Pourquoi l’EDM va (re)devenir cool ?

Écrit par Lolita Mang
Photo de couverture : ©Chris Lavado
Le 23.05.2023, à 10h23
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©Chris Lavado
Écrit par Lolita Mang
Photo de couverture : ©Chris Lavado
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Ultra-populaire comme ultra-méprisée : l’EDM, ou electronic dance music, est un genre emblématique des musiques électroniques. Née à l’aube des années 2010, l’EDM accompagne la starification des DJs et l’éclosion de festivals gigantesques, s’attirant le mépris de la scène underground. Dix ans plus tard, faut-il s’attendre à un retour de bâton ?

C’était le 29 avril 2006. Sous le soleil de Californie, Daft Punk s’apprête à marquer l’histoire, en faisant entrer les musiques électroniques dans l’arène du mainstream. Devant 35 000 personnes, aux alentours de 23h, le duo performait pour la première fois depuis huit ans, au sommet d’une pyramide illuminée, qui devient le symbole de la tournée mondiale qui s’ensuit. Un an plus tard, au Memorial Sports Arena de Los Angeles, un certain gamin de 18 ans prend la claque de sa vie devant ce même concert. Sonny John Moore est venu “seul avec [s]a Honda Fit, [a] acheté un billet 150 $ à un revendeur, et [a] passé le meilleur moment de [s]a vie”, comme il le confie au magazine Pitchfork dans une interview datant de 2012, sous son pseudonyme, plus célèbre : Skrillex. “Je n’avais pas bu ni pris de drogue. Mais j’étais complètement parti. Ça a changé ma vie” affirme l’intéressé, pionnier d’une scène électro grand public dont Daft Punk a tracé la voie.

L’EDM, ou electronic dance music, est difficile à définir. Ultra-populaire comme ultra-méprisée, elle connaît son pic de gloire à l’aube des années 2010, avec des noms comme Avicii, Deadmau5, David Guetta ou le précédemment cité Skrillex. Née, propulsée et pérennisée aux États-Unis, l’EDM donne aux musiques électroniques une notoriété grand public à l’aide d’une esthétique bruyante et scandaleuse, liée aux rythmes de vie de ses DJ stars, comme le souligne Simon Reynolds dans son article “L’âge Vegas de la rave : l’EDM aux États-Unis” (publié dans la revue n°2 des éditions Audimat, en 2014). En deux mots, l’EDM n’a qu’un but : faire danser. 

Pourtant, près de dix ans plus tard, une vague de jeunes producteurs français et internationaux se proclament fans d’EDM. Loin de rejeter un genre autrefois largement méprisé, ils et elles se l’approprient sans aucun complexe. Faisant ainsi de l’EDM, le prochain genre musical à revenir sur le devant de la scène ?  

Un genre hautement méprisé…

Quand on ose demander si l’EDM peut redevenir cool, encore faut-il se demander si le genre a un jour été considéré comme tel. Et la réponse n’est pas évidente. Associé à des festivals dantesques, à commencer par le mastodonte Tomorrowland en Belgique, l’electronic dance music des années 2010 se caractérise avant toute chose par sa rentabilité sans précédent dans l’univers des musiques électroniques. Pour la première fois, les DJs deviennent des stars aux salaires faramineux, à l’instar de du Néerlandais Tiësto (38 millions de dollars empochés en 2016) ou du Britannique Calvin Harris, dont les prestations à Las Vegas sont rémunérées à hauteur de 400 000 dollars chacune (entre 2016 et 2020). 

En 2015, François Blanc tente une définiton dans Libération et définit l’EDM comme “un fourre-tout d’hymnes putassiers à la fois taillés pour le dancefloor et viscéralement pop par leurs gimmicks vocaux entêtants”. Si les gimmicks vocaux ne datent pas d’hier et sont plutôt apparus avec la house, le rapprochement avec la pop n’est pas anodin. Jean-Yves Leloup, journaliste et auteur de plusieurs ouvrages dont Musique Non Stop : pop mutations et révolution techno (Les Mots et le Reste, 2015), confirme : “En ce moment, la scène électronique traverse une période pop et chantée, avec une puissance revendiquée très pompière”, affirme-t-il. Le compositeur Anthony Gonzalez, de M83, fait également partie de ceux qui ont exprimé leur haine à l’égard de l’EDM, au détour d’un entretien accordé au média Conséquence pour promouvoir son dernier album, Fantasy : “La difficulté qui s’est présentée à moi avec le succès de l’album Hurry Up, We’re Dreaming, et surtout avec le morceau “Midnight City”, c’est que tout d’un coup, j’ai eu un énorme public EDM. L’EDM est probablement l’un des styles de musique que je déteste le plus. Soudainement, j’ai ces DJs EDM qui se mettaient à jouer ma musique, et je m’en foutais totalement. Parfois, j’aimerais pouvoir effacer cette partie de ma fanbase”. 

… qui pourrait devenir cool ?

