Photos par Flavien Prioreau
La rencontre fixée dans un hôtel particulier du 16ème arrondissement aurait pu nous conforter dans l’idée disséminée par les clips de MotherTrucker et Cloud River, que Paul Kalkbrenner a pris une route que ses premiers fans risquent de ne pas suivre. Mais en le voyant débouler tout sourire dans l’escalier en pierre de la terrasse, baskets quelconques, tee-shirt noir au message argenté et lunettes de soleil sur le nez, on se dit que finalement Kalkbrenner est resté le même. Les visions de lui jouant sans complexe en maillot de foot et boule à zéro dans des stades remplis seront encore d’actualité, et ce pour de nombreuses années. D’autant plus que c’est vers ça que tend sa nouvelle ambition, qu’il ne cache pas, et qui semble ne pas le faire tenir en place sur sa banquette : l’Allemand de l’Est est décidé, il s’en va conquérir les États-Unis et le Monde.
Car même si ses débuts sur Bpitch Control (le label d’Ellen Allien) ont été aussi glorieux que son hit “Aaron” ou “Sky and Sand” qui résonnent encore dans les tripes des plus juvéniles, que son interprétation d’Ickarius dans Berlin Calling ou encore son réussi album Guten Tag, c’est désormais vers l’avenir que Paul K se tourne. Et vous l’aurez compris, son nouvel album 7 n’est qu’un tremplin pour atteindre ses objectifs américains et les deux premiers tracks dévoilés ne sont qu’un hameçon à l’attention. Excepté “Feed Your Head”, le troisième et dernier track à vocales, le reste de l’album est quant à lui fidèle à son créateur et à cette sonorité cristalline et nostalgique qu’il a fait sienne. Vendu pour certains ou déterminé pour d’autres, quoi qu’il en soit, on vous conseille d’attendre l’intégralité de son album prévu pour le 10 août avant de juger. Car pour l’heure, Mr Kalkbrenner est en face de nous et après cette discussion, sa direction nous est apparue moins biaisée qu’elle n’y parait. Rencontre avec un ambitieux dont ni les yeux, ni le son, n’ont pris une ride.
Rencontre avec Paul Kalkbrenner
(c) Flavien Prioreau.
Parle-nous de ce nouvel album, 7. La dernière fois que tu nous disais bonjour c’était il y a trois ans pour ton dernier et sixième album studio Guten Tag…
Ça vous a paru long ? Moi, je n’ai pas vu le temps passer ! Je l’ai intitulé 7 parce que c’est mon septième vrai album en studio, sans compter celui de remixes (X, en 2014)… Je n’ai pas pu le faire avant parce que j’ai énormément joué sur scène dernièrement. De 2009 à 2013, ça a été des années folles pour moi. Le seul moment où j’ai vraiment pu me poser et m’enfermer dans mon studio, c’était en septembre 2013. Depuis, j’ai pris du temps pour celui-là. Faire un album, c’est comme pour faire un bon vin, il faut du temps pour qu’il soit bon et il faut savoir être patient.
Concernant la composition de cet album, tu as eu accès aux archives de ton nouveau label, Sony/Columbia. Pourquoi avoir choisi ces vocales de Jefferson Airplane, D Train et Luther Vandross en particulier ?
C’est toujours lié à cette question de temps. Vu que j’ai eu presque trois ans pour préparer cet album, j’ai pu digger à l’intérieur des archives de cette nouvelle major. Ils m’ont suggéré des choix qui pourraient me plaire, j’ai commencé à les travailler et voilà le résultat.
Je dois passer à la radio maintenant.
C’est tout de même assez surprenant puisque même si on retrouve ta signature sonore dans le reste de l’album, ces trois tracks avec les vocales ne te ressemblent pas vraiment… Il y a une pression de ta major derrière tout ça non ?
Je ne peux pas trop en parler. Mais tu sais, je dois passer à la radio maintenant. Si je voulais continuer avec cette signature authentique, la signature “Kalkbrenner”, celle que je propose depuis plus de 20 ans maintenant, je n’aurai pas signé chez eux. Maintenant que c’est fait je dois pouvoir les vendre et un track sans vocales, ça ne passe pas à la radio. Je me suis demandé ce que je pouvais faire pour jouer le jeu. Remettre des vocales de Fritz ? Non, on l’avait déjà fait et tout le monde sait que ça aurait été une connerie. Faire chanter des personnes pour moi ? Impossible, je travaille seul dans mon studio et je ne veux voir personne d’autre que moi à l’intérieur.
