Paris : un viol a-t-il été commis dans l’enceinte du club techno NF-34 le 15 août dernier ?

Écrit par Alexis Tytelman
Photo de couverture : ©D.R
Le 19.08.2019, à 10h36
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Écrit par Alexis Tytelman
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Un viol a-t-il été commis dans l’enceinte du club NF-34 la nuit du 15 août dernier ? Alors qu’une plainte a été déposée et que l’enquête suit son cours, la question secoue la scène techno parisienne depuis presque une semaine. Accusations, rumeurs, communiqués, témoignages… Mise au point sur les faits établis.

« Hier soir, mon amie s’est faite violer chez vous, et vous n’avez rien fait ». Voilà une partie du post Facebook publié par Clément “Ba” le soir du vendredi 16 août. Accusant le club techno NF-34 d’avoir « protégé le violeur », son auteur conclue par un lapidaire : « Vous êtes des criminels ». Alors que le texte atteint des dizaines de partages et plusieurs centaines de commentaires, Mélanie Moresve, organisatrice d’évènement, affirme dans un autre post que l’établissement aurait tout fait pour étouffer l’affaire. « Après ton changement de nom suite à des comas, voilà maintenant un viol. Et après ça sera quoi ? », écrit-elle alors. Si une plainte pour viol a effectivement été déposée, les accusations envers le club ont rapidement été dénoncés comme diffamatoires dans un communiqué posté le jour-même  – NF-34 affirmant « être victime de fausses informations de la part de personnes qui n’étaient pas présentes à la soirée  ».  

Tout le week-end, de nombreux internautes s’insurgent, ne se privant pas de mentionner un autre scandale auquel le club avait fait face il y a deux ans. C’était en décembre 2017, lors d’une soirée “Jeudi Techno”, où 3 personnes avaient été hospitalisées après une surdose de GHB. Pour certains, cette nouvelle affaire prouverait que Nuits Fauves – renommé NF-34 après une brève fermeture « exceptionnellement annulée par le tribunal administratif de Paris » – n’aurait pas tiré les leçons de cet épisode. De son côté, le club déplore « un traitement injuste à leur égard dans le contexte d’une crise sanitaire qui a touché de nombreux établissements parisiens et abouti à un décès tragique dans un autre club ». Par ailleurs, ajoutent-ils « des dispositions et une réflexion face aux nouveaux modes de consommations de drogues ont été prises à l’époque et depuis ». Devant la multiplication des appels au boycott et la propagation de nouvelles rumeurs dans la journée de samedi, le club, ainsi que Mathilda Meerschart, organisatrice de la soirée Jeudi Banco et, par ailleurs, gérante de l’association féministe Woman’s speech, décident de répondre aux rumeurs par le biais de plusieurs posts Facebook.  

Un suspect récidiviste ?

Dans la journée du samedi, de nombreux commentaires affirment, a priori sans preuves, que l’agresseur serait RP (relation presse, ndlr) de NF-34 ou d’une “orga” parisienne. Qu’il aurait drogué, puis violé une jeune femme dans les backstages du club. Des rumeurs vite démenties par NF-34 et Jeudi Banco, qui assurent que le suspect est extérieur à leurs équipes et a été pris en charge par la sécurité du club. L’organisatrice de la soirée mentionne alors « une agression sexuelle », et pointe du doigt « un habitué du club » à qui elle aurait « cassé la gueule » avant de le livrer à la sécurité. Le lendemain, un autre communiqué de NF-34 apporte une information supplémentaire : une plainte pour viol a bien été déposée le lendemain de la soirée conte l’individu.

Dans le même temps, le suspect, dont le nom se met rapidement à circuler, continue d’être actif sur Instagram, et publie une story flanquée de la formule suivante « bon ok, elle était sous taz (ecstasy, ndlr) ça compte pas c’était pas du GHB » avant de changer son statut en “Agresseur à NF-34” puis, le lendemain, de supprimer son compte. Selon une de ses anciennes camarades de lycée, qui a pris contact avec Trax, le jeune homme de 19 ans se serait également rendu coupable d’agressions sexuelles sur plusieurs de ses camarades de lycée. « Il y a deux ans, il m’a agressée alors que nous étions tous deux sous l’emprise de somnifères, puis a publié des photos intimes de moi sur Twitter. Clairement ce n’était pas la première fois qu’il faisait ça », raconte-t-elle. 

Quelques éclaircissements sur les faits

Que s’est-il passé avant que cet individu ne soit remis à la sécurité ? De quoi était-il alors soupçonné ? Et pourquoi a-t-il été relâché ? Pour obtenir des réponses plus claires, nous avons contacté tour à tour la direction du club, l’organisatrice de la soirée et, enfin, une autre victime potentielle, habituée du NF-34 et amie de Mathilda. Cette dernière, « après avoir longuement hésité », raconte sa soirée sur Facebook et au téléphone pour, dit-elle, mettre fin aux rumeurs et démentir une partie des propos tenus par Clément “Ba” et Mélanie Moresve. Et ce alors que « quelques bribes lui manquent encore» Car Tiphaine, de son prénom, a été droguée ce soir là.

