ceinturées. Les baggys sont délavés et croppés, les leggings se portent longueur cycliste ; les mules sont perchées sur des plateformes XXL, les crop tops et soutiens-gorge superposés sont en mailles ou en velours délicats, mais semblent avoir été lessivés par une longue rave. Entre tendresse et explosivité, mariage et affrontement. Toutes les silhouettes évoquent un passage dans un marché aux puces ou des montagnes de vêtements n’allant a priori pas ensemble, mais qui sont mises en avant pour des tenues des plus surprenante », analyse la critique de mode Diane Pernet. « Le contraste est constant et infiltre sa connaissance du design classique, défiant ainsi les conventions du chic si étroit. » Ce face-à-face se prolonge en musique. Le dernier podium de Neith Nyer était ainsi baigné d’un extravagant mash-up des tubes qui ont bercé son adolescence pendant les années 2000. “Say You’ll Be There” des Spice Girls et “Losing Grip” d’Avril Lavigne ont été rechantés par un ami, Pierre-Olivier Angleys, et recomposés par le musicien Sarahsson. Le tout surpiqué de trap expérimentale et de musique latino 70’s. En coulisse, le créateur passé par Givenchy et Carven assume un procédé de création collaboratif. Il s’entoure aussi de l’équipe du magazine Novembre : Florence Tétier et Nicolas Coulomb pour la direction de l’image, la styliste photo britannique Georgia Pendlebury pour les shows. Une mentalité aux antipodes de celle du génie dans sa tour d’ivoire.
Une affaire de famille
Le goût de la subversion et de l’effort commun n’expliquent pas à eux seuls ces surprenantes confrontations. Dans sa jeunesse, Francisco a appris la couture auprès de sa grand-mère. Dès lors, il la conçoit comme une forme de transmission et de storytelling. Sa maison, Neith Nyer, a été baptisée en hommage au nom de son aïeule. Le vêtement, tout comme la musique, possède ici le don de créer des souvenirs, de fabriquer de nouvelles légendes. Avec de tels préceptes, la griffe du label se fait aussi, forcément, récit d’époque. Les pièces sont véganes, non genrées, portées par des mannequins sortant des canons classiques. Au fil des saisons, les juxtapositions absorbent les sous-cultures japonaises, le cosplay, les télénovelas ou encore Paris Hilton. Le tout revu dans une couture incisive et prescriptrice. Point après point, coupe après coupe, track après track, Francisco Terra mélange des codes visuels qui ont coexisté sans jamais cohabiter de la sorte. Le résultat ? Une nouvelle tribalité signée Neith Nyer.