Pourquoi une connerie ? Tu ne veux plus travailler avec Fritz ?
Ce n’est pas ça mais on l’avait déjà fait et ça n’aurait servi à rien de recommencer. Ce n’est pas non plus facile pour lui, même s’il réussit très bien de son côté, c’est le petit frère dans l’ombre et je n’avais pas envie de lui faire ça. Nous avons beau travailler tous les deux dans la musique, quand nous nous voyons, nous n’en parlons jamais.
Donc ces vocales tirées d’archives sonores ont été la meilleure alternative ?
Disons que c’est la meilleure solution qui s’est offerte à moi pour faire ce que l’on me demandait. Si cela ne dépendait que de moi, crois moi, j’aurai fait autre chose, un album complètement instrumental, sans voix. Mais j’ai dû le faire.
Ma musique sera enfin partout et tout le monde pourra l’écouter.
Tu es à l’aise avec ces concessions ?
Oui, parce que tout ce que j’ai voulu faire, je l’ai fait ces dernières années avec mon propre label. Il faut comprendre qu’avec cet album, je veux franchir une nouvelle étape. En France, en Allemagne ou en Europe, c’est facile, je suis connu et il y a des fans de Kalkbrenner partout. Mais il y a tellement d’autres pays ailleurs, la Lituanie… Ce n’est pas du tout pareil. En Australie ou aux États-Unis, mon nom est en minuscule sur les line-up et il est tout en bas. Je n’ai pas encore réussi à les atteindre et c’est ce que ce label va pouvoir m’apporter grâce à leur énorme réseau de distribution. Ma musique sera enfin partout et tout le monde pourra l’écouter. Mais c’est tellement dur de rendre les choses accessibles et ce n’est pas encore gagné.
C’est ce que le personnage de Julian essaie de faire dans ta trilogie de clips Mothertrucker, Cloud River et bientôt Feed Your Head réalisés par Droga 5 ? (ndlr : célèbre agence de publicité de New-York)
Julian est un sorte de jeune Paul Kalkbrenner, ce fan de hardcore qui arrive aux États-Unis et qui apporte cette musique que personne ne connaît.
Ce garçon est une personnification de ta musique, il représente ta nouvelle mission, comme un messager qui veut véhiculer ta musique partout dans le monde ?
Oui et véhiculer mon histoire et ce que je veux faire. Droga 5 a voulu que ce message soit accessible au plus grand nombre d’américains. Lorsqu’ils m’ont présenté ce concept, j’ai tout simplement adoré. Oui, si on veut, on peut considérer Julian comme un messager. Mais il veut juste qu’on écoute sa musique et que tout le monde soit content. Aujourd’hui, Sony et Colombia me donnent la chance de remplir la mission que je me suis fixée.
Mec, retourne dans ton studio !
Tu fais souvent passer tes messages au travers d’autres personnages. D’abord avec Ickarus dans Berlin Calling — où beaucoup ont d’ailleurs pensé que ce film était une autobiographie — et maintenant avec Florian…
C’est parce que je n’aime pas être au premier plan, se mettre en avant tout le temps… Je ne suis pas ce genre de mec. Je refuse toutes les interviews télévisées parce que l’une de mes règles principales c’est de ne pas passer à la télé, car je ne veux pas déranger le public, leur montrer tout le temps ma tête et apparaître sur tous les écrans aux côtés de telle ou tel mannequin… Non. Quand je vois des mecs qui font ça sur les tapis rouges, je me demande toujours qui est à leur place dans le studio. C’est vrai ça, non ? Ne devrait-il pas être en train de travailler ? Mec, retourne dans ton studio !
Pourtant en faisant partie malgré toi ou non de ce star system, tu es obligé d’être constamment au premier plan. Comment fais-tu pour rester si apaisé et toujours souriant ?
Ah, ça c’est mon petit secret. J’essaie de rester simple, rare et de suivre la voie que je me suis fixée. Ma grand-mère m’a toujours dit « tout vient à point à qui sait attendre ». Il me semble que ça a plutôt bien marché non ? (rire) Ah ! Et il y a aussi une grosse partie de chance.
De chance ?
Oui de chance ! Si j’avais eu le même parcours mais sans avoir de chance… Je ne serais pas là ! Tout aurait été différent.
Ces fans qui regrettent mes premières productions des années 90… Je les ai déjà perdus il y a des années.
Comment réagis-tu quand certains de tes fans se disent déçus de ce nouvel album ? Certains commentaires disent même que l’on est plus proche de “Money Calling” que de Berlin Calling ?
