Paris : les meilleures teufs alternatives et le futur de l’underground, par ses DJ’s et collectifs phares

Écrit par Jean-Paul Deniaud
Photo de couverture : ©Jacob Khrist
Le 19.06.2017, à 10h53
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©Jacob Khrist
Écrit par Jean-Paul Deniaud
Photo de couverture : ©Jacob Khrist
On parle souvent de la nouvelle scène française, mais qu’entend-on vraiment par là, et dans quelle direction évolue-t-elle ? Hugo LX, Bamao Yendé, Exal, BLNDR, AZF, le collectif Fils de Vénus, Dj Ouai et Miley Serious de TGAF et Oko DJ ont tous répondu aux questions de Trax sur le futur et l’effervescence de la musique électronique Made in France. Et pour joindre le geste à la parole, ils se succéderont les 7 et 8 juillet prochains aux platines du Peacock Society Festival.

Voilà une interview croisée comme on en fait rarement. Hugo LX, producteur de house qui a sorti cette année son premier album Akegata chez Nowadays Records après avoir signé une flopée d’EP sur le label de Jeremy Underground répond à Bamao Yendé, boss de Boukan records et fier représentant d’un style hybride qui marie house tribale et bass music ; le collectif Fils de Vénus, instigateur des soirées Trash/Romance au Batofar, complète la vision de BLNDR, le fondateur du collectif Container, tandis qu’Exal de chez BLOCAUS renvoie la balle à DJ AZF, la programmatrice des Jeudi Minuits à la Java qui s’est taillé une belle place dans la nuit parisienne avec sa techno brutale. Enfin, Oko DJ, résidente sur la webradio Lyl, offre avec DJ Ouai et Miley Serious de TGAF un panorama complet des musiques électroniques qui sortent des sentiers battus.

Il y a quatre ans, Paris se réveillait d’un seul mouvement, tout le monde faisant plus ou moins la fête ensemble. Si un DJ ou un journaliste étranger vous demandait « à quoi ressemble la scène électronique underground parisienne en 2017 ? », vous lui répondriez quoi ?


Hugo LX : Je vis à Paris de manière assez intermittente, et j’étais absent au moment de ce réveil, donc je garde un regard extérieur. Mais il me semble qu’il y a autant de crews que de DJ’s dans la région parisienne.

« Aujourd’hui la scène parisienne est multiple et complètement décloisonnée, le public ne se limite plus à un seul type de soirée. »


Bamao Yendé : Je dirais qu’elle est riche, elle se diversifie de plus en plus. Pas encore assez mais on laisse un peu plus leur chance à des soirées qui ne soient pas house ou techno.

BLNDR : Il y a effectivement aujourd’hui une division du public club parisien avec l’apparition de plusieurs classes de fêtard. Certains pencheront plutôt vers des événements plus reculés dans la périphérie de Paris, des lieux insolites, des hangars. D’autres restes des habitués des clubs et privilégient les sorties “intramuros” dans un cadre plus conventionnel.

AZF : Pour moi ça a toujours été un conglomérat de plusieurs crews qui étaient tous d’accord pour faire changer les choses, casser les monopoles de ceux qui détenaient tous les clubs et qui empêchaient qu’une vraie dynamique se mette en place. Grâce à la multiplication des lieux, des propositions artistiques, Paris a réussi à se faire une vraie place sur la carte. À mes yeux, elle n’a jamais été aussi polymorphe, vivante et dynamique qu’aujourd’hui.

Fils de Vénus : Aujourd’hui, la scène parisienne est multiple et complètement décloisonnée, le public ne se limite plus à un seul type de soirée.

Dj Ouai : Ce qui me vient en tête quand je pense à la scène underground parisienne ce sont les événements qui accueillent la communauté LGBTQ : les soirées vogueing, les Parkingstone, les I’ve seen the future, les Coucou, les House of Moda…

Miley Serious : Il y a des noms qui font que la France a un fort côté underground comme ceux, qu’a cité Dj Ouai, et j’ajouterais Gravats, Renascence et Tripalium corp, qui font eux aussi la culture de Paris maintenant.

Avez-vous vos lieux QG, vos soirées rendez-vous ? Si oui, lesquels ? Quels sont les autres collectifs qui gravitent autour de vous ?

