Pourquoi les affiches du festival Villette Sonique sont-elles aussi étranges ?

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©DR
Le 26.05.2016, à 12h38
04 MIN LI-
RE
©DR
Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©DR
Si vous avez déjà été interloqué(e) par les affiches du festival Villette Sonique, peut-être trouverez-vous des réponses à vos interrogations ici. Retour sur l’histoire originale d’un art pas comme les autres, en compagnie d’Etienne Blanchot, programmateur du “Sonique” depuis ses débuts.Par Bastien Stisi, journaliste pour le site Néoprisme.


Un corps dénudé (celui d’une fille a priori, si l’on se fie aux hanches et aux tétons bien visibles), dont la poitrine se trouve camouflée par de longs cheveux raides et foncés. Un visage, lui aussi caché, mais par des entités moins classiques (un cactus et des éléments émanant d’un plumage d’oiseau, visiblement) directement incrustées dans la peau. Immobile et statique, cette silhouette féminine se tord les doigts, manifestant ainsi la nervosité (légitime) qui semble l’habiter devant tant d’impudeur.

C’est joli, c’est bizarre, c’est sûrement sensuel pour quiconque possède quelques lubies sexuelles légèrement déviantes. Mais c’est quoi ce truc au juste ?

Villette Sonique affiche
Édition 2006, réalisée par Florence Lucas.

Communication arty

C’est une affiche de festival. Qui n’en est pas une à l’origine. Car chez Villette Sonique, on fait directement appel à des artistes pas forcément familiarisés avec les codes et les mimiques de la communication visuelle professionnelle afin de concevoir, chaque année, l’image porte-étendard de l’événement musical de la fin du mois de mai. Ou plutôt, on réutilise le plus souvent un travail déjà existant, même si niveaux droits (gérés avec les galeries qui exposent les artistes), ce n’est pas la démarche la plus facile qui soit.

Villette Sonique affiche
Édition 2007, réalisée par Florence Lucas.

À l’origine de cette communication visuelle exigeante et délurée (et à l’origine de pleins d’autres choses en fait), Étienne Blanchot, programmateur et grand manitou de “Sonique” depuis ses débuts (il y a 11 ans), incontestable activiste indé soucieux d’adopter avec l’imagerie le même principe qu’avec le son :

“Ce qui nous importe, ce n’est pas tant de mettre des informations brutes de décoffrage comme ça sur une affiche, mais de prolonger la dimension ‘saut dans le vide’ que propose la programmation. On cherche chaque année un effet de surprise. Et c’est d’ailleurs pour ça que depuis trois ans, on dévoile l’affiche avant la prog, juste comme ça, vierge de toute autre info. C’est peut-être pas la manière la plus efficace de communiquer mais on aime que les gens se disent : ‘avec une affiche comme ça, la programmation, ça va être quoi ?’”

Villette Sonique affiche
Édition 2008, réalisée par Florence Lucas.

Saut dans le vide

La programmation, c’est tous les ans un mélange, un peu foutraque et dispersé, qui paraît n’avoir pour règle unique que le coup de cœur revendiqué (on vogue du protopunk à la pop sympa, et de l’electronica à la techno vilaine). Et c’est pareil niveau visuel :

“Niveau visuel, je me suis dit tout de suite, comme niveau musical, que tant qu’à faire un festival de musique, autant en faire un de différent. Quand on a lancé Villette Sonique il y a 11 ans, il y avait tous ces poncifs visuels liés aux festivals rock, avec les guitares, les perdrix, les groupes de gens les bras en l’air, et c’était forcément se positionner en marge que d’opter pour une imagerie un peu différente comme ça qui colle pas forcément avec une histoire rock. L’idée c’est d’avoir des séries sans s’y enfermer non plus.”

Villette Sonique affiche
Édition 2009, réalisée par Florence Lucas.

De l’affiche animalière à l’affiche transgenre

Ainsi, les premières affiches (2006-2010) sont quasiment toutes animalières, issues du bestiaire dessiné en noir et blanc de Florence Lucas, mettant en scène des bestiaux humanisés porteurs de hache (2006), de marteaux (2007 et 2009), de couteaux (2010). Et celles qui suivent (2011-2014), signées par le pinceau mystique de l’Allemand Till Gerhard, toutes obsédées par l’idée de découverte (de la réécriture punk de l’Abbey Road des Beatles en 2013 à la communauté retranchée au fin fond de la forêt, 2014), toujours avec un paysage verdoyant évoquant, bien sûr, le très dense Parc de La Villette où se déroule depuis 11 ans le festival. Continuité.

Villette Sonique affiche
Édition 2010, réalisée par Florence Lucas.

Cette année, et le choix est pensé depuis les derniers instants de l’édition précédente – “comme on choisit l’artiste et qu’on ne dépend pas d’une agence de com’, c’est comme pour la musique : on pense cette affiche comme si on la programmait” – Étienne a décidé de reconduire l’idée de collages qui avait déjà si bien fonctionné l’an passé, via cette œuvre – “ce mec exhib’ qui ouvre sa veste sur le cosmos” de l’artiste chilien Mariano Peccinetti. Il est ainsi allé chercher l’œuvre d’un artiste Américain, Charles Wilkin (Everything I Know, 2013), résident de Boston au profil singulier, puisque lorsqu’il n’officie pas en tant qu’affichiste collagiste, ce dernier élève des essaims d’abeilles, pour lesquelles il milite, aussi. Apiculture et superpositions d’images.

Villette Sonique affiche
Édition 2011, réalisée par Til Gerhard.

“Sur la dernière affiche, avec cette riot girl un peu transgenre, il y a quelque chose de sexué sur lequel on n’avait encore jamais été, alors que dans les visuels liés à la musique et les pochettes de disques de manière générale, c’est un truc qui revient pourtant assez souvent. Je trouvais ça élégant et en même temps borderline. Et puis celle d’avant, quand on y pense, c’était un mec.”

Villette Sonique affiche
Édition 2012, réalisée par Til Gerhard.

La photo pour demain ?

Et pour l’année prochaine ? Un peu plus libre dans son processus créatif depuis le changement de charte graphique du complexe La Villette – “la charte n’est pas forcément une contrainte, c’est juste une donnée qu’il ne faut jamais oublier”, Étienne n’exclut rien de particulier, mais a déjà sa petite idée :

“Si on trouve un 3e collage pour l’année prochaine on recommencera, et sinon on partira sur autre chose. Pas question de s’enfermer dans un style. Et puis y a quelque chose qu’on a jamais abordé, c’est la photo. Peut-être qu’on osera. Le tout c’est d’être en éveil, et de rester attentif à ce qu’il se passe autour”. Et de faire en sorte que, comme il y a deux, des gamins un peu ivres escaladent, au terme du festival, le Pavillon Janvier de La Villette pour venir en retirer l’affiche géante qui y était accrochée. “Ça m’a fait marrer, et ça m’a fait plaisir : c’est une certaine forme de validation de ton travail, que les gens volent les affiches du festival pour les accrocher chez eux !”

Villette Sonique affiche
Édition 2013, réalisée par Til Gerhard.

Villette Sonique affiche
Édition 2014, réalisée par Til Gerhard.

Villette Sonique affiche
Édition 2015, réalisée par Mariano Peccinetti.

Villette Sonique affiche
Édition 2016, réalisée par Charles Wilkin.

Illustration : Charles Wilkin
Design : Sylvie Astié

Newsletter

Les actus à ne pas manquer toutes les semaines dans votre boîte mail

article suivant