Figure majeure de la musique électronique des années 2000 et de l’electroclash, Merrill Beth Nisker est en pleine séance de pouponnage avec le “coiffuriste” Charles Le Mindu. Elle s’apprête à offrir une performance excentrique, aux frontières du cabaret et d’un concert de rock. On en a profité pour se faufiler dans les loges et lui poser quelques questions au sujet de sa collaboration avec Jean-Michel Jarre, de la scène queer électronique et de Berlin, sa ville d’adoption.
“La sphère électronique se prend parfois un peu trop au sérieux”
Tu vas jouer juste avant Janus, le collectif queer berlinois qui ose proposer autre chose que ce qui se fait sur la scène techno/house et qui met en avant des artistes expérimentaux comme Lotic. Tu as entendu parler d’eux ?
Oui bien sûr, je les ai rencontrés à Berlin. Je pense qu’avec Lotic, on partage ce même côté punk : il est capable de passer deux morceaux de Rihanna dans une Boiler Room et de chanter les paroles en même temps, c’est punk ça, non ? Sans parler de ses productions percutantes et bizarres. Il ne se contente pas de faire des “boom tchak” en 4×4, et c’est assez agréable d’entendre quelque chose que tu n’as pas entendu quatre mille fois avant.
La scène berlinoise est devenue extrêmement à la mode ces dix dernières années, notamment grâce au Berghain qui est, à la base, un club gay…
Oui. D’ailleurs, c’est la prolongation d’un autre club gay qui s’appelait l’Ostgut. La mairie l’a ensuite fermé pour laisser place à l’O2 : j’ai même joué une fois là-bas.
“Les grands mouvements musicaux viennent très souvent de la scène gay”
Aujourd’hui, cette scène techno est nettement plus hétéro…
Oui, mais tu sais quoi ? Les grands mouvements musicaux viennent très souvent de la scène gay. Regarde la house de Chicago, celle de Detroit, le disco, même le punk et le glam avec les New York Dolls ! Même s’ils n’étaient aucunement gays, ils avaient ces accoutrements hyper-extravagants et féminins, les gens se sont dit : “Ah, en fait, c’est ok de s’habiller comme ça”.
Mais la culture de la fête est nettement moins fantaisiste maintenant, si l’on compare les photos de la Concrete en 2016 et celles du Palace dans les années 80. Tu trouves que la culture club devient trop sérieuse ?
Oui, c’est ce qui se passe quand l’esprit gay disparaît. Mais je pense qu’il se passe vraiment quelque chose quand tout le monde se mélange. Je ne suis pas fan des soirées 100% hétéro ou 100% gay. Le succès du Berghain tient en grande partie de ce mélange, à mon avis. Et Berlin aussi, d’ailleurs. Mais dès que ça devient quelque chose de très populaire au point d’enfanter une vraie scène, l’esprit originel est noyé dans la masse. L’électroclash, par exemple : ça a duré six mois ou un an, c’était une petite scène queer, et surtout, il y avait en majorité des femmes ! Mais après, c’est devenu la nu-rave, pour finalement donner l’EDM. Donc tu vois, même ce genre de musique vient de la scène gay.
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Ici à Paris, on entend pas mal de gens regretter le Pulp (mythique club lesbien installé sur les Grands Boulevards jusqu’à 2007, où ont joué Laurent Garnier, Ivan Smagghe ou encore Chloé)…
Oui, j’y ai joué aussi ! Les organisatrices avaient carrément construit une scène en plein milieu du dancefloor. L’ambiance était complètement folle.
“Rouler des pelles à plein de filles, voilà ce dont je me rappelle du Pulp !”
Quels souvenirs en gardes-tu ?
Wow, rouler des pelles à plein de filles, voilà ce dont je me rappelle ! Maintenant, il y a la Wet For Me. Le crew organisateur, Barbieturix, a la gentillesse de m’inviter de temps en temps.
Tu sors un album de remix, comment as-tu choisi les producteurs à qui tu allais confier tes morceaux ?
Ce ne sont que des amies… Que des filles. Il y aura notamment Paula Temple, Maya Jane Coles et Planningtorock. Paula, je l’ai rencontrée à un concert de Kate Bush : improbable, non ? En tout cas, c’était important pour moi de mettre un coup de projecteur sur ces productrices que j’adore et que je trouve très talentueuses, même si elles n’ont pas forcément besoin de moi pour être dans la lumière.
Quand as-tu commencé à travailler avec des machines ?
Bien avant de partir à Berlin. J’étais encore à Toronto à l’époque, et tous mes potes étaient partis vivre ailleurs, j’étais toute seule. J’ai mis la main sur une Roland MC-505 et je me suis dit : “OK, maintenant, je peux faire le synthé, la basse, la batterie… Toute seule”. À l’époque, il n’y avait pas encore d’ordinateur, donc c’était un peu moins compliqué, tout était sur la même machine.
Tu as collaboré avec Jean-Michel Jarre sur le deuxième volet de Electronica. Comment s’est passée cette rencontre ?
Eh bien, je m’attendais à travailler avec quelqu’un qui prenait très au sérieux sa musique, bla bla bla… En fait, il est adorable et j’ai beaucoup aimé travailler avec lui. Il est très ouvert et a su respecter ma façon de faire de la musique, ma “politique”. Bon, pour être honnête, tout s’est fait par Internet, on s’envoyait des trucs et on agrémentait de quelques commentaires. Tous les deux, on ne s’est rencontrés “en vrai” qu’une fois le morceau fini. Il est venu me voir quand je jouais à Berlin, on a traîné dans la ville et c’était très sympa.
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Dans tes lyrics, il y a cette façon très directe et crue d’aborder la sexualité, toujours avec de l’humour. Depuis la ghetto house de Chicago, où les paroles étaient hyper-salaces, cette tendance a un peu disparu dans la musique électronique…
Oui, il faut que ça reste fun mais disons que ce n’est pas la tendance dominante. Mon propos, ce n’est pas de choquer, c’est d’être comprise et que les gens se reconnaissent dans ces lyrics. La sphère électronique se prend parfois un peu trop au sérieux. Le plus étonnant dans tout ça, c’est que beaucoup de producteurs “sérieux” aiment ma musique. Mais la plupart sont des nerds… Et attention, on en a sacrément besoin : nerds make the world go round. Certaines personnes estiment qu’une touche d’humour pourrait dégrader la qualité de leur musique. Je pense le contraire.
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