Pourquoi “120 battements par minute” est LE film sur l’action anti-sida et les débuts de la house en France

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©120 battements par minute
Le 02.03.2018, à 10h38
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©120 battements par minute
Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©120 battements par minute
Depuis samedi matin, difficile de passer à côté de 120 battements par minute. Le film de Robin Campillo a bouleversé la croisette lors de sa projection à Cannes, recevant les éloges de la presse et se positionnant comme sérieux candidat à la Palme d’Or. Il raconte l’histoire de l’association Act Up-Paris, qui au début des années 90 s’est battue contre l’homophobie et pour la reconnaissance du sida, alors que le virus et sa prévention étaient un sujet tabou. Inséparables de la culture gay à cette époque, le clubbing et la musique électronique occupent une place importante dans ce récit, dont la bande-son a été orchestrée par Arnaud Rebotini. Didier Lestrade, cofondateur de la branche parisienne d’Act Up, journaliste à Têtu et premier journaliste à avoir couvert l’arrivée de la house et la techno en France pour Libération, porte un regard sur le film et sur la place de la musique électronique dans le militantisme gay. Par Angelina Paolini

Je voulais associer Act Up et le militantisme à la house. La musique était un média politique.

Vous avez assisté à la projection du film à Cannes. Qu’avez-vous pensé de cet hommage de Robin Campillo, qui faisait également partie de l’association Act Up, à l’association que vous avez défendue durant toutes ces années ?

J’étais dépassé, très ému et j’ai trouvé ça génial ! Robin Campillo et Philippe Mangeot (président d’Act Up-Paris de 1997 à 1999, ndlr) m’avaient fait lire le script il y a environ un an, et je leur ai fait totalement confiance sur l’histoire et la continuité des événements. Au départ, j’étais très étonné de voir un aussi beau réalisme, un film qui parlait autant de nous. Il y a déjà eu des films qui parlaient de l’épidémie du sida où on voyait Act Up, mais celui-ci est une création qui m’a chamboulé. C’est n’est pas un documentaire mais une réelle interprétation sur ce que l’on a vécu à Paris il y a quelques années. C’est d’ailleurs, la première fois qu’on parle de l’impact qu’a eu Act up sur la société française.

Pourquoi est-ce important aujourd’hui de sortir un film sur les débuts d’Act Up ?

Le jour de la projection, il y a eu une véritable connexion, quelque chose s’est passé. J’étais d’ailleurs surpris par la réaction du public, c’était au-delà des espérances. Le sujet s’adresse aux générations futures, et pour ce 30e anniversaire, il est important de se rappeler du succès militant d’Act Up.

L’actrice française Adèle Haenel en meneuse de foule et Antoine Reinartz incarnant votre propre personnage. Qu’avez-vous pensé de ce casting ?

Je ne m’y connais pas trop en cinéma, mais je trouve Adèle Haenel incroyable. Elle a parfaitement compris le rôle de cette jeune femme qui a fait beaucoup pour le droit des femmes lesbiennes. Je trouve que ça montre bien qu’Act Up n’est pas qu’une association de gays mais aussi de lesbiennes. Malheureusement, je n’ai pas eu le temps de la féliciter. Concernant Antoine Reinartz, on s’est vus vendredi soir, nous avons une vraie relation d’amitié. Les réalisateurs ont eu beaucoup de problèmes à trouver un acteur pour me représenter, et je trouve qu’Antoine a su très bien adapter mon personnage au cinéma. De toute façon, je n’étais pas inquiet, je considérais que c’était une œuvre artistique et que l’on pouvait “m’utiliser” sans problème.

Le Monde écrit que le Grand théâtre de Cannes était en larmes à la suite de la projection du film, qui avait été vécu par beaucoup comme une bouleversante tragédie. Pourquoi des réactions si fortes ?

Dans le public était présente toute une génération qui a connu Act Up ainsi qu’une nouvelle génération qui prenait conscience de ce qui s’est passé. C’est certes un film fait par des personnes de 50 ans, mais il est aussi dédié aux jeunes afin de leur transmettre cette histoire. Dans les années 90, Act Up était quand même très important aux États-Unis et en France. Ce qui est génial quand on regarde ce film est qu’on comprend tout par de simples images. On parle de la maladie et on montre le sida sous tous ses aspects, avec des images parfois difficiles. Aujourd’hui, le sida est un problème dont on a pris conscience, notamment grâce au travail de l’association ; il y a eu un sentiment de reconnaissance dans la salle. Le propos du film est de susciter une envie militante. Et puis, l’on s’identifie aux personnages, surtout aux petits rôles qui sont beaucoup mis en avant. Campillo a choisi des acteurs inconnus, et la majorité d’entre eux sont gays. C’est un principe politique qui ressemble à ce qu’a fait Spike Lee dans certains de ses films, où tous les acteurs sont afro-américains. Le fait de donner le rôle à des jeunes, de les emmener à Cannes contribue à leur engagement. C’est qui est intéressant, c’est que ce ne sont pas des professionnels. Le casting est très sincère.