La sécurité mise en cause

S’il faudra attendre les résultats de l’enquête policière et l’issue de la plainte pour viol afin d’en savoir plus sur le déroulement détaillé de la nuit du 15 août, cette histoire soulève d’autres enjeux importants. Comment le suspect a-t-il pu pénétrer dans les backstages ? Pourquoi, alors qu’il était apparemment suspecté par l’organisatrice d’avoir drogué deux personnes, a-t-il été relâché ? Des questions auxquelles la direction du club et la représentante de Jeudi Banco ont accepté de répondre plus en détail.

« Le backstage devait être fermé ce soir-là », explique la direction et, « profitant qu’un artiste ait demandé à l’ouvrir, le suspect a fini par réussir à y pénétrer. Lorsqu’il a été remis à la sécurité, il était considéré comme un simple “perturbateur”. Il n’avait rien sur lui, et on ne nous a rien dit de plus sur son comportement. Nous n’avons eu, à ce moment, aucun retour des deux victimes potentielles, qui étaient incapables de communiquer, ni de leurs amies. Conformément à la procédure, la sécurité a donc pris la décision, après avoir consigné son identité, de le relâcher. Dès qu’on a eu vent de la plainte, on a immédiatement mis au courant la police », affirme-t-elle.

Des éclaircissements qui, sur ces points, concordent avec les témoignages de Tiphaine et de l’organisatrice de l’évènement, qui envisage elle la possibilité « d’une erreur de communication » au moment de la remise du suspect à la sécurité. « Y’a-t-il eu des erreurs ? Sûrement. Mais nous accuser de couvrir un viol ou de négliger la sécurité ? C’est n’importe quoi. Je pense qu’on a fait correctement notre boulot ce soir-là », considère de son côté le club. Pour Tiphaine, répondant aux accusations portées à l’égard de NF-34 qui, pouvait-on lire samedi sur Facebook, n’aurait fait « que donner une bouteille d’eau » à la plaignante (la personne ayant déposé plainte, ndlr)« L’organisatrice, l’équipe du NF-34 et le secouriste se sont occupés de nous comme il faut ».

De nouvelles mesures

Transmis entre dimanche et mercredi, ces compléments d’information n’ont pas pu empêcher le label de house parisien Pont Neuf Records d’annuler, dès le samedi midi, ce qui devait être son premier évènement dans l’enceinte du club. « Il était inconcevable de maintenir la soirée en sachant que le club n’était pas capable de nous garantir la sécurité du public. C’est dramatique qu’il faille attendre un autre drame pour commencer à se réveiller », s’indigne le représentant du collectif, considérant que « les clubs français sont à la ramasse en matière de sécurité et de drogues. » Pour lui, « ils devraient tous mettre en place des mesures de prévention drastiques, et surtout des moyens permettant de détecter des drogues dans les verres, peu importe le coût. » On peut ici citer, par exemple, le dispositif développé par Undercover Colours qui, reposant sur le principe de la bandelette-test, permet de détecter immédiatement la présence de certains produits dont le GHB et le Valium.

Visiblement, le message a été à peu près entendu, et le communiqué publié dimanche par le club et Jeudi Banco annonce la mise en place d’actions de prévention supplémentaires. Pas de bandelette-test prévue pour le moment mais, cite Mathilda, « de nouveaux partenariats associatifs, une campagne d’affiches dans le club et la pose de couvercles sur les verres» Face aux critiques visant la société de sécurité, NF-34 compte de son côté « opérer un changement complet de l’équipe en place ». Mais récuse toutefois les arguments, abondamment relayés, selon lesquels cette dernière aurait joué le rôle de « fusible » ou que le club, par cette décision, confesserait sa responsabilité dans cette affaire. « Le fait que des informations négatives sur cette équipe nous soient remontées nous a encouragé à la renouveler. Pas pour s’en servir comme bouc émissaire, mais pour former un nouveau staff et repartir sur des bonnes bases ». Ce renouvellement inclue-t-il  la personne chargée de la formation de l’équipe de sécurité ? Sur ce point, la direction dit garder « toute confiance » en la personne en place, ajoutant avoir « renforcé ses effectifs de sécurité et de secours » depuis 2017. 

Pour Tiphaine, « tant mieux que l’équipe de sécurité change, si cela permet de rendre le club plus sûr et d’améliorer la prévention. Il est temps de se réveiller. » De son côté, NF-34 entend bien profiter de cette affaire pour « élever le débat ». Dépasser la polémique et l’emballement sur les réseaux sociaux, mais aussi affirmer la nécessité « d’une remise en question globale en termes de législation, de gestion évènementielle et de sensibilisation au consentement ». Et soulignent un besoin « de vigilance accrue sur les comportements à risques de la part des clubs, mais aussi du public. » Clément “Ba”, qui a supprimé son post initial, a annoncé dans un nouveau message le lancement d’une cagnotte visant à aider la plaignante à payer les frais du procès à venir. Il maintient toujours sa version des faits et affirme « s’être muni d’un avocat. » Selon la mère de l’agresseur présumé, qui a contacté la rédaction, ce dernier serait actuellement hospitalisé après avoir ingurgité « des tonnes de médicaments ». La plaignante n’a quant à elle pas souhaité s’exprimer à ce jour.

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