Plongeon dans le livre ultime sur la French Touch

Écrit par Trax Magazine
Le 25.12.2015, à 15h34
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Écrit par Trax Magazine
Dans le livre Music Sounds Better With You, le journaliste Raphaël Malkin raconte les parcours croisés de cinq figures de la French Touch : Philippe Zdar, Pedro Winter, Dimitri From Paris et les créateurs des soirées Respect, David Blot et Fred Agostini. Ancien journaliste – et créateur – du journal Snatch, Malkin revenait sur la réalisation de cet ouvrage hyper descriptif et passionnant dans une précédente interview avec nous. Voici en exclusivité un passage de son ouvrage, au chapitre 25.

25. Mars 1997.

Miami. À la fin du mois de mars, South Beach affiche complet, conquis pour un temps par un cortège de touristes tous affublés du même badge blanc. Ils sont partout, en ville. Dans les lobbys des cinq étoiles, sous l’eau chlorée des piscines, sirotant aux terrasses d’Ocean Drive ou de ses parallèles. Chaque année, l’industrie de la dance organise son grand souk sous les palmiers de Floride. Personne ne manque à l’appel: présents les pontes galonnés des hyperécuries accompagnés de leur état-major au complet, présents les grands sous-chefs de produits, présents les pirates indépendants et, surtout, présents tous ces poids lourds multiceinturés que les flyers s’arrachent de Paris à Chicago. Avachis sur des transats en plastique chaud, on pourrait les enjamber d’une traite : Little Louie Vega, Armand Van Helden, Frankie Knuckles ou encore les Chemical Brothers, Prodigy, Josh Wink et Überzone. Les décideurs, les producteurs, les faiseurs et les joueurs se sont tous inscrits à la Winter Music Conference pour discuter des dernières tendances, négocier le détail des tubes de l’été prochain et, surtout, bambocher matin et soir le cigare cubain en bouche. Pendant une semaine, la pointe sud de Miami, intronisée capitale du monde, se transforme en immense pergola.

Les Daft Punk sont arrivés: Thomas et Guy-Manuel en tête, suivis à la trace par Pedro et le reste de leur garde rapprochée, Cédric, Gildas et quelques autres proches. Ils ont tous emporté leur maillot de bain, une serviette de plage et des exemplaires d’Homework, qu’il s’agira de dégainer habilement sous les yeux de toutes les bonnes têtes croisées au détour d’une taqueria. Puisque les as de l’informatique n’ont pas encore trouvé la formule pour envoyer à distance des bandes sonores, Miami reste la plateforme idéale pour faire du porte à porte. Pieds nus dans ses sandales, on toque à l’épaule des meilleurs pour leur filer un disque et les convaincre de le jouer en soirée ou de le remixer, s’ils ont le temps. Les Daft Punk viennent de sortir leur premier album, mais encore faut-il assurer le service après-vente. En 1997, la gloire s’arrache toujours au bagou. La troupe a réservé plusieurs chambres au Raleigh, un haut bâtiment blanc torréfié par le soleil de Miami et dont l’entrée est gardée par deux parasols rayés blanc et noir. Dans le dos de l’hôtel, protégé de la rue voisine par une forêt de palmiers au garde-à-vous, il y a cette incroyable piscine bleu paradis dans laquelle il faudra vite piquer une tête. Quelques pâtés de maisons plus loin, des têtes connues s’apprêtent, elles aussi, à mouiller le maillot. Les Respect viennent de débarquer en ville et ont déposé leurs valises à la conciergerie du National. David, Frédéric, Jérôme et sa copine, Delphine. De l’autre côté de l’Atlantique, le succès fulgurant des soirées du mercredi données par la Reine, a fini de consacrer les triplés ambassadeurs parisiens devant l’éternel mélomane. Quelque part au milieu de cette foire à la musique mondiale, ils sont là pour tenir le stand de l’artisanat de Bastille. Leur piscine à eux, nichée derrière le grand donjon de leur hôtel, est longue comme un bassin olympique. Bien sûr, il y a des palmiers.

