Depuis qu’il a retourné la scène jazz avec son premier album, l’interminable et bien nommé The Epic, Kamasi Washington semble avoir un pied dans la musique électronique. Pourtant loin du nu jazz, dont les instrumentations sont largement inspirées de l’électro, la parution de ce premier opus chez Brainfeeder, ancré dans la scène underground de Los Angeles, lui avait donné l’occasion de s’émanciper de la catégorisation jazz, tout en en restant un pur produit.
La légitimité de Brainfeeder sur la scène électronique, acquise avec la parution, entre autres, d’albums de Ross From Friends, DJ Paypal et Mr Oizo, a également parmis à The Epic de piquer la curiosité d’un public bien plus large que celui des amateurs d’albums de jazz de trois heures. Ce qui explique pourquoi, un an avant la sortie de celui-ci, Kamasi Washington figurait déjà sur You’re Dead!, dernière folie en date de Flying Lotus. Un album au cours duquel le DJ s’approche toujours plus du jazz, à tel point qu’il faisait questionner Kamasi Washington sur la définition même du genre : « C’est quoi le jazz ? Si Jeff Roll Morton c’est du jazz et John Coltrane aussi, comment peut-on dire que Flying Lotus ne fait pas de jazz ? »
Il est intéressant de remarquer que les deux genres s’influencent autant. You’re Dead! ou la collaboration de BadBadNotGood et Kaytranada sur l’excellent « Lavender » feraient aussi bien penser à une « jazzification » de la musique électronique (respectivement expérimentale et house) que son contraire. Selon l’article « Comment Flying Lotus, Kamasi Washington et le label Brainfeeder ont donné un nouveau souffle au jazz », The Epic « est issu […] d’une communauté musicale à l’œuvre depuis de nombreuses années, qui slalome entre le hip-hop, la musique électronique et le jazz. » Un constat que valident des morceaux de St Germain, Erik Truffaz et Nujabes – qui samplait, entre autres, Yusef Lateef – au début des années 2000. Déjà en 1996, DJ Krush faisait équipe avec le saxophoniste Toshinoro Kondo sur l’album Ki-Oku. De quoi rappeler que les cuivres n’effraient pas non plus Laurent Garnier, qui signait en 2000 le track « The Man With The Red Face ». Dans la même lignée, Yusef Kamaal explore ce que donnerait une fusion parfaite des deux styles avec son album Black Focus, paru en 2016, cinq ans après les débuts de BadBadNotGood. On se souviendra également de la performance de Jeff Mills et Émile Parisien dans le cadre de Variations.
Malgré l’existence l’existence de ces approches alternatives de l’électro (ou du jazz, à choisir), Brainfeeder reste dans une démarche plus clivante. En dehors de la carrière solo de son fondateur, les albums distribués par le label ne sont pas toujours entre deux styles. On retrouve des synthés chez Kamasi Washington, ce qui n’empêche pas The Epic tout comme le premier extrait de son prochain album Heaven and Earth d’être des purs produits jazz. Celui-ci paraîtra d’ailleurs chez Young Turks, label d’artistes majoritairement électroniques, mais promet d’être dans la lignée du reste de sa discographie. C’est également le cas de l’album d’Austin Peralta, dont le Endless Planets, paru en 2011, laissait peu de place à l’électronique.
Ces expérimentations, à mi-chemin entre le hip-hop, la musique électronique et le jazz, comme les définissent bien l’article de Noisey, paraîssent encore underground, bien que portées par un label plus que reconnu. Mais plutôt que de prôner une évidente mixité, ses principaux acteurs se font discrets, mettant simplement en avant une nuance musicale. Des questions qui restent chères à l’industrie musicale, mais dont les festivals s’émancipent : sa catégorisation dans un style aussi fermé que le jazz n’empêche pas Kamasi Washington d’ouvrir le festival Nuits sonores le 8 mai prochain (en 2016, il faisait l’ouverture du festival Dimensions), avant son passage au Bataclan le lendemain. D’ici là, plus qu’à attendre la sortie de Heaven and Heart, dans lequel l’artiste sample samplé le thème des films de Bruce Lee pour le track d’ouverture. Fusion.