Pour la première fois, l’underground de Montréal se fédère pour sauver la nuit locale

Écrit par Alexis Tytelman
Photo de couverture : ©D.R
Le 19.06.2019, à 16h21
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Écrit par Alexis Tytelman
Photo de couverture : ©D.R
En mai dernier, la scène underground de Montréal faisait front face aux pouvoirs publics lors d’une conférence organisée par le festival Chromatic et Trax Magazine. Un évènement inédit pour une scène électronique dont les multiples frustrations ont abouti à une pétition qui, aujourd’hui, rassemble près de 1300 signatures. Retour sur cette actualité charnière pour le milieu de la nuit montréalaise en compagnie de Matthieu, membre du collectif MTL 24⁄24 et la DJ Softcoresoft.

Les touristes ayant déjà visité la ville de Montréal se sont sans doute déjà posé cette question : pourquoi ne peut-on pas consommer d’alcool en club après 3 heures du matin ? Difficile à accepter, pour un fêtard européen habitué à des formats 23h-6h et des mètres-shots commandés sur le tard. Plus généralement, la régulation du monde de la nuit apparaît comme obsolète, voire absurde pour la majorité des organisateurs de soirées et collectifs undergrounds de la métropole canadienne. 

Confrontés à de multiples difficultés liées à la vente d’alcool, l’absence de lieux correctement aménagés et les relations conflictuelles entretenues avec la police, plusieurs d’entre eux ont décidé d’interpeller les pouvoirs publics à l’occasion d’une conférence organisée conjointement par le festival Chromatic et Trax Magazine. Réunissant acteurs du monde de la nuit, représentants de la ville ainsi que le directeur de publication du magazine Jean-Paul Deniaud autour de la question « Quel avenir pour la nuit montréalaise ? », cet évènement a été le théâtre d’une petite révolution. La scène montréalaise s’est ensuite mise à parler d’une seule voix pour faire entendre ses revendications. Une prise de conscience qui a accouché, peu après la conférence, d’une pétition aussi vite livrée à la commission de la culture locale. Retour sur l’étincelle à l’origine d’un dialogue inédit entre deux mondes qui, auparavant, avaient tendance à se regarder en chien de faïence, avec Matthieu, membre du collectif MTL 24⁄24, et Leticia Trandafir, alias DJ Softcoresoft.

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Pouvez-vous rappeler le problème principal, selon vous, de la nuit à Montréal ?

Matthieu : Je pense qu’on a avant tout un problème de lieux équipés et propices aux évènements électroniques. Il n’y en a pas assez, et quand il y en a, le bar ferme à 3h, donc la soirée est trop courte. C’est tout à fait illusoire, voire de mauvaise foi, de croire que les gens vont rester de 3 à 6h dans un espace fermé sans consommer une goutte d’alcool, donc le format n’est pas idéal. Le public se tourne donc vers des soirées illégales, et les organisateurs font parfois l’impasse sur la légalité. La police est très peu tolérante vis-à-vis de ça.

Leticia : Je rajouterais que tout cela crée une “éphéméralité” des évènements à Montréal qui porte préjudice à la scène. Les annulations, interruptions par la police, ce flou sur le respect de la législation fait qu’il est très difficile de construire de vrais rendez-vous. Ça évolue par cycles de 2 à 4 ans, avec un collectif qui domine la scène avant d’exploser en plein vol… En même temps, peut-être que certaines personnes aiment ce côté éphémère. Mais il faut reconnaître que ce n’est pas idéal pour les artistes et le public. 

Comment se passaient les relations entre les différents collectifs avant la conférence et pensez-vous que les choses aient évolué depuis ?  

Leticia : Selon moi, il y avait un mélange de concurrence et de méfiance dans une scène dont il faut rappeler qu’elle est relativement petite. Les gens se connaissent, savent que les autres existent. Après la conférence, de nouvelles connections se sont faites, et un dialogue a émergé. Même si on n’est pas dans le même genre musical avec d’autres collectifs, on a l’impression que ça commence à bouger. Par le passé, on essayait déjà au minimum de ne pas se marcher dessus les soirs où plusieurs crews voulaient monter une soirée. Mais j’ai l’impression que la conférence a un peu joué un rôle d’accélérateur là-dessus.