Avez-vous participé en amont à la conception du film ?

Non j’ai juste lu le script. Le cinéma n’est pas mon domaine, c’est un monde avec beaucoup de magouilleurs, comme les médias d’ailleurs, et je sais que c’est difficile de trouver sa place. Je suis journaliste et ce sont mes amis, je leur ai fait confiance. Je ne vais pas intervenir dans quelque chose que je ne connais pas. J’ai beaucoup fait confiance au travail de photographie de Robin, toute l’esthétique du film est très réussie. Outre le travail photographique, celui sur la bande-son est très recherché, et je connais déjà ce que fait Arnaud Rebotini. J’espérais être impliqué un peu plus dans la musique, puisque j’y ai consacré la moitié de ma vie : mon travail de journaliste musical m’a fait écrire des chroniques sur le mouvement dance, notamment chez Libé et Gai Pied.

L’arrivée de la house était un mouvement de revendication.

Les critiques rapportent que 120 BPM présente de belles séquences de clubbing, avec cette bande-son en hommage à la house des années 90. Arnaud Rebotini concourt d’ailleurs à la compétition parallèle «  Cannes Sountrack ». Comment la musique a-t-elle été intégrée dans le film ?

Arnaud Rebotini et Robin Campillo ont une véritable relation de travail, et ce n’est pas la première fois puisqu’il avait fait la bande-son d’Eastern Boys en 2014. Il s’est inspiré de la musique de l’époque en la remixant de façon simple et épurée. D’habitude, je chipote beaucoup sur la manière dont les scènes de clubs sont représentées dans les films, c’est souvent catastrophique. Là, je les ai trouvées très réussies.

Les communautés gays ont participé à la popularisation de la musique électronique en France avec des clubs comme le Queen ou Le Boy, comment l’expliquez-vous ?

Ça, c’est mon grand sujet ! Si on remonte dans les années 80, on parlait beaucoup de rock alternatif. Quand je suis arrivé à Gai Pied, j’ai voulu écrire ma première chronique sur la musique électronique, et je leur disais que c’était ça qu’écoutaient les gays ! Quand est arrivée la house, après la disco, le premier groupe social qui a adopté cette musique a été les blacks, puis la communauté gay. Il y avait une association directe entre les gays et la house.  D’ailleurs, les premiers morceaux de house parlaient de liberté et avaient ce double sens comme le titre “Promised Land” de Joe Smooth. L’inspiration de la liberté des gays était la même que l’inspiration de la liberté de la communauté noire aux États-Unis. C’était ce désir d’échappatoire qui a fait que les gays se sont retrouvés facilement dans cette société de la nuit. La house, c’était une nouvelle façon de danser dans de nouveaux endroits, dans un lieu où on découvrait tous la même chose.

Quel a été le rôle de la musique électronique dans le militantisme d’Act Up ?

Le titre 120 BPM me correspond, puisque ma première chronique de musique, au milieu des années 80, s’appelait BPM. J’ai beaucoup écrit sur la house, je voulais associer Act Up et le militantisme à la house. Je trouve ça bien que 30 ans après, le titre porte le sens de l’association. La musique s’insère progressivement dans l’intrigue et le militantisme. Act Up est arrivé fin 89, en même temps que la house music. J’ai compris que l’arrivée de la house était un mouvement de revendication. La musique était un média politique, la house était engagée. Au début des gay prides, Act Up avait un des plus grands cortèges où chacun dansait avec des slogans comme “Danser = Vivre”.

Cette notion de revendication de la communauté gay des années 90 par le biais du clubbing perdure-t-elle aujourd’hui ?

J’ai passé ma vie à danser et je trouve qu’aujourd’hui on insiste beaucoup trop sur le look des gens. À mon époque, tu sortais en club avec juste un jean et un tee-shirt, on ne « s’habillait » pas pour sortir.  Il y avait un sentiment de communauté, on était tous pareils, gays et hétéros mélangés. Désormais je suis plus intéressé par ce qui se passe au niveau musical à l’étranger. L’image a changé, les clubs gays passent de l’EDM et on fait attention à son apparence, c’est devenu beaucoup trop fashion !

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