Oh! tu sais, tous ces gens, ces fans qui regrettent Berlin Calling, mes premières productions sur BPitch, ou encore celles des années 90… Je les ai déjà perdus il y a des années. Et je ne compte pas les récupérer avec cet album. Je fais ce que je veux après tout. De toute manière, tu ne peux pas rendre tout le monde content et honnêtement, je suis tellement heureux de ne plus être là où j’en étais avant… Je ne veux plus faire ça, c’était quand même des années pas très faciles et ce milieu est un milieu de requins.
Ne trouves-tu pas que plus un courant musical devient mainstream, plus ses artistes ressentent le besoin de revendiquer qu’ils étaient là avant et de le défendre ? C’est ce qu’il se passe avec la musique électronique…
Si, c’est ce que j’essaie de faire depuis longtemps maintenant. Et j’espère avoir réussi à la défendre un peu. Maintenant, mon agence a décidé de me pousser le plus loin possible sur la scène électronique, mais je ne suis plus inquiet pour elle maintenant, la machine est lancée.
Regarde maintenant, [la musique électronique] est plus grosse que le rock’n’roll !
Comment vois-tu cette évolution ?
Pfffou, c’est énorme ! Il y a dix ans, tout le monde me riait au nez et disait que c’était mort. Regarde maintenant, c’est plus gros que le rock’n’roll ! Et ça vient juste de commencer (rires). Il y a trente ans, on disait que tout le monde écoutait les Beatles. Mais c’est faux, ce n’était qu’en Amérique du Nord, en Europe de l’Ouest et quelques personnes au Japon… Maintenant avec la musique électronique, c’est dans chaque coin de cette planète, c’est la première fois qu’un courant englobe autant de monde. La techno est devenue si vitale. UN FUTUR GLORIEUX NOUS ATTEND ! (en criant) Il y a quelques années, des grandes majors ou des personnes mal intentionnées de l’industrie auraient pu abîmer ce mouvement. Mais maintenant, je n’ai plus peur, je sais que je suis devenu suffisamment important pour que le message soit véhiculé comme je le veux. J’ai une liberté artistique totale et en plus, je suis le premier artiste à avoir eu l’honneur d’avoir accès à ces archives sonores.
UN FUTUR GLORIEUX NOUS ATTEND !
En parlant de sonorités, contrairement à tes précédents albums Icke Weider ou Zeit dont les tracks sont en allemand, ceux de 7 sont tous en anglais. C’est toujours lié avec Sony/Columbia ?
Oui c’est lié avec la major. Sur mon propre label, je me suis déjà amusé à mettre des noms de tracks bizarres en allemand, que personne ne comprenait à part moi. Il n’y a que très peu d’amis qui savent vraiment ce que ça voulait dire, et encore. C’était tellement personnel mais c’est ça qui me faisait marrer. Maintenant, en anglais c’est plus accessible. Je ne m’en cache pas : c’est pour faciliter sa sortie dans le monde entier. Alors, en anglais s’il vous plait !
Tu es parti pour une longue tournée ? On a entendu dire qu’il y aurait une nouvelle scénographie sur scène ?
Oui ça va être génial ! Il y aura 12 spots LEDs qui peuvent tourner ensemble, mais chacun séparément. Nous avons prévu un tout nouveau contenu avec la même équipe qui m’a toujours accompagné, ça bougera dans tous les sens…
Paul Kalkbrenner (c) Flavien Priorieau.
Puisque cet album marque un nouveau départ, que dirais-tu de ces dernières années ?
C’est trop tôt encore pour le dire non ? Je vois les choses comme une sorte de montagne (il le mime avec ses mains). J’ai commencé à gravir petit à petit et là je suis arrivé en haut et ah! quelle vue ! Mais je suis encore au début de quelque chose d’encore plus grand. C’est ce que je ressens et ça fait du bien. Je ne pourrais pas être plus heureux. Encore une fois, ce n’est qu’une question de chance et de patience. J’ai su attendre mon moment.
Tu as eu une petite fille aussi, toutes nos félicitations d’ailleurs ! Oui ! Merci !
Une question un peu clichée pour la dernière : tu aimerais qu’elle devienne DJ comme toi ? (rires)
Elle ne le sera pas parce qu’elle trouvera ça sûrement has been et super ennuyant, comme tous les enfants avec leurs parents qui écoutent leur musique passer à la radio. Elle hurlera sûrement : « Papa, arrête avec cette musique électronique ! »
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7, prévu le 10 août. En pré-commande via iTunes