Pourquoi les DJ’s montent-ils leur propre label ?

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©S3A
Le 21.04.2017, à 13h36
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On continue notre tour d’horizon des jeunes labels. Cette fois, nous nous sommes entretenus avec les représentants des labels Sampling as an Art Records, Rue de Plaisance, et Vertv, soit S3A, Varoslav et la triplette Neue Grafik, Hybu et Ev4ns. Ils tiendront chacun un stand au Generator Hostel à l’occasion du Trax Disquaire Day, ce samedi 22 avril. 

J’écoute de la musique électronique depuis plus de 20 ans maintenant, et je dois dire que je suis ravi de voir une telle profusion de musique, de labels et de collectifs ces dernières années.

Peux-tu nous raconter le jour où tu as décidé de créer ton propre label ?

S3A : C’était en 2014, j’avais quelques morceaux que je voulais garder pour moi et comme j’avais le projet; depuis le début de S3A, de développer l’acronyme en un label Sampling as an Art,  j’ai décidé de la direction artistique : les morceaux les plus personnels et la sortie des artistes que j’aime… C’est après quelques sorties que nous avons vraiment affiné la direction artistique et le côté hybride entre hip-hop et house. La chose qui est sûre, c’est que nous sommes motivés uniquement par l’amour des choses qu’on nous envoie ! Nous n’avons sorti majoritairement des gens peu ou pas connus. J’aime l’idée d’être au début d’une évolution artistique !

Varoslav : Ceci n’est pas venu en un jour, j’ai pris cette décision après mûre réflexion. D’abord l’envie d’une totale indépendance, ne pas avoir de comptes à rendre, pour être libre artistiquement.

Hybu : Neue Grafik et moi en parlions depuis longtemps, il y avait autour de nous une jolie émulation autour des genres de musiques qui nous inspiraient : la house bien sûr, mais aussi le UK garage ou le broken beat. Or, ce sont des musiques assez peu explorées et représentées chez nous. Un jour, Ev4ns nous envoie une démo et on est tombé sous le charme de ses morceaux. Si ça nous a lancé dans l’aventure, finalement cette première sortie a été abandonnée, car elle a pris trop de temps à se faire, et notre goût a évolué entre-temps. En revanche, Ev4ns est devenu membre de l’équipe à part entière, notamment à la faveur d’un set fabuleux à trois dans une soirée au Batofar où le courant est  incroyablement bien passé… On tenait là notre équipe de choc, on prend d’ailleurs toujours autant de plaisir à jouer ensemble, c’est très stimulant.

Tu as signé sur d’autres structures avant de monter la tienne ? Quelles sont les choses positives et négatives que tu y as trouvées ?

S3A : Honnêtement, j’ai pris beaucoup de temps pour me décider sur la structure administrative du label. Je trouve qu’en France, et c’est aussi valable pour le statut de DJ, ce n’est pas facile et encore moins clair… Par exemple, la notion de TVA sur un métier, comme de la reproduction musicale sur vinyle, nous mange systématiquement le peu de marge que nous avons. Sans être défaitistes, force est de constater qu’il faut faire du volume pour au moins rentrer dans ses finances, chose qui est difficile sur une niche comme la nôtre… Après, c’est très motivant et très intéressant, puisque ça nous oblige à travailler tous les métiers, en allant du marketing au graphisme jusqu’à la direction artistique.

Varoslav : Avant Rue de Plaisance, j’ai signé sur plusieurs labels comme Supplement Facts, Dirt Crew, Je t’aime Records… Je ne regrette rien, ce fut une bonne première expérience. Ça m’a apporté mes premières dates à l’étranger et j’ai rencontré plein de gens intéressants. À l’époque je n’avais pas de label et tout mon temps était consacré à mes propres productions. L’inconvénient c’était de toujours attendre des réponses positives ou négatives de la part des labels à qui j’envoyais ma musique. Parfois, certains me demandaient de formater mon son dans un style particulier. Avec Rue de Plaisance, j’ai la liberté de sortir ce que je veux, quand je veux.