Les premiers après-midi sont studieux. Chacun affiche la rigueur promise à Roissy. Pedro navigue de paillote en paillote en distribuant ses vinyles comme on lance un freesbee. Un grand gaillard, crâne rasé et bras renflés, vient le trouver. Il parle la bouche en coin et son accent sonne marlou de New York. Sous les lampadaires de Queens, on l’appelle le “S-Man”. Sinon, c’est Roger Sanchez. Son truc à lui, c’est le remix latino-dub et la house canne à sucre. Et pourquoi pas le « Burnin’ » des Français un de ces jours. Il faudra régler les détails par fax. De leur côté, David et Frédéric s’essayent aux séminaires climatisés de la Conference. Ils se rendent au Fontainebleau, immense et luxueux vaisseau aux milliers de balcons. Dans l’air glacial d’une salle de réception, le DJ Erick Morillo disserte sur l’art du freestyle aux platines et des inconnus à l’air important tentent de conclure sur la nécessité ou non de regrouper tous ces sous-genres, techno, ambient, drum’n’bass, et leurs dizaines de cousins, sous le label généraliste d’electro. Cela ne dure qu’un temps. Très vite, les Français cèdent devant les assauts répétés de la guinche facile qui s’affiche à tous les coins de rue. Frédéric plonge tout habillé dans la première piscine et va offrir des tequilas frappées aux jolies latinas qui se dorent le galbe sur le plongeoir. Il s’est aussi trouvé du goût pour les cigares cubains dont il aime souffleter la grosse fumée après le dessert. Avec son joli teint mat de trois jours, et sa manière de parader le chandail largement déboutonné, Frédéric est un conférencier modèle. Dans sa foulée, David suit tant bien que mal. Pour chaque piscine visitée, il vise le coin à l’ombre et se badigeonne de crème au cas où. Mais ne dit jamais non à un cigare. Au bar d’un hôtel, Pedro passe sa main autour de l’épaule de Puff Daddy, l’imperator du rap new-yorkais pour une photo à l’appareil jetable et se perd en révérences maladroites quand ils tombent nez à nez avec les vénérables Kenny “Dope” Gonzalez et Little Louie Vega. Les Masters at Work sont à Miami pour fêter la sortie de leur nouvel album, Nuyorican Soul, emblème déjà applaudi de la rumba mixée new-yorkaise. Autour du bassin du Shore Club, c’est la fiesta de jour. Le vieux soulman Roy Ayers et la chanteuse India. Arie sont attendus. Immanquable. Devant la porte bondée de la Nuyorican Soul Fiesta, Frédéric soudoie le physionomiste – quelques t-shirts floqués du logo « Respect », qui font, paraît-il, fureur sur les Champs-Élysées – et ouvre la voie bénie à toute la troupe parisienne.

À Miami, la fête termine après plus d’un tour de cadran. La nuit, on se balade d’une piste à l’autre. Il y a le Liquid Club, le Cameo Theater, le Groove Jet où le New-Yorkais Danny Tenaglia a annoncé qu’il tiendrait un set de six heures. Ensuite, il ne faudra pas rater l’emblème de Detroit Carl Craig qui mixe sur trois platines et le jeune canadien Kid Koala qui se prépare à faire gîter ses platines sur des extraits de la bande originale de Star Wars.

En fin de semaine, c’est aux Respect d’ouvrir leur antenne floridienne. La réputation du mercredi soir n’a pas encore touché le rivage des côtes américaines, mais le programme a de quoi alerter les conférenciers. C’est un Portoricain bedonnant qui démarre. La fine moustache qui longe sa lèvre supé- rieure et sa chaîne luisante lui donnent des airs de matou des tripots de San Juan. Suit DJ Sneak surnommé le “house gangster”. Il est surtout l’un des teachers célébrés dans le titre éponyme des Daft Punk. Passage éclair de relais aux bons élèves: c’est à Thomas et Guy-Manuel de s’y mettre. Ils sont derrière les platines, au premier étage du club où Respect a ouvert sa suite, quand, à 5 heures les videurs cravatés de l’endroit décident subitement de baisser le rideau de la fête. Dehors, les policiers sont aux aguets, lampes torches encore allumées malgré le soleil levant. On ne badine pas avec les hommes du Miami Beach Police Department. Durant cette semaine de fête, ils ont déjà forcé plusieurs promoteurs à cadenasser leur entrée de l’extérieur. Pour quelques minutes de trop, l’Amnesia et le jardin de l’Arch Club en ont fait les frais. Mais à Respect, on fait les malins. Les Parisiens crient au scandale. La fête pourrait durer encore des heures. Il faudra leur passer sur le corps pour éteindre les enceintes et mettre les Daft Punk aux fers. Même DJ Sneak s’y met et jette son verre à la barbe des videurs qui viennent d’encercler la piste. La rébellion est malgré tout vite étouffée : l’électricité coupée, et les brutes de la sécurité s’occupent d’exfiltrer un à un les fêtards du petit matin. Thomas et Guy-Manuel n’ont pas le temps d’emporter leurs disques qu’ils sont soulevés au sol par deux paires de paluches et jetés comme des vauriens de saloon sur le dur de la rue. Ce sont Pedro, Frédéric, Jérôme et leurs amis qui récupèrent in extremis les munitions des Daft Punk – David est allé se coucher il y a quelques heures déjà. Des cadavres de gobelets tapissent les allées mortes de South Beach. Quelques âmes perdues par la nuit viennent s’effondrer sur le sable encore froid de la plage pour démarrer enfin leur nuit. Le bruit lointain des sirènes des voitures du MBPD se mêle à celui des vagues. Pedro, Frédéric et les autres font résonner leurs rires fatigués dans le désert de cette ville trop folle. Vite, un taxi: ils chancellent, avec leurs disques pleins les bras. Il paraît qu’Iggy Pop était là, ce soir.

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