
Parlons de votre talent caché de photographe. Depuis combien de temps pratiquez-vous cette discipline?
J’ai commencé à prendre des photos à l’âge de 10 ans. Mon père était comptable, il voulait être un artiste, mais c’était la seule personne à travailler dans notre famille. Il voulait être architecte, ou artiste, comme peintre ou photographe. Tous ces aspects de ma vie viennent de mon père : il avait des platines d’enregistrement, des machines à bande magnétique, de grosses enceintes, mais aussi de très bons appareils photo. Un jour, il m’a donné un de ses appareils argentiques, à utiliser librement en tant que jeune, ce qui, rétrospectivement, était en fait une grande responsabilité. Pour prendre des photos, il fallait mettre le film dedans, en choisissant le bon ISO. Le problème est que cela coûtait très cher et en tant qu’enfant je n’avais pas d’argent. De ce fait je ne prenais pas beaucoup de photos, mais marchait pendant des heures et des heures pour trouver quelque chose d’intéressant. Parfois j’oubliais et je reprenais le même film quelques mois plus tard, et devais attendre d’avoir de l’argent pour développer les photos… J’étais très intéressé, mais c’était assez difficile comme technique, surtout au niveau des réglages de la lumière.
Quand j’étais plus vieux, vers 15 ans, il m’a donné un vieil appareil à deux objectifs, mais malheureusement quand j’avais 17 ou 18 ans, j’ai dû le vendre. C’était mon propre choix, car j’ai choisi de me concentrer sur une seule activité pour gagner ma vie, j’ai donc tout vendu pour la musique, la nourriture et le loyer pour la personne avec laquelle je vivais car elle était au chômage. J’ai alors totalement oublié le fait de prendre des photos pendant très longtemps, mais j’ai toujours été fasciné par cette discipline. Puis j’ai été très chanceux, car en tant qu’artiste je me suis fait photographier par de très bons photographes, sans vraiment le réaliser. Quand j’ai été signé sur le label Deconstrcution Records, j’ai été pris en photo par John Rankin, qui est maintenant une superstar de la photo. Je me rappelle encore avoir des anneaux de lumière dans les yeux pendant plusieurs jours à cause du flash qu’il utilisait. À chaque fois que l’on m’a pris en photo, je posais toujours des questions techniques. Qu’est ce que c’est ? Qu’est ce que ça fait ? Pourquoi utilises-tu ça ? C’était seulement les vrais débuts de Photoshop, mais j’ai toujours été intéressé par tout le processus pour obtenir une photo, surtout par la caméra et la lumière, plus que par le logiciel.
Je pense que les artistes savent quel respect j’ai pour eux, donc ils savent sûrement qu’ils peuvent être plus relax quand je suis derrière l’objectif.
Dave Clarke
Quels sont vos sujets préférés ?
J’apprécie beaucoup les paysages urbains, les différentes périodes de l’humanité sont très inspirantes. L’architecture peut être brutalement étourdissante. Parfois je prends quelque chose en photo en apportant une nouvelle dimension, changeant la vision qu’ont en tête certaines personnes. Il est aussi possible de prendre juste une petite partie de ce qui est en face de nous, peut-être une perspective que même l’architecte n’avait pas imaginé. Je trouve ça vraiment intéressant. J’adore aussi les paysages naturels sombres, cela nous rappelle notre place sur cette planète.
J’adore aussi les chiens, ils sont fascinants, ce sont les meilleurs animaux au monde. Loups, chiens-loups, gros chiens… Les chiens ajoutent une étincelle et une humanité dans nos vies. C’est l’un des animaux émotionnellement le plus proche de l’humain. Loyal envers le cœur si vous les respectez.
Vous avez photographié Jeff Mills, Octave One, Louisahhh, Anetha, Nina Kraviz, Derrick May, Robert Hood, et Manu Le Malin (photo en couverture de sa dernière interview pour Trax). Pensez-vous apporter une dimension supplémentaire aux photographes de soirées habituels, du fait de votre complicité avec ces artistes et DJs ?
