Trax Records, label fondé en 1983 et dont les macarons rouges sont devenus les symboles des débuts de la house music à Chicago, vient de perdre son fondateur. Larry Sherman est mort à la suite d’un infarctus, comme l’indiquait le DJ Marshall Jefferson sur son compte Instagram, jeudi 9 avril 2020.
Évoquer le nom de Larry Sherman avec un pionnier de la house de Chicago, c’est s’exposer à plusieurs risques : une entretien qui tourne court, une anecdote qui n’en finit pas ou pire, la propagation d’une rumeur invérifiable. Les histoires qui se racontent autour de l’incontournable Larry Sherman ont transformé cet entrepreneur originaire du south side de Chicago en personnage de série. Très rare en interview, l’intéressé avait laissé d’autres que lui raconter l’histoire de son œuvre. Elle débute en 1982, lorsque ce collectionneur de jukebox rachète la seule presse à vinyle de la région de Chicago : Precision Pressing Plant, située à Bridgeport, dans l’Illinois.

Le but initial de Sherman : presser lui-même ses vinyles afin d’alimenter ses jukebox. Mais trois mois après le rachat de l’usine, l’entrepreneur était contacté par les DJs de Chicago Jesse Saunders et Vince Lawrence, qui posaient avant l’heure les bases de la house music.
C’est le début d’une relation compliquée entre Larry Sherman et la scène house de Chicago. Puisque Sherman est le seul à pouvoir presser des disques en ville, les jeunes producteurs de la Windy City sont totalement dépendants de son entreprise. Trax, label qu’il fonde dès 1983 avec Rachael Cain, Vince Lawrence et Jesse Saunders, propose les contrats les plus rémunérateurs aux aux DJs, bien plus avantageux que ceux proposé par son principal concurrent, DJ International. Le label va, entre 1985 et le début des années 1990, sortir les plus grands classiques de house, comme “Your Love” de Frankie Knuckles, “Can you feel it” de Mr. Fingers, “No Way Back” d’Adonis ou encore “Move your body” de Marshall Jefferson.
d’après Marshall Jefferson, ce morceau, hymne de la house s’il en est, lui aurait été volé par Larry Sherman, comme il l’expliquait dans un long entretien accordé à Trax : « J’avais payé Lary Sherman pour qu’il presse Move your Body dans son usine, mais le titre devait sortir sur mon propre label. Quand il a vu que les journalistes commençaient à s’intéresser à la house, il a pressé Move your body sur Trax, sans mon accord et sans signer de contrat. Et il ne m’a jamais payé. »
Ce que les DJs de Chicago, majoritairement issus de la communauté afro-américaine des quartiers sud, prennent pour un bon deal est en réalité une combine. Larry Sherman presse des vinyles dans des conditions douteuses, comme en témoignait Merwin Sanders, membre de Virgo Four, dans les colonnes de HHV magazine : « L’usine de Larry Sherman reposait sur un type assis sur une caisse en bois et qui tapait au marteau sur des disques usagés pour en dégager les macarons et recycler le vinyle. » Les pressages originaux de Trax, sont connus pour leurs mauvaises qualité de pressage et leur absence totale de mastering.
La propagation mondiale qu’a permis Trax Records a également pu se faire au dépens des DJs signés sur le label. Mike Dunn, producteur iconique de cette ère, se souvient et accuse : « Pour nous, jeunes noirs défavorisés en 1987, le monde s’arrêtait aux frontières de Chicago. Nous avions l’impression que la house ne vivait qu’ici. Alors Larry Sherman nous signait 500 ou 1 000 exemplaires à un bon prix et nous étions heureux. Mais la vérité, c’est que Sherman pressait 30 000 disques et exportait tout en Europe. Nous n’avons jamais vu la couleur de cet argent. » Disparu en 2014, le DJ Frankie Knuckles refusait jusqu’à sa mort tout contact avec Trax, qu’il accusait de s’enrichir sur son dos.

« Sherman était un type normal », se souvient Larry Heard invité lors d’une lecture RBMA. « Mais je dois dire qu’il était le seul à pouvoir produire des disques en si grandes quantités et que je continue aujourd’hui à toucher mes royalties. Sherman gagnait surement beaucoup plus d’argent que moi mais j’étais correctement payé, bien plus que n’importe quel artiste qui sort un disque aujourd’hui », tempère le DJ qui avait signé le morceau “Can You feel it”, sur Trax.
Merwin Sanders, membre du duo Virgo Four, se souvient de Sherman : « Sur le plan du business, il était très dur mais je dois dire que nous nous apprécions sur un plan personnel. Il nous invitait mon frère et moi à jouer à la Nintendo chez lui. Quand nous avions des problèmes d’argent, il nous trouvait quelque chose à faire pour Trax et nous donnait un peu d’argent. »
Le musicien affirme également que Sherman, souvent décrit comme peu intéressé par la house, influait pourtant sur la musique elle même : « Nous avions des disputes récurrentes au sujet de nos morceaux. Il voulait que l’on coupe une introduction trop longue, que l’on rejoue certaines parties », affirme Merwin Sanders.
Larry Sherman n’était plus impliqué dans le label Trax. C’est Rachael Cain, alias Screamin’ Rachael, qui avait relancé le label au début des années 2010, avec l’aide du DJ Marcus “Mixx” Shannon mais la version récente de Trax ne renouera jamais avec le succès et l’excellence des débuts.
Quant à Sherman, malgré les accusations, il n’est jamais devenu le richissime patron de label que l’on a tendance à dépeindre, comme il l’expliquait au journaliste Mark Guerino : « Trax aurait pu connaitre le succès populaire si nous avions été moins amateurs à l’époque. Si les disques se vendaient à 20 000 copies, c’est parce qu’ils étaient bons. Le temps que nous comprenions comment fonctionnait le milieu, le business s’était déplacé et il était trop tard. Si j’avais été plus alerte, je serais multimillionnaire à l’heure qu’il est. »