Pourquoi la Belgo-congolaise Nkisi représente l’un des futurs souhaitables de la dance music

Écrit par Quentin Sedillo
Photo de couverture : ©D.R
Le 14.11.2018, à 17h25
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Écrit par Quentin Sedillo
Photo de couverture : ©D.R
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Nkisi est une artiste inclassable : de ses influences, qui vont des percussions originelles du Congo au doomcore à ses convictions inébranlables, l’artiste s’est érigée en tant que figure incontournable de l’avant-garde musicale et politique. C’est tout naturellement qu’elle est invitée à la Gaîté Lyrique le 16 novembre prochain pour la soirée SHAPE.


Sa musique peut être complexe, syncopée, mutante. Et pourtant il émane de Nkisi une tendresse qui contraste avec la vigueur de ses productions sonores, et la force inébranlable de ses convictions. Car Melika Ngombe Kolongo n’est pas seulement l’artiste derrière les excellents EP’s « Kill » et « The Dark Orchestra », elle est aussi l’une des co-fondatrices de NON Worldwide, un collectif de musiciens issus de la diaspora africaine, qui crée des espaces d’échanges d’idées, d’information et d’expression pour des communautés qui n’ont « toujours pas droit à la parole ». Pour elle, musique et engagement politique ne se dissocient pas. Ils sont un langage qui transcende celui des mots, étroits et réducteurs.

Via la musique, Melika mène en effet un combat que livre aussi le collectif NON Worldwide, qu’elle a co-fondé en 2015 avec les musiciens Chino Amobi, et Angel-Ho. Le premier, qu’elle a rencontré à Londres, produit de la musique sous forme de « collage ». Son mode d’expression musical repose sur un patchwork de sons, dans lequel on trouve aussi bien jingle radios, conversations urbaines, fréquences ultra saturées, que synthés épiques…  « Avec NON, nous souhaitons créer notre propre monde, nos propres espaces de liberté et d’échange sans quémander l’accord des institutions ». Faisant le constat que les minorités, qu’elles soient de couleur, ou de genre sont vouées au silence, NON organise des performances, fait paraître des publications web ou papier aux slogans radicaux – tels que « Exorcise the Language of Domination », et invite tous ceux qui souhaitent briser les barrières physiques ou mentales qui séparent les êtres à y prendre part. « J’ai toujours été intéressée par les limites du langage, de la rationalité, de la justification. Nos histoires sont toutes liées, d’où que l’on vienne. Et puisque la communication entre les humains est biaisée par les stéréotypes, par les codes, alors il nous appartient de créer notre propre langage. On ne nous offrira jamais notre liberté, c’est à nous de l’arracher. Ma musique, NON, tout cela c’est la proposition de quelque chose d’autre. »

Née au Congo, mais ayant grandi en Belgique, c’est de Londres dont Nkisi tombe amoureuse il y a six ans. C’est là qu’elle a rencontré Chimo Amobi. Passionnée d’art, elle qui était venue présenter un projet sur l’art et le changement social y rencontre plusieurs collectifs locaux avec lesquels le contact est immédiat. « C’était politique, féministe, sensible à la question queer, aux problématiques raciales. C’est comme si j’avais trouvé une maison pour mes idées et ma créativité. Je posais pour la première fois le pied à Londres un mois de décembre. Le juillet suivant je m’y installais. Je suis assez impulsive ! » De rencontre en rencontre, elle « gagne confiance » en elle, exposant et partageant ses projets photographiques. Ce n’est qu’un peu plus tard qu’elle se mettra à la musique. Alors qu’elle travaille sur un projet impliquant internet et son potentiel démocratique, elle tombe sur une application qui permet de créer ses propres tracks.

« J’ai toujours eu une sensibilité pour les musiques un peu dark, techno, gabber. J’ai aussi eu une très forte connexion avec la scène doomcore locale. » Les productions de Nkisi sont en effet un carrefour d’influences qu’elle parvient à superposer avec une maestria qui interpelle. Entre sensibilité et puissance, des percussions africaines solennelles peuvent se mêler à des kicks rave euphoriques. Des synthés aux allures d’hymne hardcore sont parfois compensés par de sombres twists électriques, desquels peut émerger une voix sobre et douce : la sienne. Au sein d’un même morceau, tout peut arriver, et pourtant Nkisi ne commet pas l’erreur de trop en faire. S’il se dégage même une certaine harmonie de sa musique avant-gardiste, c’est qu’elle la considère bien comme un langage en tant que tel. La musique est pour Melika le vecteur primordial, qui brise les frontières et transmet de corps à corps l’énergie, la compréhension de l’autre, fait naître l’amour des causes, et ainsi le changement. « Qu’est-ce qu’être humain ? Quelles sont les frontières qui nous séparent ? Il est très difficile de répondre à cela par des mots. La musique, elle, dépasse tous les cadres, tous les codes. On peut communiquer à propos de ces questions via les fréquences sonores. »

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La pensée de cette productrice insatiable va plus loin. À son approche profondément humaniste de la musique s’ajoute une vision complexe, à mi-chemin entre psychologie et mysticisme. « Si ma musique est parfois imprévisible, c’est que je veux surprendre, bousculer le cerveau humain. Même musicalement, nous sommes conditionnés, habitués aux rythmes en 4/4. Si on te fait écouter trois temps, ton cerveau va naturellement prévoir, presque entendre le quatrième. Et si on brise ce schéma en jouant quelque chose d’inattendu, c’est la porte ouverte à plein de possibilités. » C’est en effet ce que Nkisi s’évertue à faire lors de ses nombreuses performances live : suprendre, pour mieux communiquer. « Je pense que cela marche de la même manière pour déconstruire les stéréotypes. » Ce style avant-gardiste, soutenu par une conviction forte, a séduit le grand maître de la musique futuriste Lee Gamble, qui a invité Melika à signer son prochain album VII Directions, sur son élitiste label UIQ.

« Pour ce nouvel album, je me suis inspiré de la cosmologie congolaise, notamment d’un auteur, Kimbwandende Kia Bunseki Fu-Kiau. Selon lui, nous entendons les choses sous forme de fréquences avant de voir. Ces fréquences, qui préexistent aux idées voyagent, se propagent, et si on arrive à les capter, alors on comprend le monde tout entier. Je me sens si proche de cette pensée. » Cet album, de même que son titre, est un tournant musical pour Nkisi. Si la syncope extrême des percussions demeure, l’ensemble est pur, presque immaculé. Dès le premier morceau, l’auditeur est happé par un vent sacré, dont le souffle est un murmure, une parole venue du fond du temps. Au fil de l’album, le mouvement explose, gagne en puissance sans jamais devenir chaotique. On ressort du septième track non pas abasourdi, perturbé, mais apaisé : les voix du monde ont parlé. Nkisi, par sa force, son talent et sa volonté, nous a mis sur la voie. Car ces voix ont toujours été là, seulement nous n’écoutions pas.

Nkisi se produira à la Gaîté Lyrique lors de la soirée SHAPE, le 16 novembre prochain. Son album, VII Directions, sortira sur UIQ le 7 décembre.

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