Texte : Simon Clair
Photos : Hugo Denis-Queinec
Stylisme : Audrey Le Pladec
Il faut bien reconnaître que ce n’était pas vraiment le plan initial. Rien ne prédestinait en effet François X à devenir DJ, producteur et patron de label reconnu à l’échelle internationale. Né à Levallois-Perret, au début des années 80, ce dernier était plutôt voué à frapper des balles. C’est en effet sur la terre battue qu’il fait ses premières armes, travaillant sans cesse ses coups droits et ses revers pour se lancer dans une carrière professionnelle qui s’annonce déjà prometteuse. Mais un jour, même s’il n’écoute encore que du hip-hop, période Wu-Tang Clan et Tupac Shakur, ses aînés du club de tennis l’emmènent en soirée pour lui faire découvrir un autre type de sport, qui nécessite au moins autant d’endurance. François X n’a que 16 ans et se retrouve un peu malgré lui sur le dancefloor du Queen. « Je me rappelle que c’était une soirée Respect. Il y avait Armand van Helden aux platines et beaucoup de danseurs hip-hop dans la salle. Ça m’a vraiment fait découvrir un monde nouveau », se souvient-il avec le sourire.
La suite a tout d’un changement de cap. Le jeune tennisman commence à sortir de plus en plus régulièrement en club, parfois jusqu’à quatre ou cinq fois par semaine, voguant des Bains Douches au Gibus, en passant par l’Élysée Montmartre ou le Batofar. Évidemment, ses performances sur le terrain s’en ressentent. Parfois, il rentre à 6 heures du matin et doit enchaîner avec un tournoi commençant à 10 heures. Le calcul est vite fait : « Au tennis, j’avais atteint un niveau auquel jouer te procure beaucoup d’adrénaline. Inconsciemment, j’ai dû retrouver cette adrénaline ailleurs », résume-t-il aujourd’hui.

Petit à petit, François X s’achète ses premières platines et s’essaie à ses premiers mix dans des soirées improvisées en appartement. De 2005 à 2008, il fait surtout des warm-up et commence à se faire un nom sur la scène parisienne. À une époque où la famille de la house et celle de la techno ne se côtoient que rarement, il prend le partie de Chicago plutôt que celui de Détroit. En parallèle, il commence à travailler dans le monde de la finance, où il fait du trading pur et dur. « Pour moi, la musique électronique et le trading sont deux trucs de geeks. Passer toute la journée devant un ordinateur à composer ou à essayer de comprendre comment marche une compression, c’est un peu la même chose que faire du code ou programmer des robots de trading. »

Surtout, alors que les années 90 ne sont pas si loin, son statut de trader ne choque personne. « On sortait d’une époque où, dans le monde de la nuit, il y avait encore ce côté un peu France bourgeoise, on ne va pas se le cacher. Les gens qui sortaient étaient des kiffeurs. C’était la night, quoi. Je voyais plein de mecs qui étaient traders à Londres et qui faisaient la fête en club le soir. Ils se retournaient la tête et allaient au bureau en rampant le lendemain. Puis une nouvelle génération a pris le dessus. Elle était plus engagée à gauche et j’ai senti que mon métier dans la finance la questionnait beaucoup plus. » Tout ça n’empêche pas François X d’épouser vers 2008 cette nouvelle vague venue d’Allemagne et d’abandonner la house pour s’immerger pleinement dans la techno de Ben Klock ou Marcel Dettmann.

Après avoir sorti ses premiers maxis, le DJ et producteur créé sa propre soirée qu’il nomme Demented. Les premiers événements ont lieu au Paris Paris, puis finissent par migrer vers le Social Club. La nuit parisienne est alors en plein renouveau et les Français veulent plus que jamais faire la fête, quitte à mêler les genres de façon un peu anarchique. « C’était la grande époque de Ed Banger. Au Social Club, ça passait surtout du Justice ou du SebastiAn. De notre côté, nous sommes plutôt arrivés avec des choses comme Shackleton, Sandwell District, Marcel Dettmann ou Scuba. C’était une population assez jeune qui n’était pas trop habituée à ça. Au final, il y a pas mal de gens qui nous ont ensuite suivis. »

Concrete m’a défini en tant qu’artiste. Comme DJ, ce que j’envoie comme vibrations, je l’ai appris sur la barge.
François X
L’étape d’après se nomme Concrete, où François X tient une résidence dès l’ouverture, en 2011. Toutes les tribus de la capitale convergent alors vers la barge du quai de la Rapée. Après des années à se chercher, la nuit parisienne tient enfin son bateau mère capable de cimenter la scène. C’est aussi un nouveau départ pour le DJ qui fait du lieu son laboratoire : « À Concrete, on a instauré des sets de quatre heures pour tout le monde. Et quand tu es en résidence, tu as des gens qui t’écoutent tout le temps. Donc tu ne peux pas jouer la même chose tous les soirs. En prenant la confiance, j’ai appris à expérimenter. Autant les warm-up que j’avais faits plus jeune m’ont appris à comprendre ce qu’est un dancefloor, autant Concrete m’a défini en tant qu’artiste. Comme DJ, ce que j’envoie comme vibrations, je l’ai appris sur la barge. »
Le son était en train de changer, il devenait plus dur et plus rapide. Ce n’est pas que je ne l’aimais pas, mais je crois qu’il y avait trop de techno dans ma tête.
François X
En plus de cette résidence, la création de son label Dement3d Records et les dates qui commencent à se caler dans les clubs du monde entier poussent François X à abandonner son travail de trader pour tenir la cadence. « J’ai dû faire dix fois le tour du monde à cette époque », rigole-t-il. Mais en 2018, le DJ commence à saturer. « Trop de dates, trop de festivals, c’était une remise en question générale. Le son était en train de changer, il devenait plus dur et plus rapide. Ce n’est pas que je ne l’aimais pas, mais je crois qu’il y avait trop de techno dans ma tête. J’ai préféré me retirer un peu. Je n’ai pas fait beaucoup de musique à ce moment-là. »


François X quitte sa résidence chez Concrete et se change les idées en réécoutant des classiques d’ambient ou de post-punk. Il se reconnecte aussi à l’actualité en se plongeant dans le travail d’artistes comme Arca ou FKA Twigs et travaille même avec son ami Sam Tiba sur une production drill pour le rappeur français 1PLIKÉ140. Puis arrive la fermeture de Concrete, suivie par la pandémie de Covid-19 qui oblige le monde entier à faire un break. Une pause forcée qui permet paradoxalement à François X de se remettre en selle, comme en témoignent le récent lancement de son nouveau label XX Lab et son projet de nouvel album. La réouverture des clubs sera-t-elle l’occasion de revoir François X derrière des platines, comme à la grande époque de Concrete ? L’intéressé sourit : « OK, je l’avoue : allez casser des dancefloors, ça me manque. »

Cet article est extrait du numéro 232 de Trax Magazine. Remerciements aux Magasins Généraux.
