À la rencontre de Vincent Privat, cofondateur du disquaire Dizonord et dénicheur d’or

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Guillaume Blot
Le 08.02.2022, à 11h58
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©Guillaume Blot
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Alors que le disquaire-shop parisien a dézoné depuis cet été une antenne à Marseille, Trax y est allé retrouver l’un de ses visages emblématiques, véritable tête chercheuse d’objets musicaux en tous genres. Mais pas que.

Texte et photos par Guillaume Blot, à Marseille

Rue Consolat, le soleil tombe orange et bas en cette fin d’après-midi d’automne marseillais. Au niveau du 42, une silhouette à lunettes rentre à travers une “petite porte” bleue, stickée Dizonord. Vincent Privat aurait pourtant pu arriver par la grande, dans ce nouveau shop labellisé – et à Marseille plus globalement – tant son travail de trouvailles est reconnu et respecté. Un parcours tel que trois heures d’interviews et de photos auront à peine suffi pour en dessiner les contours.

C’est calé dans son nouveau chez lui que nous reçoit d’abord l’ancien Parisien, né à Uzès dans le Gard : « J’ai voulu retourner dans le sud. Marseille et sa scène musicale matchaient bien, notamment au niveau des musiques électroniques. Ici, ça joue rapide et dur, avec une bonne vibe club. Et puis avec Dizonord on avait suffisamment de vinyles en stock pour ouvrir un deuxième magasin ». Un double emménagement, avec pour le shop un premier espace quartier Cours Julien tout l’été, dans le local d’Agent Troublant, puis en octobre une installation espérée plus durable à l’adresse actuelle de Réformés – Canebière. « Dizonord Paris reste toutefois la maison-mère, il faut voir la boutique de Marseille comme un satellite », tient à préciser Vincent.

©Guillaume Blot
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La galaxie du “DIsquaire de la ZOne NORD” naît, elle, en 2019, quand Xavier Ehretsmann – alors gérant du shop La Source à République (Paris) et dénicheur de musiques à tendance électroniques – et lui décident d’ouvrir un magasin ensemble, rue André Messager à Paris. « Après mes études en Histoire de l’Art, je me suis mis à digguer des disques assez rares lors de mes voyages, en Europe et Afrique notamment. Je revendais ensuite ces disques à des passionnés, comme des DJs de passage en France. Puis ça s’est davantage formalisé, et avec Xavier on a décidé de mettre nos connaissances et nos stocks en commun quand s’est présentée l’opportunité d’un local dans le 18ème arrondissement  », détaille le jeune trentenaire.

Des locaux pour les locaux

Dizonord Paris prend alors la forme d’un disquaire à facettes plurielles où l’on trouve autant des vinyles, des K7, des CDs, que des VHS, des livres et fanzines ou tout un tas d’autres objets en lien avec la musique et la culture pop des années 90-2000. Le 9 rue André Messager devient également un lieu de rencontres et d’événements, pour les artistes notamment qui y organisent leur release party, mais aussi pour les enfants du quartier, à travers divers ateliers gratuits. « Ces deux derniers mois, les enfants ont vu comment construire un ocarina (NDLR : petit instrument à vent) en forme de dinosaure en terre cuite ou un saxophone avec des tuyaux de plombier », se souvient Xavier, avant de poursuivre : « L’un des plus gros succès a été le cours de scratch par DJ Feadz, tous les parents voulaient venir », sourit-il encore. Un engagement fort pour la jeunesse et le local, qui s’éloigne parfois du quartier, comme lors du dernier festival Positive Education à Saint-Étienne, où Dizonord était invité à orchestrer une programmation exclusivement dédiée aux enfants, en collaboration avec Radio Minus.

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Cette passion pour les chants d’oiseaux est née d’un disque sur lequel on est tombé, dont les sonorités ressemblaient clairement à de la musique électro expérimentale.

Vincent Privat

En parallèle, le duo continue son maxi boulot de recherches. « On a dû accumuler pas moins de 15 000 références de vinyles, disques, K7, dont certains styles très précis, comme l’Afro Cosmic qu’affectionne bien Xavier. Parfois on retrouve des musiciens qui ont arrêté, on redistribue leurs disques, on fait revivre à notre échelle leurs sons, on a un rôle de transmetteur », commente Vincent. Et une casquette d’archiviste même, quand on regarde les près de 5 000 documents ornithologiques amassés ces dernières années : « On a acheté une énorme collection de disques de chants d’oiseaux, notamment auprès du bioacousticien Jean Roché. Cette passion est née d’un disque sur lequel on est tombé, “Oiseaux du Venezuela”, dont les sonorités ressemblaient clairement à de la musique électro expérimentale. J’y ai pris la claque de ma life », se souvient le Gardois.

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Leur approche se veut également patrimoniale pour certaines séries : « J’ai récemment trouvé des affiches très rares sur la culture occitane. Là, clairement on ne va pas les dispatcher. On aimerait les transférer à une institution pour qu’elles soient conservées. Idem pour un ensemble de disques syriens qu’on a pu léguer à la Mairie de Paris. C’est hyper gratifiant pour nous de contribuer à cet archivage », témoigne Vincent.

