Le directeur de la Condition Publique, établissement culturel basé à Roubaix, va lancer une saison « laboratoire » sur l’habitat baptisé Habitarium, du 29 mars au 8 juillet 2018. Outre le fait de penser l’habitat de demain, ce rendez-vous va permettre d’engager une réflexion sur les grands enjeux de la créativité culturelle à travers le logement. Les questions dépassent le simple cadre de l’habitat, et interrogent sur le futur des lieux culturels et alternatifs.
En quoi va consister Habitarium ?
Habitarium va être une exposition qui rend compte du travail engagé depuis un an et demi avec une variété d’acteurs. On va présenter des installations artistiques, des projets en design ou en architecture. L’objectif étant d’avoir différentes visions sur un même sujet : l’habitat. On va aussi fabriquer un camping avec Yes We Camp sur le toit de la Condition Publique. Ce sera un chantier participatif qui se terminera pour le début de l’expo en mai. Et il sera en place jusqu’au quinze juillet. On ouvrira le camping au public les vendredis et samedis soirs, ainsi que les veilles de jours fériés (vous pouvez réserver votre place de camping sur le site de la Condition Publique). On veut y développer un temps festif et convivial avec des barbecues et des programmations musicales. On va convier des collectifs locaux de musique électronique comme Art Point M ou Electric Circus et des labels comme Alouette Street Records.
Quel est le lien entre habitat et musique électronique ?
Je pense que la question de l’habitat est centrale, tout le monde est concerné. C’est surtout un noeud de rencontre entre des gens très différents. Cela pose la question de la façon, dont on vit, des nouvelles formes de socialisation. On passe assez facilement de la question de l’habitat à une réflexion sur la communauté. Pour les artistes qui vont exposer à Habitarium, la question est totalement légitime. On a travaillé sur le sujet avec des auteurs, des photographes, des plasticiens…
On note une montée des tiers-lieux, ces endroits hybrides combinant le travail, l’offre culturelle et parfois même le logement. C’est ça l’habitat du futur ?
Cette révolution concerne aussi les lieux culturels. A la Condition Publique, c’est ce qu’on essaye de faire. On veut être un laboratoire créatif qui est à la fois lieu d’événements culturels, un lieu de travail, d’innovation sociale. Un endroit où les habitants font leur potager sur le toit, où on organise des ateliers culinaires avec les enfants. On a aussi des bureaux occupés par différents collectifs d’artistes, des associations qui oeuvrent dans la musique actuelle, un FabLab… C’est un lieu de communauté créative. On a de plus en plus d’espaces comme celui-là, à cheval entre différentes fonctions de la vie.
“Il faut beaucoup de dialogue, d’écoute et de bienveillance avec les festivaliers et les voisins”
Il y a de plus en plus de réflexion sur les lieux pour organiser des soirées et sortir du schéma des clubs. Quels sont les défis à relever pour développer ces lieux alternatifs ?
Le défi principal, c’est de parvenir à faire vivre ensemble des gens qui n’ont pas le même rythme de vie. À la Condition Publique par exemple, on accueille le NAME festival, organisé par Art Point M. Le lieu est parfait pour le faire, mais il est installé au sein d’un milieu urbain avec des familles et une majorité de la population vivant sous le seuil de pauvreté. Donc quand à 4 heures du matin, 4.500 personnes sortent de soirée et commencent à uriner sur les portes, c’est compliqué. C’est pour cela qu’on a décidé de plutôt finir à 6 heures du matin. Il faut beaucoup de dialogue, d’écoute et de bienveillance avec les festivaliers et les voisins. Mais c’est un dialogue que l’on ne peut avoir que si on a une offre variée avec des événements pour tout le monde. Nous sommes des interlocuteurs valables, on ne négocie pas seulement le droit de faire la fête. Nous voulons nous inscrire dans la construction d’une vie avec le quartier. C’est d’ailleurs là que réside peut-être la solution, en faisant tomber les cloisons des communautés. Si on se comprend, on peut plus facilement tolérer.
Ces lieux alternatifs sont intéressants, mais parfois chers. Quel modèle économique peut-on suivre pour ne pas être excluant ?
