Cet article est initialement paru dans le numéro hors-série spécial confinement de Trax Magazine, “Homies”, disponible à prix libre et en version numérique sur le store en ligne.
Au Japon, on les appelle les hikikomori. Le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales de l’archipel utilise ce terme pour définir les personnes refusant de prendre part à la société. Enfermés dans leur chambre, chez leurs parents, ces Japonais ne vont ni à l’école ni au travail. Ils n’ont pas d’amis et n’entretiennent presque aucune relation avec leur famille. Généralement, cette période de confinement volontaire dure au minimum six mois. Mais il arrive aussi que certains hikikomori ne réintègrent jamais la société et passent des décennies entières enfermés chez eux, pour s’éviter toute forme de pression sociale. Au Japon, on dénombre environ 1,15 million de ces ascètes souvent issus de la classe moyenne, soit environ 1 % de la population du pays, dans une tranche d’âge allant en général de 15 à 64 ans.
Les hikikomori sont considérés comme un échec pour la société et sont une source de honte pour leurs familles.
Maika Elan
En 2016, la photographe vietnamienne Maika Elan a passé six mois dans l’archipel pour essayer de saisir un peu mieux les angoisses qui animent les Japonais. « Au bout de deux mois sur place, j’ai commencé à comprendre que le Japon est un pays où se marient toujours les contraires. La modernité y côtoie sans cesse la tradition », explique la photographe. « De la même manière que, dans les centres-ville surpeuplés, il y a toujours une solitude écrasante ». Après avoir entendu parler du cas des hikikomori, Maika Elan commence à travailler pour un organisme baptisé New Start dont le but est d’aider ces derniers à se réinsérer dans la société. Progressivement, cette activité lui donne l’occasion d’entrer en contact avec des hikikomori et de nouer avec eux une relation de confiance suffisante pour pouvoir les prendre en photos. À force de rencontres, elle apprend aussi à comprendre ce qui les pousse à s’isoler du reste du monde : « Ils ont tous des raisons différentes. Mais c’est souvent dû au fait qu’ils n’arrivent pas à communiquer avec leur famille. C’est en général à ce moment-là que les choses deviennent sérieuses. Au Japon, les gens sont très secrets et ils se confient rarement aux autres de peur de les déranger. Si quelque chose ne va pas à l’école ou au travail, ils n’en parlent pas avec leurs parents. Et par respect pour leurs enfants, les parents ne se permettent pas d’interférer outre mesure dans leur vie privée ». À cela s’ajoute le contexte économique complexe du Japon et le culte de la réussite que le pays entretient, poussant les plus fragiles à s’enfermer dans la solitude plutôt qu’à affronter la pression du groupe. Maika Elan reprend : « Les hikikomori sont considérés comme un échec pour la société et sont une source de honte pour leurs familles. À cause de ça, leurs parents cherchent souvent à cacher leur situation et refuse de demander de l’aide, ce qui ne fait qu’aggraver leurs problèmes ».
Durant leur période de confinement, les hikikomori passent leur temps loin de l’agitation du monde moderne et des réseaux sociaux. Pour s’occuper, la plupart d’entre eux lisent des livres, jouent à des jeux, font de la musique ou des mathématiques. Un rythme ralenti qui n’est pas sans rappeler les longues journées confinées dues à la crise actuelle du coronavirus. Maika Elan voit en tout cas dans ce phénomène nippon des hikikomori une réponse aux excès du monde contemporain : « Alors que beaucoup de gens meurent à force de travail, les hikikomori sont une manière de ramener un certain équilibre dans la société japonaise ». Espérons que ces longs mois passés en confinement nous permettront, où que nous soyons, de rétablir l’équilibre de ce monde qui flanche.
Chujo
24 ans
Chujo, est un hikikomori depuis deux ans. Il rêve d’être chanteur, mais sa famille veut qu’il travaille dans les affaires. Après avoir été embauché pendant deux ans par une entreprise qui lui a fait subir beaucoup de stress, Chujo a décidé de s’enfermer dans sa chambre.
Ikuo
34 ans
Ikuo Nakamura, est un hikikomori enfermé dans sa chambre depuis sept ans. Il s’est disputé avec ses professeurs et ses amis à l’université, avant de se rendre compte que la vie est parfois injuste. Aujourd’hui, il dit avoir perdu foi en l’humanité.

Sumito
43 ans
Sumito Yokoyama, a été un hikikomori pendant trois ans. Diplômé de l’université en 1996, il n’a jamais trouvé le travail qu’il souhaitait. Il est mort en septembre 2017 dans son appartement. Son décès n’a été constaté que deux mois plus tard, quand sa famille a découvert son corps.
Shoku
43 ans
Shoku Uibori, est un hikikomori depuis sept ans. Il était homme d’affaires et avait sa propre entreprise. Celle-ci a fait faillite. Depuis, il s’enferme dans sa chambre à longueur de journée et sort parfois la nuit pour acheter de la nourriture et des produits de première nécessité dans les épiceries.

Le numéro hors série spécial confinement “Homies” est à télécharger et à pré-commander à prix libre sur le store en ligne.
