Paris : la musique électronique servirait-elle une politique de gentrification des banlieues ?

Écrit par Erwan Lecoup
Photo de couverture : ©D.R
Le 28.04.2020, à 18h08
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Écrit par Erwan Lecoup
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Une tribune, parue sur le site Jef Klak, pose la question de «l’instrumentalisation des musiques électroniques » dans le développement politique du Grand Paris. Alors que la banlieue est devenue the place to be nocturne pour les Parisien·nes, les cultures électroniques, historiquement alternatives, seraient-elles devenues la main invisible d’une politique de gentrification des quartiers périphériques ?

Par Jean-Paul Deniaud et Erwan Lecoup

Banlieue is the new cool.” Sous ce titre catchy, un article est paru le 18 février sur le site Jef Klak, écrit par Samuel Lamontagne, ethnomusicologue spécialiste des musiques électroniques et hip-hop. Dans cette longue enquête, forte étayée et référencée, celui-ci y dénonce une « instrumentalisation des musiques électroniques » au profit d’une politique urbaine qui vise à étendre la capitale sur sa proche banlieue. Un phénomène qui verrait, selon l’auteur, une convergence entre le réveil de la Ville de Paris sur sa politique de vie nocturne au début des années 2010, l’institutionnalisation des pratiques festives dans de hauts lieux culturels, et le développement du projet du Grand Paris.

Boiler Room©D.R.

Entre institutionnalisation et culture alternative

L’article débute avec un premier rappel historique. En novembre 2010, la pétition “Paris : quand la nuit meurt en silence” amène la Ville de Paris à la création des États généraux de la nuit, puis 4 ans plus tard, au premier Conseil de la Nuit. Avec une enveloppe de « douze millions d’euros » l’objectif est de dynamiser l’offre en matière d’activités nocturnes. La capitale voit les années suivantes émerger entre ses murs et en dehors nombre d’événements et de lieux nocturnes de toutes tailles, issu de Paris ou de l’étranger « comme Boiler Room […] et Red Bull Music Academy ». À l’enjeu de rejoindre l’attractivité des grandes capitales européennes, Paris répond en plaçant les musiques électroniques au cœur du jeu culturel et économique.

La démocratisation de la culture festive voit naître nombre de jeunes collectifs, rappelle Lamontagne, et de nouvelles relations avec les grandes institutions. Aux côtés des La Mamie’s, Possession ou Fée Croquer, et des Supr!ze (Concrete, Weather, Dehors Brut) ou We Love Art (Peacock Society, We Love Green), les lieux institutionnels s’y mettent aussi. Et font vibrer la Gaîté Lyrique, l’Institut du Monde Arabe, ou la Philharmonie de Paris, avec l’exposition Électro, de Kraftwerk à Daft Punk en 2019. Certains lieux alternatifs, comme La Station – Gare des Mines et le Péripate entre Paris et Aubervilliers, ou le 6b à Saint-Denis, reçoivent un soutien politique et parfois économique de la Ville ou de la Région.

La Station – Gare des Mines©Guendalina Flamini

« Banlieue is the new cool »

Les contours du Grand Paris se précisent à la même période, avec la culture parmi les axes de préparation des territoires, argumente Samuel Lamontagne. S’installent en proche banlieue quelques grandes entreprises créatives, et les jeunes actifs cherchant « une atmosphère “cool”, détendue et bohème ». Les activités nocturnes et festives, alors facilitées par les pouvoirs publics, concourent elles aussi « désormais aux redéfinitions urbanistique et symbolique de quartiers populaires de la périphérie ». Pour l’auteur, la petite couronne devient très vite une « zone de liberté, un terrain de jeu rempli d’espaces insolites à explorer où faire la fête de manière nouvelle. Banlieue is the new cool ». Malgré leurs désirs de diversité et d’inclusion, les fêtes en proche banlieue n’échappent pas à une certaine homogénéisation du public due à la gentrification des activités culturelles.

Et Samuel Lamontagne d’arguer que, consciemment ou non, les musiques électroniques, « historiquement liées à des espaces de transgression, [se retrouvent] engagées dans des processus d’instrumentalisation de la culture » au profit de logiques d’« urbanisme transitoire ». L’auteur conclut par le fait que « les stratégies politiques et marketing du Grand Paris ont su avantageusement tirer parti de la patine alternative et du potentiel cool » des cultures électroniques.

L’intégralité de la tribune est disponible sur le site Internet de Jef Klak.

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