Les concerts du début d’été ont toujours une atmosphère particulière. Un peu moite, déjà. Il suffit que la journée soit belle pour que la salle devienne un four géant, où les effluves de transpiration se mêlent à celles de la bière que l’on renverse en dansant. C’est en quelques mots le portrait que l’on peut brosser du premier concert parisien sold out d’Isabella Lovestory, de passage au Point Ephémère ce lundi 29 mai 2023.
Vers un reggaeton féministe
On compte sur les doigts d’une main les artistes aux alias parfaits : Bonnie Banane, Honey Dijon, Muddy Monk… Isabella Lovestory en fait partie. Originaire d’Honduras, elle a sorti en octobre 2022 un excellent premier album intitulé Amor Hardcore, dont huit morceaux sur onze sont estampillés du terme “EXPLICIT”. L’équipe de Boiler Room, pour qui elle a fait un live à Barcelone, la présente comme la nouvelle princesse du perreo, une danse hispanique fortement rattachée au reggaeton. De l’espagnol “perro”, le chien, le verbe “perrear” se traduit vers l’anglais par “dogging”, qui donne son nom au doggy style. Une danse ultra-sexualisée et provocante, dont les codes sont clairement repris par Isabella Lovestory. On pourrait même l’inscrire dans la nouvelle mouvance du néo perreo, mis sur pied par une nouvelle génération de femmes, qu’elles soient danseuses, chanteuses ou musiciennes, qui s’attaquent aux codes ultra-machistes traditionnellement associés au reggaeton – à l’instar de la Catalane Bad Gyal ou Ms Nina (qui a collaboré avec Isabella Lovestory sur le titre “Gateo”).
Née au Honduras dans une famille de créatif·ves (son père était DJ), Isabella Rodriguez (à la ville), passe son adolescence à scroller sur Tumblr tout en écoutant Uffie et Crystal Castles dans sa chambre. Son premier amour n’est pourtant pas la musique, puisqu’elle se projette plutôt dans une carrière d’artiste plasticienne, voire de peintre. Les tréfonds de son feed Instagram le prouvent : Isabella passe son temps à dessiner des compositions abstraites et colorées, qui fondent aujourd’hui la base de son univers visuel, à l’instar de la pochette de son premier album, Amor Hardcore.
On peut facilement voir se dessiner le parcours qui mène Isabella Lovestory à poursuivre une carrière artistique. À l’âge de huit ans, elle connaît un premier déménagement, quittant le Honduras natal pour les vallées de l’État de Virginie, sur la côté Est des États-Unis. Le choc culturel est brutal, trop brutal. Isabella se mue rapidement en une enfant renfermée et presque timide. C’est à cette époque que Tumblr devient son espace de recueillement, où elle peut construire ses propres univers esthétiques, qui imprègnent aujourd’hui son style musical. À peine quelques années plus tard seulement, il est à nouveau temps de déménager, cette fois-ci pour le Canada, et sa ville bilingue par excellence : Montréal. Le décor change complètement, et la vie culturelle encore davantage, offrant à l’adolescente et artiste en devenir, de multiples possibilités.
La naissance d’une bad bitch
Après le lycée, Isabella s’inscrit dans une école d’art, dont elle se lasse pourtant bien vite. L’inaccessibilité et le mépris de ce monde l’agace, si bien qu’elle diverge doucement vers la musique, jusqu’à sortir son premier EP en 2019, Humo. Auto-tune et synthétiseurs robotiques s’y mêlent sur une production teintée de mélancolie. Le thème de la fête, omniprésent dans ses titres suivants, prend racine dès le premier single éponyme.
Quatre ans à peine après la sortie de son premier morceau, Isabella Lovestory peut se targuer d’avoir enflammé la scène du festival Pop Montréal, référence incontournable dans la ville canadienne, d’avoir collaboré avec le Britannique Mura Masa sur son album demon time, et même, plus récemment, d’avoir remixé la DJ et productrice polonaise VTSS. Déployant une musique mêlant pop et reggaeton, Isabella Lovestory s’est construit un personnage épicurien, émancipé et excessif, qui embrasse sa propre objectivation (sur scène, elle se déshabille d’un morceau à l’autre, pour finir le set en sous-vêtements brillants). “Baby, yo soy una bad bitch” scande-t-elle sur “Cherry Bomb” tout en affirmant “Sexo, amor y dinero / Eso es lo que quiero” sur “Sexo Amor y Dinero”. En français : “Bébé, je suis une bad bitch” et “Le sexe, l’amour et la thune / C’est tout ce que je veux”.
Co-produit par le producteur chilien Kamixlo, petit-ami de l’artiste à la ville et collaborateur du Suédois Bladee, les productions d’Amor Hardcore semblent tout mélanger, des guitares metal aux basses bien sales. En résulte un album pop mâtiné de sonorités reggaeton qui marque les premiers pars d’une artiste qui a toutes les cartes en main pour devenir une icône.