Cela dépend, je ne rencontre jamais les gens en pensant que je suis mieux placé, car ce n’est pas la bonne attitude. Je pense que certains de ces artistes savent quel respect j’ai pour eux, donc ils savent sûrement qu’ils peuvent être plus relax quand je suis derrière l’objectif. La plupart des artistes se font photographier depuis des années, ce n’est pas vraiment une question de stress d’être devant un photographe. Le fait que je sache ce qu’ils font, comment ils font, et pourquoi ils le font, fait parti du résultat. Sur scènes comme en backstage, mais aussi en studio, c’est évidemment un bonus, car je peux ne pas être vu. Je ne suis pas en train de traîner et roder autour de quelqu’un. C’est pour cela que certains changent leur personnalité (comme Manu Le Malin qui sourit sur sa photo, ndlr), car je suis aussi dans le circuit depuis plus de 25 ans donc je sais comment ça se passe. Ils me donnent une étincelle en plus, je pense. Mais ce n’est pas mon ambition de prendre des photos de “DJs”, je préfère prendre des photos “d’artistes”, car tout le monde est un DJ aujourd’hui, mais tous ne sont pas artistes. Et je préfère attirer l’attention sur des artistes que des DJs.
Vos photos sont en noir et blanc. Pourquoi ce choix ?
J’ai toujours été fasciné par la photographie en noir et blanc, comme les clichés de bombes nucléaires, ou les photographes tels que Terry O’Neill, Fransesca Woodman, Annie Liebovitz, Corbijn, Burrows, Sarah Moon, ou Brassaiï Daido Moriyama. Le noir et blanc pousse au loin la distraction du superflu. Quand j’ai regardé le documentaire sur Platon, j’ai eu les larmes aux yeux, car ça m’a fait réalisé que la manière dont il décrit le noir et blanc était comme je le ressentais. Ça rend les choses beaucoup plus simples pour moi, c’est plus à propos du contraste et moins sur la diversion. C’est très spécial et métaphorique, car nous sommes des personnes noires et blanches, mais évidemment nous voyons beaucoup de couleurs. Cela permet de mieux se concentrer sur l’image, car ce n’est pas une chose normale pour nos yeux. Il y a quelque chose de très beau là dedans. Les fois où cela m’arrive de prendre des photos en couleur, je les convertis tout de même en noir et blanc. Ma copine prend plus de photos en couleurs que je ne le fais, la manière qu’elle a de les prendre est magnifique et j’apprécie beaucoup. Mais je préfère la brutalité du noir et blanc. L’étrange couleur des clichés est tout de même intéressant, je ne suis pas immunisé contre leur beauté. Regardez les fleurs en couleur de Mapplethorpe par rapport à celle de André Kertész, les deux sont vivantes et présentes.
Quelque chose s’est passé il y a quelques années et je me suis dit : “C’est le moment ! Je vais m’acheter un vrai appareil photo !”.
Dave Clarke
Quel appareils photo utilisez-vous ?
Ce qui est intéressant avec l’iPhone, c’est que l’on peut toujours l’avoir dans sa poche. Une fois, quand j’étais à Paris, quelqu’un de Hong Kong m’a dit qu’on pouvait modifier des photos dans l’iPhone, je n’y avais même pas pensé il y a six ans, car je n’étais pas sur Instagram. Puis quelque chose s’est passé il y a quelques années et je me suis dit : “C’est le moment ! Je vais m’acheter un vrai appareil photo !” J’ai acheté le plus bel appareil photo que j’ai pu trouver et c’était un LEICA Rangefinder. Le rendu était beau, mais je n’ai pas pu obtenir le résultat que je cherchais. J’ai pourtant essayé, essayé, essayé…
Quand j’ai eu le Leica Q2, j’ai obtenu des photos plus organiques, c’était enfin l’appareil que je cherchais pour travailler ma technique. C’est le modèle que j’emporte tout le temps avec moi maintenant, il est assez petit pour être pris partout. C’est un objectif fixe, ce qui est cool parce qu’il est possible de se concentrer sur ce que tu as et non sur ce que tu pourrais peut-être faire avec trop de choix. Quand vous prenez des photos de paysages urbains, vous pouvez recadrer l’image et avoir quand même une résolution de 20 ou 40 mégapixels. Vous avez toujours une quantité massive de détails, sur une petite partie de l’image. Et l’autre chose vraiment cool, c’est que tu peux ensuite envoyer toutes tes photos sur ton smartphone, ou les éditer sur la route avec l’iPad en utilisant LightRoom ou Photoshop Pro, en pleine résolution même en utilisant des fichiers TIFF 26 bits. J’ai ensuite acheté un Leica SL2, la flexibilité de l’utilisation des objectifs M est également merveilleuse !