Matthieu : Tout le monde s’est mis à se parler, alors que le problème à Montréal, c’est que les gens travaillaient beaucoup en vase clos. En fait, on s’est rendu compte qu’on avait tous les mêmes problèmes avec la ville, la police, les pompiers. Ça nous a fédéré.

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Était-ce la première fois que vous étiez face aux pouvoirs publics ?

Leticia : Non ce n’est pas la première fois. À Montréal il y avait déjà eu des conférences sur les mêmes thèmes avec des acteurs différents. Et chacun de notre coté, on avait déjà rencontré des acteurs de la ville. Mais je pense que cette conférence a été particulièrement féconde pour le dialogue au sens où, pour la première fois, nous nous sommes structurés et avons mis sur la table ce que l’on souhaitait pour la ville, sa jeunesse et notre culture.

Matthieu : Je connaissais déjà plusieurs des intervenants, donc ce n’était pas une première pour moi. Mais je rejoins Leticia : c’est la première fois que la scène s’est fédérée pour exprimer son ras-le-bol. La pétition a été déposé peu après cette rencontre. À peu près 1200 personnes l’ont signée à ce jour, incluant plusieurs acteurs clés de Montréal (organisateurs d’Igloofest, patrons de clubs…). Ça fait 10 ans que le sujet était sur la table et, a contrario d’autres villes, il n’y a pas eu de gestes concrets, ni “d’états généraux de la nuit” comme à Paris.

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Où en est la procédure ?

Matthieu : La pétition a été remise à la commission de la culture de Montréal, qui fournira ses recommandations au maire en septembre. Ce sera ensuite à la ville d’agir sur la base de ces recommandations. En attendant, on continue de discuter et de s’organiser. On réfléchit notamment à organiser notre propre “sommet de la nuit” pour faire vivre le dossier.

Leticia : Les gens n’ont pas eu assez de temps pour parler durant la conférence, donc il y a eu une saine frustration. On a tous envie de se remettre autour de la table dans un contexte qui laisse à chacun la possibilité de s’exprimer pour créer cet agenda de la nuit montréalaise, à la fois sur le plan politique et festif.

Pensez-vous que cette conférence ait eu des échos au niveau national canadien ou, à défaut, dans d’autres villes ? 

Leticia : Le Canada est un grand pays, donc de là à dire que la conférence a eu un écho national, je ne m’avancerai pas. Par contre, d’autres villes rencontrent les mêmes problèmes que nous et commencent doucement à s’organiser. Par exemple, très récemment à Vancouver, il y a eu un autre épisode du style. Un promoteur immobilier rachetait tous les bâtiments inoccupés, empêchant les collectifs underground de trouver des lieux pour s’exprimer. La scène locale est en train d’organiser une rave devant chez lui pour protester. En revanche, on a reçu beaucoup de soutien, à la fois de Trax, qui a joué les intermédiaires tout en nous apportant son expérience du dossier en France, d’autres Canadiens, mais aussi de Français qui ont signé la pétition. Ça nous a beaucoup touché.

Matthieu : Plus globalement, le Canada et les Etats-Unis dans leur ensemble ont de grands problèmes avec la gestion de la vie nocturne à cause, entre autres, de la législation sur les débits d’alcool. Cela freine le développement de nos scènes et, par extension, la vitalité de nos cultures.

La pétition, toujours disponible ici, propose trois idées pour encadrer la vie nocturne de Montréal. D’abord, l’organisation d’états généraux pour défendre les droits et intérêts des acteurs du milieu, la création d’un guichet public chargé de délivrer des autorisations de vente de boissons alcoolisées après 3h du matin et, enfin, la création de permis d’alcool permanents pour les bars et les clubs.

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