Nous sommes un lieu subventionné donc nous arrivons à produire des événements à des coûts raisonnables. Il y a quand même une hyperconcentration de l’attention du public sur les quelques stars qui émergent. Il faut forcément des têtes d’affiche pour remplir une salle et ça entraîne un prix exorbitant. J’ai vu des DJs qui prenaient 30.000 euros pour deux heures de set. C’est compliqué de faire un plateau sans mettre trop d’argent. Je pense que c’est plus facile pour les lieux avec une jauge plus réduite. Pour le NAME, on monte à 4.500 places, on se place un peu en intermédiaire. Soit on fait 10.000 places et on peut faire un beau plateau, soit on fait 500 et on a moins de mal à remplir. Après, je ne pense pas que le prix soit le facteur excluant de ce type de soirées. Il y a parfois une forme de peur des lieux culturels. Il y a tellement de choses associées à la musique électronique que beaucoup ne franchissent pas le pas. Mais c’est pareil dans l’autre sens. Par exemple, les amateurs de musiques électroniques ne sont pas forcément à l’aise à l’idée de faire un festival metal, mais, une fois là-bas, on s’y plaît. Je pense qu’il faut mobiliser le public par la médiation et la création culturelle.
“Vous connaissez un seul quartier gentrifié qui n’a pas commencé par l’implantation d’artistes alternatifs ?”
Beaucoup de lieux abandonnés sont utilisés pour les soirées. Faut-il les laisser en l’état ou les repenser ?
Il n’y a pas de réponse absolue, chaque lieu a sa particularité, qui fait qu’on peut y mener telle ou telle action. Il y a quand même un risque de se tromper, donc il ne vaut mieux pas partir sur quelque chose de trop stable. Je suis un partisan de l’expérimentation, tester des projets et voir si ça fonctionne ou non. On pourrait créer des lieux où faire la fête, où manger… Parce qu’outre le lieu, il y a aussi l’histoire et l’environnement qui comptent. Je crois beaucoup à l’expérimentation urbaine plutôt que de poser un long temps de concertation de trois ans avant d’en faire quelque chose d’irréversible. Par exemple, la place devant la Condition Publique était un véritable crottoir à chien, complètement laissé pour compte. On a décidé d’expérimenter la réinvention de la place à l’occasion d’un festival. Ça a duré seulement trois jours, mais ça a ouvert une piste de réflexion et la mairie pense désormais à réorganiser la place de manière pérenne.
Justement, les pouvoirs publics font-ils ce qu’il faut pour l’urbanisation ?
Il y a une prise de conscience sur le fait que les modèles de l’urbanisme d’avant ne sont plus d’actualité. Ils veulent passer par un modèle plus participatif avec de la co-construction et plusieurs acteurs sur un projet. C’est aussi parce que les moyens se raréfient et qu’il faut donc plus réfléchir. Avant, on avait un lieu à transformer, on avait l’argent et on le faisait directement. Maintenant, il faut expérimenter. Il n’y a qu’à voir le projet des gares du Grand Paris, ils ont passé des commandes à plusieurs collectifs.
Ces dernières années, on voit beaucoup de gentrification. Comment lutter contre ce qui peut être un phénomène de frein à la culture alternative ?
Vous connaissez un seul quartier gentrifié qui n’a pas commencé par l’implantation d’artistes alternatifs ? Les artistes à la base du phénomène en sont ensuite victimes et sont obligés de partir. Les mécaniques de gentrification nous dépassent tous, on a beau essayer de les arrêter, mais elles sont en oeuvre. La préoccupation principale doit être de favoriser des liens diversifiés au sein même d’un quartier plutôt que de vouloir les rénover complètement. La Condition Publique est installée au coeur d’un quartier marqué par la pauvreté et notre rôle est de rassembler des publics différents. Il faut qu’on trouve une complémentarité entre acteurs culturels et qu’on travaille ensemble. C’est une tâche perpétuelle, on ne doit pas se satisfaire d’un seul résultat positif. De toute façon, on ne réussira jamais complètement, mais on est sur la bonne voie, car on est de plus en plus d’acteurs culturels à vouloir créer du lien.