Quand Xavier et Vincent décident de les conserver, leurs collections musicales peuvent aussi prendre la forme d’une exposition ou d’un livre, ou les deux comme ce fût le cas récemment avec leur compilation de flyers de rave party des années 90. Un cas d’école côté déclinaison, avec un superbe fanzine maquetté par la graphiste Julia Von Dorpp – spécialiste en « communication des raves » – qui admet avoir galéré dans la sélection tellement la série était fascinante « par sa diversité et sa beauté ». L’été dernier, une expo à Marseille était aussi organisée en marge d’un événement dédié à l’univers graphique des fêtes électroniques en France.

Nouveau terrain de recherches

À Marseille, le néo-arrivé expose davantage ses « propres » collections. « J’ai toujours accumulé beaucoup de choses, et ça vient par vagues. Là, j’ai réussi à mettre la main sur les catalogues d’un Sarthois qui a amassé plus de 5 000 étiquettes de fruits, tu sais celles qui sont collées dessus. Mais bon je suis dég’, j’ai loupé l’achat d’un lot de 700 jouets Macdo des années 90 », se désole-t-il presque, avant d’expliquer : «C’est qu’en ce moment je m’intéresse pas mal à l’univers des jouets vintage, genre Tortues Ninja. » Une collection de Donatello, Michelangelo & co qui impressionne déjà son collègue Antoine Fontaine : « En tant que fan du Comics, ça fait rêver ! » et de prendre de la hauteur sur ces compilations : « Je dois avouer que j’étais d’abord bien intrigué il y a quelques années quand il me montrait son cabinet de curiosités. Mais je réalise maintenant qu’il arrive à trouver une vraie cohésion entre tout ce qu’il chine, d’un ensemble à l’autre, c’est fort ! »

J’aime bien l’art brut et populaire, le second degré aussi, mais avec beaucoup de respect surtout.

Vincent Privat

Vincent admet pourtant ne pas avoir de vraie règle dans ce qu’il achète, si ce n’est une dimension esthétique, sociale ou culturelle en fil rouge : « J’aime bien l’art brut et populaire, le second degré aussi, mais avec beaucoup de respect surtout ». Et joignant le geste à la parole, il se lève soudainement de l’interview pour aller chercher un objet de sa déco : « Comme cette jarre avec un Donald peint à la main dessus, typiquement, que j’ai dénichée sur une brocante et pour laquelle on s’est pas mal moqué de moi (rires). Et bien elle a fini dans un musée en Belgique (NDLR : au Art et Marges Musée à Bruxelles) à travers une expo sur l’art brut et les États-Unis ! Je l’adore. »

©Guillaume Blot

Figurines E.T., Pogs, distributeurs Pez ou encore verres à moutarde siglés : Vincent a la collection variée, qu’il déniche sur les brocantes ou en ligne. « Les plus durs à trouver, ce sont les objets éphémères, ceux qui n’étaient pas voués à être gardés, comme les boîtes à biscuits BN ou les jouets cadeaux dans les paquets de Kellogg’s », admet-il toutefois. La plupart des pièces sont ensuite mises sous Excel, puis revendues chez Dizonord. « C’est parfois difficile de se séparer de certains objets, disons que je ne garde pour moi que ce qui me touche vraiment ! », tempère-t-il. Et côté trésorerie ? Vincent concède que « le shop est sur un équilibre économique fragile, mais comme on le fait avec passion, les gens nous aident, sont conciliants. Je me souviens que pour acheter les disques d’oiseaux, les revendeurs étaient limite d’accord pour qu’on paye en dix fois ! »

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Titulaire indiscutable au poste de récupérateur et surtout dénicheur de musiques, Vincent est également un passeur décisif : « J’aime bien jouer en teuf les musiques que je trouve, notamment celles qui touchent aux cultures traditionnelles et régionales françaises, mais aussi des morceaux d’inspiration médiévales. Lorsque le lieu est adapté et que le public est réceptif, ça peut faire de très belles fêtes, et ça permet de faire connaître un patrimoine musical méconnu ! », plaide-t-il.

Celles et ceux qui ont eu l’opportunité de l’écouter à la ZDA 2020 avec un mix cévenol ou cet été 2021 au Sacho Festival via un set de musiques tradi françaises « en mode dancefloor » s’en souviennent certainement encore. « J’avoue c’était la méga-teuf au Sacho, le public était content d’entendre de la musique du coin, dans un cadre exceptionnel, ça fait plaisir quand la mayonnaise prend comme ça ! », se souvient celui qui a également participé au rayonnement musical du Gard en jouant au stand du département lors du Salon de l’Agriculture, doublé 2019 et 2020.

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Et lui de vouloir encore pour quelque temps cultiver ce goût des musiques anciennes : « J’ai à peine soulevé le couvercle de ces sons régionaux, je pense travailler dessus encore un bon moment », se plaît à imaginer Vincent, master-chercheur en trouvailles, et pas des plus académiques.

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