Peu de temps après son explosion, la musique EDM séduit les majors et les plus grandes stars de l’industrie musicale. En 2012 sort Red, quatrième album studio de l’Américaine Taylor Swift. Le refrain de son single “I Knew You Were Trouble” est ainsi bâti sur des rythmes dubstep qui lui garantissent un succès commercial immédiat (ainsi qu’un meme viral, par la même occasion). La même année, Nicki Minaj collabore avec David Guetta sur le titre “Turn Me On”, tandis qu’un an plus tôt, Rihanna révélait “We Found Love”, sa première collaboration avec Calvin Harris. 

Dix ans plus tard, ces tubes ont eu le temps d’être écoutés, ré-écoutés, digérés voire appréciés par une toute nouvelle génération d’artistes. C’est le cas du producteur français abel31, signé chez Sublime, label de Disiz. “On écoute fort David Guetta, Martin Garrix. J’ai trop de tendresse pour cette époque, ça m’a marqué. Ça me fait rire mais en même temps je trouve ça techniquement fort. Et de toute façon, tout ce qui est à un moment donné démodé revient à la mode. […] Parce que c’était honnête, sans concessions.” affirme-t-il dans une interview accordée au magazine DRP. Et il est loin d’être le seul. La preuve en est avec le set hautement commenté du super-trio composé de Skrillex, Four Tet et Fred Again.. en clôture de Coachella en avril dernier. Le groupe s’était déjà produit au Madison Square Garden de New York en février 2023 – les billets s’étaient vendus en deux minutes. Suite à l’annulation de Frank Ocean, tête d’affiche du festival, le groupe, supposément éphémère, s’est reformé le temps d’un set d’une heure trente, au cours duquel il a assené des tubes dubstep survitaminés, saupoudrés de refrains pop allant de Carly Rae Jepsen à Taylor Swift, et de gimmicks ravissant la foule (le très reconnaissable “oh my god” de “Scary Monsters and Nice Sprites”). Plus qu’un hommage au passé, ce set semble incarner un aperçu d’une ère où les frontières entre le mainstream et l’underground deviennent plus floues, et où l’EDM s’appuie de moins en moins sur d’évidentes structures pop. 

Le cercle infini de la nostalgie

En 2023, une nouvelle génération d’artistes, âgé·es de 17 ans à 25 ans, déferlent sur le marché de l’industrie musicale. Une génération d’artistes qui a découvert l’EDM durant l’enfance ou l’adolescence, et qui ne connaît rien des logiques ultra-capitalistes de festivals comme Tomorrowland, ni des cachets de Calvin Harris. Pour elles et eux, l’EDM n’est qu’un son fun , calibré et maximaliste, hérité de la bloghouse. Lina Abascal, journaliste et autrice de l’ouvrage Never Be Alone Again : How Bloghouse United the Internet and the Dancefloor, acquiesce : “Et puis, aujourd’hui, la frontière entre le mainstream et l’underground est plus floue qu’avant. À titre comparatif, j’adore le rock et la disco. Mais pour l’époque qui m’a précédée, ces deux genres étaient ennemis : il fallait aimer l’un ou l’autre. Mais moi, qu’est-ce que je m’en fous !”. Jean-Yves Leloup ajoute : “La dynamique entre l’underground et le mainstream a toujours existé, avec des moments de tension et des moments de relâche. Aujourd’hui, ces deux zones ne sont pas du tout imperméables”. Avec l’apparition des plateformes de streaming et un accès démocratisé à la musique, les nouvelles générations ont perdu toute barrière de genre dans leur consommation. Dans une même playlist, Mozart peut côtoyer David Guetta, Rihanna, BLACKPINK et Four Tet : les possibilités sont infinies. “Là où un jeune des années 80 et 90 s’inscrivait dans une tribu identifiée, le jeune public d’aujourd’hui a des goûts omnivores et veut écouter bien plus qu’un seul genre” complète Jean-Yves Leloup, faisant écho aux propos d’Abel31, toujours dans le magazine DRP : “Je pense que les gens n’ont plus trop honte d’aller vers la musique qu’ils aiment vraiment”. 

Dans Rétromania : comment la culture pop recycle son passé pour s’inventer un futur (2012, Les Mots et le Reste), Simon Reynolds – toujours lui – argue que la société du nouveau millénaire est obsédée par son propre passé immédiat, à la différence des époques qui nous ont précédé (la Renaissance vénérait le classicisme romain antique, qui se situe un à deux mille ans avant elle). Il écrit : “La scène musicale a généralement respecté la Règle des vingt ans : les années quatre-vingt ont été “in” durant la majeure partie des années deux mille, sous la forme de résurgence post-punk, electropop et plus récemment gothiques”. Aujourd’hui, Lina Abascal va plus loin encore et affirme qu’avec l’arrivée d’Internet, cette période de 20 ans s’est encore réduite de moitié : “Nous sommes en 2023, et nous venons de vivre le retour du Y2K et de la bloghouse. 2013 était une grosse année pour l’EDM, son retour est donc logique”. Et si Simon Reynolds voit ces retours comme d’incessants recyclages, gageons que les nouvelles générations sont bien plus inventives qu’il n’y paraît au premier abord, et qu’elles savent parfaitement mûrir et digérer leurs influences, pour offrir de nouvelles propositions carrément excitantes. 

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