De fêtes en fêtes, Zoé Chauvet circule avec des appareils plus vieux qu’elle. Celle qui avance sur la voie royale des métiers artistiques (Arts Déco’), se plonge dans les nuits parisiennes avec l’oeil attentif d’un Jean Rouch qui aurait avalé quelques verres de trop. Entre des pixels rouges et des corps qui se laissent aller, Zoé Chauvet porte un regard neuf — et en dehors des sentiers battus — sur une jeunesse de la nuit dont elle fait partie. Échange avec une noctambule omnisciente.
Comment en es-tu venue à faire des photos en soirées ?
J’ai commencé la photographie à la fac, quand j’étais en double cursus d’arts plastiques et histoire de l’art à Paris VIII. Ensuite, j’ai intégré les Arts Décoratifs (ENSAD), en photo et vidéo. C’est là-bas que j’ai pu pratiquer, avec tout le matériel à disposition. Il y a un labo’ dans lequel on peut travailler nous-même nos photos. Le processus de développement a commencé à me fasciner : ça donne un truc plus plastique qu’une simple image.
Les premières images que j’ai pu faire, c’était avec le collectif La Carte Son : ils m’ont proposé de faire des photos de leurs soirées. J’ai pris le rythme de prendre mon appareil photo à chaque fois que je vais en fête.
Qu’est-ce que tu utilises comme matériel, et est-ce que ça influence ton style ?
Pour faire des natures mortes, j’ai commencé le moyen-format cette année, avec le Mamiya 645. Sinon la plupart du temps je suis au Nikon FM3. Je travaille essentiellement au flash, même la journée. Ce que j’aime avec le flash, c’est son côté froid. J’en rajoute encore plus avec les pellicules que j’utilise, qui ont aussi des couleurs très froides. Cela aplatit l’image, cela rajoute une patte à l’image. La lumière naturelle m’intéresse un peu moins, je préfère pouvoir la créer moi-même.
Je ne touche pas beaucoup au numérique à part une petite caméra hyper-pixélisée. Quand j’ai le temps je fais des vidéos, c’était le cas à Spleen Factory pour ce takeover. Avec la vidéo, je travaille à la capture d’écran : je mets sur pause et je récupère une image qui m’intéresse.
Pour Trax, tu es allée à la soirée de Spleen Factory… Qu’est-ce qui t’a intéressé là-bas ?
J’ai découvert Spleen Factory avec les images de la photographe Emma Burlet. C’est la ligne esthétique qui se dégageait de ses images et leur attrait pour la vidéo et la mode qui m’ont intéressée chez Spleen Factory. Ils offrent un cadre pluridisciplinaire : c’est un magazine de mode, mais au champ élargi. Ils organisent des soirées à l’image de leur identité. J’ai fait deux des soirées Angst et j’ai été impressionnée par la liberté qui s’en dégage, que ce soit de la part du public ou bien des organisateurs. Spleen Factory s’imprègne des codes contemporains avec une certaine émancipation, des lieux choisis à la scénographie. C’est pour ça que j’essaie d’archiver à chaque soirée les formes, les couleurs et les visages qui y sont révélés.
L’achivage, c’est un peu ton mot d’ordre ?
J’archive, à toutes les soirées où je vais. J’ai plein de photos et de vidéos. À terme, j’aimerais bien sortir un film un peu long avec toutes ces images. Parce que les soirées se ressemblent, les textures aussi : tout est toujours rouge, bleu, violet. J’attends juste d’avoir un peu plus d’archives. C’est plus simple aussi d’aller en soirée avec la caméra : quand j’utilise l’appareil photo et le flash, les gens sont un peu plus réfractaires. Alors qu’avec la caméra, tout le monde s’en fiche : il y a beaucoup de mouvement et avec la même matière, je peux la décliner à l’infinie pour lui donner une forme à chaque fois différente. C’est pour ça que j’utilise un tout petit peu moins la photo en soirée.
Ce ne sont pas vraiment des photos de soirées. J’ai surtout envie de garder une trace de toutes ces personnes que je côtoie. Je fais de l’archivage.
On retrouve parfois les mêmes personnages dans tes photos… Est-ce qu’ils font partie d’une histoire que tu veux raconter ?
Je vais à peu près toujours aux mêmes endroits, c’est souvent les mêmes gens. Chouquette [DJ parisien, ndlr] par exemple revient souvent dans mes photos parce que c’est un personnage hyper à l’aise avec lui-même, qui dégage une personnalité assez forte, même physiquement. Je me sens hyper bien avec eux en soirées, mais ce ne sont pas forcément des gens dont je suis hyper proche dans la vie quotidienne. La connexion se fait parce que je fais de la photo et qu’eux se mettent en scène d’un coup. C’est un truc à deux, ce n’est pas forcément moi qui demande à prendre la photo d’ailleurs…

Est-ce que tu vas prolonger ce travail à terme, dans une série de photos peut-être ?
La fête, pour l’instant, ce n’est pas quelque chose que j’ai approfondi comme je pourrais. Quand je vais en soirée, je suis souvent assez bourrée, et de manière générale je prends mes photos sur le vif. Ces archives, toutes ces photos, j’ai commencé à les prolonger en journée : ces personnes que je prenais en soirée, je les prends aussi en photos chez eux après par exemple. Ça reste un archivage spontané. J’aime pas trop mettre en scène, j’ai l’impression que la vie en soi suffit à une mise en scène, plutôt que de devoir créer un environnement.
À l’époque où j’ai commencé les premiers portraits en fête, je n’avais pas vraiment de « style » à proprement parler. Maintenant j’essaie d’harmoniser mon travail pour montrer une ambiance de la fête qui m’est propre et justement m’éloigner du documentaire. C’est à travers les couleurs et la texture que j’essaie de créer une nouvelle manière de voir la fête. Quelque chose que je n’ai pas trop maîtriser au début mais qui s’affirme de plus en plus. J’essaie de poser ces portraits dans un environnement un peu irréel, pour m’éloigner du documentaire photo. Je veux jouer avec les limites, en une sorte de docu-fiction en somme.
3 photographes qui t’inspirent sur la fête ?
Wolfgang Tillmans — Nan Goldin — Ryan McGinley
3 collectifs qui te font danser ?
Autodrone — Parkingston — Spleen Factory
Zoé Chauvet vient de publier une série de clichés pour la revue d’art Mouvement. Plus d’informations sur sa page Instagram.