Travaillez-vous parfois avec des photographes professionnel·les ? Si oui, quelles en sont les raisons ?
Oui, à un moment j’ai voulu que ce soit Helena Christensen qui prenne mes photos en tant qu’artiste, car son documentaire sur la BBC a été réalisé sur la lomographie en 2004. J’étais vraiment fasciné par ses photos et ses compétences. Ma copine de l’époque ne me laissait pas être pris en photo par Helena Christensen. Je lui disais, “Waho tu penses vraiment que j’ai une chance avec Helena ?” [rires]. Depuis, j’ai continué à travailler avec des photographes qui m’ont toujours intéressé, comme Marilyn Clark par exemple. J’ai eu l’impression qu’elle était la première personne à m’avoir réellement capturé de plusieurs façons.
Le dernier photographe dont j’ai eu les services est Gered Mankowitz. Après avoir malheureusement vendu l’appareil photo que mon père m’avait donné quand j’étais jeune pour me débrouiller et manger, j’ai aussi dû vendre des disques vinyle. L’un des vinyles que j’ai vendus était Sparks, ce qui est amusant, car je les ai interviewés pour Toazted dans une autre vie de journaliste. Ce vinyle est ensuite sorti à nouveau avec la même photo bizarre sur la couverture où ils traînent dans un escalator à la gare Victoria de Londres. C’est un véritable album, il est accompagné de notes de pochette et de crédits… Il est indiqué que les photos sont de Gered Mankowitz. Je l’ai donc contacté via Instagram et lui ai demandé s’il prenait encore des photos. Nous avons parlé, puis j’ai découvert par hasard qu’il avait fait des photos très célèbres de Jimmi Hendrix, des Rolling Stones, de grandes photos historiques iconiques, Marianne Faithful et après ce contact, il a fait ma dernière séance de photos.
Avez-vous déjà réalisé des expositions ?
Je commence à peine à me considérer comme faisant des photos sérieuses ces derniers 18 mois. Avant ça c’était plus un hobby. Avant de s’exposer, c’est vraiment important de construire un corps de travail. On m’a déjà demandé de faire quelques expositions, dont une en France en mars que j’ai refusé, car c’était trop tôt. Je voudrais faire ma première à Amsterdam, là ou j’habite, sûrement mi-octobre prochain, mais rien de sûr pour le moment en raison de la pandémie. L’idée était également de vendre quelques tirages pour des œuvres de charité, mais pour le moment il faut que tout le monde passe les prochains mois en toute sécurité, rien d’autre ne compte.

Lors de notre entretien à Paris, vous veniez pour jouer à Dehors Brut. Comment s’est déroulée la soirée ?
Le club Concrete était une part tellement importante du développement de la scène techno à Paris, qui m’a accompagné tout au long de ma carrière. Je joue au Rex Club depuis plus de 20 ans, parfois deux ou trois fois par an à ses débuts lorsque c’était une petite scène. Mais quand Concrete est arrivée, ça a changé beaucoup de chose dans la capitale. Un nouveau souffle rempli de vitalité et de fraîcheur s’est installé. Le même genre de sensation que j’ai ressentie quand j’ai joué à Rennes ou à Nantes. En général en France c’est toujours excitant de jouer, car il y a de la passion qui anime le mouvement techno. Quand l’aventure Concrete s’est terminée, j’étais vraiment triste. Cette nuit, c’était la première soirée où je jouais à Dehors Brut. J’ai été impressionné par cet événement et le lieu, il y avait une très bonne atmosphère. Et une fois de plus j’ai ressenti la passion derrière les gens qui dirigent ce lieu et un devoir de prendre soin des autres. Tu ne te sens pas juste comme un artiste qui vient pour remplir un lieu, il y a beaucoup de respect et tu le ressens. Souvent c’est beaucoup plus par commodité que les DJs sont invités plutôt que pour leur talent artistique. Lorsque tu joues pour un club avec le respect artistique qui va avec, c’est vraiment spécial et agréable. J’ai donc passé une très bonne soirée hier.
Une version anglaise de l’interview est également disponible sur le site Internet de Trax.
Les photos de Dave Clarke sont à retrouver sur son compte Instagram.