Hybu : Oui, j’ai sorti quelques maxis essentiellement en digital. Le problème, quand tu sors de la musique en digital, c’est que sa durée de vie est excessivement courte, deux trois mois et c’est fini, tout le monde t’a oublié. Alors que tu passes des journées entières à composer tes morceaux – d’autant que pour moi, c’est vraiment quelque chose de très personnel et fait dans la douleur –, les voir disparaître des radars aussi vite, c’est rageant. De plus, ces labels promeuvent peu leurs sorties, ils vivotent en sortant beaucoup et une promotion souvent assez minimale, faite maison.
 Alors, ça faisait longtemps que je voulais passer sur vinyle et laisser une empreinte un peu plus importante sur la musique. Je suis un gros digger, j’adore l’idée qu’on puisse retrouver et redécouvrir le disque que nous avons sorti, dans 10 ou 15 ans. Mais pour des raisons techniques, la quantité d’informations y étant quasi infinies, je doute qu’un jour les gens se mettent vraiment à digger dans les sorties digitales. Certaines ne doivent même plus être dispo et perdues à jamais, à part dans la mémoire de ceux qui l’ont fait. 
Après, il n’y a pas que des choses négatives, ça te met le pied à l’étrier, même si la promotion est faible, ça t’ouvre sur de nouveaux réseaux, des nouveaux territoires. Ça te permet aussi d’avoir des retours de gens que tu ne connaissais pas et auxquels tu n’avais pas accès, ça participe beaucoup à la motivation et l’émulation pour faire de la musique.

Quelles sont les choses que tu as décidé de faire autrement (ou à ta façon) pour ton propre label ?

S3A : Tous les labels ont leurs habitudes et cela repose souvent sur les personnes qui les dirigent. Sans vouloir faire autrement, ou pareil, j’ai juste fait à ma façon. J’espère bien faire, tant au point de vue artistique qu’administratif. Pour moi, c’est de l’artisanat artistique au final.

VaroslavJe dirais l’esthétique du label. Je me suis toujours intéressé à l’art, et le vinyle est un support qui permet à deux formes d’art de s’exprimer. Musicalement, j’ai toujours voulu suivre mes goûts, uniquement. Je ne cherche pas à suivre « une recette de cuisine » en essayant de reproduire des maxis qui marchent mieux que d’autres. Je n’ai jamais cherché à développer un son spécial, les sons du label reflètent mon état d’esprit.

Hybu : D’un point de vue business, on est assez orthodoxes : les sorties se font en vinyle et en digital. On travaille avec un distributeur qui a pignon sur rue et on essaye d’augmenter notre taux de vente directe sur notre bandcamp à chaque sortie. Si tout sort en distrib, la marge est vraiment trop faible et le risque plus important, il est possible que tu n’aies pas assez pour faire le suivant.
 Sur la direction artistique musicale, nous essayons d’être nous-mêmes. La seule limite que nous nous fixons sur le choix des morceaux, c’est que ça nous plaise à tous les trois et que ça nous excite. Le critère dancefloor est secondaire, si ça nous touche, ça nous intéresse. Après nous sommes un label naissant, donc on essaye de rester cohérents, mais il n’est pas dit que le jour où il sera installé, nous ne nous amuserons pas à sortir des morceaux de jazz. 
Sur la charte graphique, je crois en revanche que nous avons vraiment quelque chose d’assez singulier. On voulait sortir des clichés de la musique électronique, puisqu’on retrouve souvent les mêmes influences, au hasard : le minimalisme, le bauhaus, l’abstraction, le brutalisme, le noir et blanc, l’esprit graffiti, les paysages vides, la bande dessinée, l’op-art / art cinétique… La nôtre renvoie plutôt à l’iconographie de la Renaissance, aux gravures et aux estampes. D’une part, ça nous plaisait à tous les trois, et d’autre part, on a essayé d’avoir un projet cohérent de bout en bout. Le nom du label renvoie également à ça, de même que notre approche de la pratique artistique – le musicien n’est plus seulement un artisan, ce qui est trop souvent le cas dans l’électronique, mais bel et bien un artiste, sa personnalité est aussi importante que l’efficacité de son travail, si ce n’est plus.  

Quel rapport as-tu avec la musique des autres ? Quels sont les aspects qui doivent être en lien avec ta propre musique ou, au contraire, qui doivent être différents ?

S3A : Il s’agit de trouver des choses qui me font vibrer et qui restent dans la ligne, ou dans le type de musique que je fais tout seul…  J’ai la chance d’être quelqu’un de pluriel, et ainsi, je peux me laisser beaucoup de portes ouvertes. Mais c’est vrai qu’il ne s’agit pas de faire juste du S3A par d’autres personnes. Il faut faire différemment, garder les oreilles bien ouvertes ! Pour ça, l’époque est particulièrement propice parce que le style que nous développons sur le label est un style qui bouge en ce moment avec beaucoup d’acteurs, notamment toute la jeune génération qui est très motivante et que j’adore !

