Philippe Zdar, le présent à pleines dents

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©D.R.
Le 20.06.2019, à 14h58
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La carrière de Philippe Zdar, que ce soit avec la Funk Mob, Motorbass, Cassius ou avec tous les artistes pour lesquels il a travaillé en trente ans, fut marquée par une chose : jamais, ou presque, il n’a renié ses principes artistiques. En studio ou dans la vie, il faisait les choses à sa manière, sans regarder dans le rétro, sans trop se projeter non plus. Pour ancrer sa musique dans le présent, et pour incarner son époque. Son décès, survenu, cette nuit, nous le rappelle tristement.

Par Brice Miclet

Le hasard fait mal, très mal les choses. Philippe Zdar est mort cette nuit alors que le nouvel album de Cassius, dont il était la moitié, sort demain, vendredi 21 juin. C’est d’une tragédie sans nom, si le fait qu’il ait chuté de la fenêtre d’un immeuble à 50 ans seulement ne l’était déjà pas suffisamment. Alors qui pleure Zdar aujourd’hui ? Le hip-hop, la disco/funk électronique, la French Touch, la pop, la house… Tout le monde. Le producteur aux près de trente années de carrière ne verra donc pas les gens danser sur ce cinquième album, Dreems. Il y aurait de quoi pourtant, ne serait-ce que pour ce titre, “Don’t Let Me Be”, en featuring avec la chanteuse Owlle.

La porte d’entrée s’appelait MC Solaar

L’histoire de Zdar, c’est celle de Philippe Cerboneschi, mec parti du bas de l’échelle musicale, débarqué des Alpes à Paris pour devenir homme à tout faire dans le célèbre Studio Marcadet, en 1987. Lorsque son boss, Dominique Blanc-Francard, migre dans un autre studio, le Plus30, il part avec lui, et rencontre son fils, Hubert. C’est le coup de foudre amical : l’un s’appellera donc Zdar, l’autre Boom Bass. Ensemble, d’abord sous le nom de la Funk Mob et de Cassius, mais aussi séparément, ils écriront certaines des plus belles pages de la musique française de ces vingt-cinq dernières années. Rien que ça.

La première page, c’est un coup de bol, comme souvent. Zdar se retrouve à travailler avec la star naissante du rap français d’alors, MC Solaar, sur le titre “Bouge de là”, puis à produire une partie des titres de l’album Qui sème le vent récolte le tempo, sorti en 1991. Il s’est approprié très vite les codes de cette musique, se plie au sampling. Mais les choses changent rapidement. Lors d’une longue interview donnée à la Red Bull Music Academy en 2004, il expliquait : « Ça n’était pas assez intéressant musicalement. C’est quand j’ai découvert la techno que j’ai commencé à vouloir faire ma propre musique. On a réalisé que la meilleure manière d’être booké en tant que DJ, c’était d’avoir un groupe. »

Changement de tribu

Le virage est abrupt, et Zdar part s’acoquiner avec son propre assistant studio, Etienne de Crécy, pour former le duo Motorbass, dès 1993. Travailler dans l’ombre à la chaîne pour d’autres artistes, ça va deux secondes. « Si tu veux travailler dans ce milieu, il faut que tu sois honnête. C’est ce qui a tout changé pour moi. Je ne suis jamais allé dans un studio pour travailler sur quelque chose que je n’aimais pas. Si tu bosses sur la musique de quelqu’un sans aimer ce que tu fais, tu ne vas te donner qu’à 50 %. » Le milieu rave, la rencontre avec des Carl Craig ou des Richie Hawtin… Philippe Zdar a changé de camp, de tribu, à fond dans le son de Detroit (le nom Motorbass est une référence à cette ville).

Il est dans le wagon de ce que l’on appellera plus tard la French Touch, sans vraiment le savoir alors. Motorbass sort l’album Pansoul en 1996, une pierre angulaire.

