Le 8 février prochain se tiendra au FGO Barbara, dans le quartier de la Goutte d’or à Paris, une soirée décloisonnant les identités genrées et racisées : A Queer Club for Hot Bodies of the Future. Bariolée, elle mêlera les disciplines artistiques et multipliera les activités culturelles parmi lesquelles projections, performances, lives, DJ sets… Invitée à cette occasion, la danseuse, historienne et sociologue Ari de B compose pour Trax Magazine une playlist chronologique retraçant en musique l’histoire de la culture ballroom, dont elle est l’une des plus ferventes représentantes françaises, « histoire qui est bien entendu allée de pair avec l’évolution de la musique rythmant les balls, car qui dit danse, dit musique », explique-t-elle.
Ainsi, Ari de B nous emmène dans une danse effrénée à travers les époques, assistant la transition entre la funk, la disco et les musiques électroniques, à la naissance de l’acid house et au développement, dans les années 80, du voguing. La dernière partie de la playlist illustre le renouveau de la scène ballroom à partir de 2010. « C’est à ce moment-là qu’elle est importée à Paris par les Legendary Pionneer Mothers Lasseindra Ninja et Gorgeous Nikki Gucci (ex-Mizrahi), où elle va s’implanter fortement et essaimer dans toute l’Europe », raconte la danseuse historienne. On y ressent selon elle « une réelle affirmation de sa musique, les ballroom beats – dont MikeQ a été un des pionniers, comme les DJs Vjuan Allure ou Byrell The Great –, correspondant à l’accélération des mouvements de la danse, mutant vers le vogue fem ».
Ari de B :
Étant assez obsédée par l’Histoire et ses impacts sur le présent dans toutes les disciplines que je pratique, intellectuelles, militantes ou artistiques, il m’a semblé plutôt évident de concocter une playlist ballroom chronologique, incluant pas mal de mes tracks préférées. La scène ballroom a pu en effet se pérenniser et grandir internationalement grâce à une histoire forte, fondamentalement politique et ancrée dans la revendication – celle, celles même, de sa communauté de création, la communauté LGBTQ afro-américaine et latino du New-York de la fin des années 1960. Histoire qui est bien entendu allée de pair avec l’évolution de la musique rythmant les balls, car qui dit danse, dit musique.
Les débuts de la scène ballroom se sont faits sur la musique de l’époque, la transition entre le funk/disco – avec par exemple l’hymne à la ‘realness’ (1) de Cheryl Lynn – et la musique électronique, avec la naissance de l’acid house.
Ces tracks sont loin d’être tombées dans l’oubli : « Love is The Message » de MFSB, à la genèse de la ballroom, ayant notamment rythmé de nombreuses scènes du fameux Paris is Burning (2), est encore très utilisé dans les balls (3) aujourd’hui.
C’est à la fin des années 80 qu’apparaît une spécialisation de la musique ballroom, qui commence à parler de vogue, la danse de cette communauté – et bien sûr je ne citerai pas Madonna, chantre de l’appropriation culturelle–, reflétant ce qui se passe dans les balls : la montée exponentielle de l’importance de catégorie voguing.
L’année 1991 marque un vrai tournant pour la scène : Masters At Work sortent « The Ha Dance » et introduisent cette fameuse crash, qui deviendra la marque de fabrique des beats ballroom à la vitesse de la lumière.
La scène ballroom va connaître un renouveau à partir des années 2010 : c’est à ce moment-là qu’elle est importée à Paris par les Legendary Pionneer Mothers Lasseindra Ninja et Gorgeous Nikki Gucci (ex-Mizrahi), où elle va s’implanter fortement et essaimer dans toute l’Europe.
Cette nouvelle page de la ballroom, qui n’a jamais cessé d’exister aux États-Unis, correspond à une réelle affirmation de sa musique, les ballroom beats – dont MikeQ a été un des pionniers, comme les DJs Vjuan Allure ou Byrell The Great –, correspondant à l’accélération des mouvements de la danse, mutant vers le vogue fem (4).
Aujourd’hui, les ballroom beats se renouvellent sans cesse et ressemblent aux acteur.ice.s de sa communauté, issu.e.s de la diapora post-coloniale : citons ici le mythique « Let a bitch know » de l’artiste Kiddy Smile, ou encore les multiple tracks afro-orientales vogue du DJ Lazy Flow.
- (1) La realness est une des catégories fondatrices de la ballroom scene. Elle consiste à tester sa capacité à “passer” dans le monde cis-hétéro (cis étant dit d’une personne dont le genre d’affirmation correspond au sexe assigné à la naissance, à l’inverse de trans.).
- (2) Documentaire de Jennie Livingston sorti en 1990 retraçant plusieurs années de la scène ballroom new-yorkaise et ayant beaucoup contribué à la connaissance de cette scène par le grand public.
- (3) Les balls sont les compétitions dans lesquels les Houses s’affrontent.
- (4) Vogue fem venant des “fem queens”, l’appellation des femmes trans dans notre communauté, qui vont petit à petit accélérer les mouvements du vogue originel – alors appelé pop dip and spin, aujourd’hui appelé oldway.
- “Love is the message”, MFSB, 1973
- “Let no man put asunder”, First Choice, 1977
- “Got to be real”, Cheryl Lynn, 1978
- “Jingo”, Candido, 1979
- “Is it all over my face”, Loose Joints, 1980
- “Din Da Daa”, George Kranz, 1983
- “Bango (To The Batmobile)”, The Todd Terry Project, 1988
- “I’ll house you”, Jungle Brothers, 1988
- “Elements of vogue”, David Ian Xtravaganza and Johnny Dynell, 1989
- “Work This Pussy”, Ellis D Presents Boom Boom, 1989 (reprise par Teyana Taylor en 2019)
- “Deep in Vogue”, Malcolm McLaren, 1989
- “Let’s Go”, Fast Eddie, 1989
- “Move your body”, Frankie Knuckles, 1990
- “The Ha Dance”, Masters At Work, 1991
- “Cunty”, Kevin Aviance, 1995
- “Walk 4 me”, Tronco Traxx, Robbie Tronco, 1995
- “Runway as a house”, Robbie Tronco, 1996
- “The Witch Doktor”, Armand Van Helden, 1996
- “Work me goddamit”, Armand Van Helden, 1996
- “Fly Life”, Basement Jaxx, 1997
- “C.u.n.t.”, Robbie Tronco, 1998
- “Music is the Answer”, Celeda, 1998
- “No worries”, Butch, 2010 (sample de let no man put asunder)
- “Let it all out”, MikeQ, 2011
- “Master blaster”, MikeQ, 2011
- “Godzilla Ha”, JR Neutron, 2011
- “Sexy Like Sinia”, Vjuan Allure, 2013
- “Legendary Children”, Byrell The Great, 2016
- “Let a bitch know”, Kiddy Smile, 2016
- “Ward’ha”, Lazy Flow, 2018
Toutes les informations sont à retrouver sur la page Facebook de l’événement. De plus, Trax Magazine fait remporter deux places en participant à son jeu concours ici