Varoslav : J’écoute de la musique électronique depuis plus de 20 ans maintenant, et je dois dire, de manière générale, que je suis ravi de voir une telle profusion de musique, de labels et de collectifs ces dernières années. Il y en a pour tous les goûts, tous les styles, et la qualité est au rendez-vous. Aussi, j’aime voir cette nouvelle génération évoluer, à Paris mais pas seulement, ça bouge de partout en France en ce moment ! J’aime beaucoup de choses, dans différents styles, pas seulement la musique qui me ressemble. J’aime le partage et je supporte les labels et artistes qui bossent comme nous, avec passion !

Hybu : Neue Grafik, Ev4ns et moi avons des influences très variées et différentes les uns des autres. Par exemple, Neue Grafik est très porté sur le jazz, Ev4ns sur l’ambient et moi sur le rock 60’s/70’s. En revanche, il y a un gros socle commun house / broken beat / UK garage, c’est ce même socle qu’on recherche chez les artistes que nous signons. Ensuite, il ne faut pas qu’ils soient dans le pastiche, dans le dérivatif. On recherche quelqu’un dont on devine la personnalité à travers la musique. Si c’est pour sonner exactement comme Kerri Chandler, Todd Edwards ou Domu, même si on les adore, je ne vois pas l’intérêt, eux l’ont fait avant et sûrement mieux. Aujourd’hui, ces musiques sont, admettons-le, matures, donc tu pourras difficilement innover en explorant le futur, la modernité n’est donc pas une fin en soi. Il est donc plus naturel pour nous de rechercher la singularité, l’originalité et l’intemporalité. Pour répondre à ta question, le lien c’est le socle commun d’influences. La différence, c’est d’être soi même.

Si demain, une grosse structure te proposait de racheter ton label ou de s’en occuper pour un bon prix, que dirais-tu et pourquoi ?

S3A : Je ne fais pas de la musique pour l’argent, mais toute proposition est envisageable. Je pense que je garderai la direction artistique parce que c’est quand même notre bébé, et qu’on passe suffisamment de temps dessus, pour ne pas juste vendre le truc…

Varoslav : Je ne suis pas matérialiste, mais je dois avouer que si l’on me propose une grosse somme, c’est à réfléchir. J’ai la chance de travailler avec une équipe de rêve : ma femme et un de mes meilleurs amis. Nous donnons tout pour ce projet, nous ne comptons pas les heures et on ne roule pas sur l’or, alors je vais être honnête, si je pouvais offrir une vie meilleure à mes proches, je serais peut-être prêt à vendre. On a des idées, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas avoir un autre projet après Rue de Plaisance !

Hybu : J’ai du mal à croire qu’une grosse structure s’intéresse à nous. La proposition de rachat semble donc fort improbable. En revanche, s’en occuper, si ça implique de faire le boulot administratif, la comptabilité, la promotion, le pressage et d’avancer les sous, tant qu’on garde le contrôle total artistique et qu’on est systématiquement consulté pour tout le reste, aucun problème. D’ailleurs, énormément de labels sont en fait gérés et détenus par les distributeurs et non par leur créateur. Ça nous permettrait de consacrer plus de temps à l’artistique, aux soirées et nos propres productions.

Quelque chose à ajouter ?

S3A : J’aimerais juste remercier toutes les personnes qui ont acheté des disques ou qui nous soutiennent. Je parle aussi des artistes qui nous ont fait confiance. C’est une aventure très importante pour nous aujourd’hui, et nous aurions beaucoup de mal à vivre sans. C’est finalement l’idée de laisser notre trace dans un mouvement que nous aimons et dans lequel nous vivons depuis plus de 20 ans. Merci à tous !

Varoslav : Nous sortons cette semaine notre 24e sortie vinyle avec Seafoam, un artiste américain. Il sera disponible samedi au Disquaire Day avec les dernières sorties du label. Et en exclu, nous mettrons en vente quelques copies du Etoiles Filantes 04, notre projet Unknown Artist. À samedi !

Hybu : Allez voter dimanche.

Le Trax Disquaire Day aura lieu au Generator Hostel de Paris, le 22 avril prochain.

Un événement organisé en partenariat avec GreenroomKisskissbankbank et Single Pattern.

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