En fondant Cassius la même année avec son compère des premières heures, Hubert Blanc-Francard, il réussit définitivement son objectif : avoir les moyens d’être à la fois reconnu comme producteur, compositeur-interprète et DJ. Il entérine surtout un son hérité des samples de disco, de filtres à go-go et de house music. L’album nommé Cassius 1999 est un carton. Son environnement a pris une autre ampleur, ses fréquentations aussi.

Rouler avec les rétroviseurs pétés

Mais pour comprendre la musique et la trajectoire de Philippe Zdar, il faut savoir une chose : il déteste le passé, et aime moyennement le futur. Cette période dorée où l’exportation des musiciens électroniques français bat des records, il la verra d’un œil tout autre quelques années plus tard : « Je déteste cette musique. Tout le monde faisait la même chose, à toute vitesse. Tu mets un kick, tu samples un morceau, et tu le fais. Ça tournait en boucle, de pire en pire en pire en pire… Avec de moins en moins de travail. En fait, la French Touch était basée sur notre amour pour Chicago. Les gens disent ‘Ah, la French Touch, c’est des filtres partout sur de la disco’. Mais j’ai des enregistrements de disco filtrée qui datent de 1988. Personne à Paris n’a inventé un truc pareil. Ça n’est plus possible de faire cela, il faut évoluer, continuer à inventer. »

Lorsque l’explosion des home producers, de la MAO et des plug-in est survenue, il a toujours tenu le même discours : il ne faut pas se contenter de ces nouveaux outils, il faut aussi savoir utiliser les machines. Il ne fait rien ou presque sans boîte à rythme. C’est l’une des pattes sonore de Cassius, d’ailleurs, cette capacité à sonner électronique mais aussi très organique. C’est aussi, d’une autre manière, ce qu’il pourra parfois apporter au groupe Phoenix, ses potes depuis leur premier album en 2000. Enfin, ils n’ont pas toujours été amis, comme il racontait à The Fader en 2012. « Quand on s’est rencontrés lors du premier jour de mixage, je leur ai dit : ‘Vous savez, je croyais que vous étiez des gros connards.’ Et ils m’ont dit : ‘Ouais, nous aussi.’ Et on est devenus des frères. C’est la première chose que l’on s’est dite. » En 2009, il participera grandement à leur explosion commerciale en co-produisant l’album Wolfgang Amadeus Phoenix.

Réunion au sommet

Cat Power, Beastie Boys, Kanye West, Sébastien Tellier, Kindness, The Rapture… Philippe Zdar devient un homme de studio multi-fonction, mais qui ne se limite pas à la technique. Il est un producteur à l’ancienne, un conseiller, parfois un maître à penser, attaché à ses principes : « C’est une philosophie. Ma manière de produire et de mixer est… Je ne sais pas… C’est comme si quelqu’un voulait aller en haut du K2, qu’on le faisait monter dans un hélicoptère et qu’on le déposait au sommet. Voilà. Moi, je suis un alpiniste. Je ne pourrais jamais être satisfait à l’écoute d’un album où je n’aurais pas fait tout cela en amont. » Directif aussi, cédant relativement peu aux artistes avec qui il travaille. Les choses sont faites à sa façon, si un musicien fait appel à lui, il doit en être conscient.

La mort de Philippe Zdar nous rappelle malheureusement celle de DJ Mehdi, qui a succombé à la chute d’une mezzanine dans la nuit du 13 septembre 2011. Tous deux ont percé grâce au rap, tous deux ont trouvé la possibilité de vivre de leurs envies musicales présentes et d’être reconnus pour leur capacité d’adaptation, pour leur versatilité.

Alors, même si elle fleurit sur les réseaux sociaux, la comparaison s’arrête là. Pas tout à fait la même époque, le même délire, le même caractère ni la même musique, tout simplement. Mais bon sang, c’est beau de les imaginer réunis là-haut.

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