Hugo LX : J’ai toujours beaucoup de plaisir à aller aux fêtes de la Mamie’s et bien sûr à la soirée Mona. Cela correspond à mon approche organique de la musique. J’ai également apprécié de travailler avec le Badaboum récemment.

Bamao Yendé : En période estivale je préfère faire la fête en extérieur, comme à la Station ou dans des lieux alternatifs. Sinon, Dada Temple c’est bon délire, c’est good vibes. La plupart du temps je traine avec mon squad du Boukan, et souvent avec les girls du crew Mermaid Express, les mecs du Bel Air ou Promesses.

Exal : Je reviens aussi souvent que je peux pour nos soirées Blocaus. C’est là qu’il y a tous les potes, c’est le top ! Sinon, Champ Libre, même si je n’y suis pas allé autant de fois que j’aurais voulu.

BLNDR : Je ne sors pas énormément en boîte, mais quand c’est le cas j’aime beaucoup aller à Concrete. Il y a également les soirées Container & Blocaus qui sont mes deux collectifs “familiaux” sur paris.

AZF : Je traîne moins en club qu’avant, mon QG c’est le bar de mes potes, le Xème, rue Mazagran. Et quand je sors je vais généralement au Péripate, ou à la Station porte d’Aubervilliers. En ce qui concerne les collectifs proches, ça serait Guilty Dogs, Boukan Records, Le Turc Mécanique, le crew de Champ Libre, Fils de Vénus, 75021, Metaphore Collectif à Marseille pour ne citer qu’eux…

Fils de Vénus : Il y a quelques lieux qu’on affectionne particulièrement comme le Badaboum, La Station, La Folie ou la Chaufferie du Moulin Rouge, nos soirées se baladent dans ces lieux en fonction de notre programmation.

Dj Ouai : On squatte les unes chez les autres, parfois on se voit au DOC, notre studio. On se rassemble aussi chez PiiAF pour nos émissions, mais on n’a pas vraiment de QG. On traîne avec Detente, Clubkelly, Tell, le Paradoxe Club, les Casual Gabberz et les filles de la HE4RTBROKEN à Bruxelles.

Miley Serious : Le 9b à Belleville est aussi un bon repère pour nous.

Oko DJ : On n’a pas vraiment de QG dans le sens où les fêtes qui nous plaisent et nous ressemblent changent de lieu et se vivent en dehors des clubs, où tout est souvent trop cher. En revanche, des collectifs qu’on soutient, il y en a plein : les TransCyberien, Vagina Dentata, Dataglitch, Quick Culture, Controverse, Dawn, Radial… Et pour les quelques lieux où je sors et arrive à m’amuser : La Java, Le Chinois, Les Instants Chavirés, La Station, et évidemment tous les squats qui nous ont déjà accueillis ou nous accueilleront peut-être un jour !

Est-ce que la multiplicité des clubs, du public, des réseaux, vous a aussi donné confiance dans la direction esthétique / artistique forte que vous avez prise ?

Hugo LX : L’offre s’est étoffée, DJ’s et orgas se sont beaucoup professionnalisés. Revenir à Paris m’a aussi permis de faire quelques rencontres. On est plusieurs à être curieux et amoureux du son, malgré tout cela, c’est avant tout une histoire de feeling et d’affinités. Mais c’est inspirant de voir des gens monter un évènement de toutes pièces. J’espère pouvoir proposer un moment de musique à Paris un jour ou l’autre, je réfléchis encore à un format original.

Bamao Yendé : C’est plutôt la multiplicité des influences et des genres de musique qu’on écoute. Après ce qui donne la confiance c’est surtout le public quand il garde le sourire même quand on bifurque D’Aaliyah à Kerri Chandler en passant par un petit DJ Firmeza.

Exal : Oui, c’est sûr qu’on a voulu se démarquer des autres. Après on n’est pas non plus cantonnés à un club ou à un style de techno précis.

BLNDR : Ma direction artistique n’est pas influencée par la scène club parisienne, mais plutôt par la musique que j’écoute. Après, il est vrai que c’est réconfortant de voir qu’avec l’expansion de la scène notre musique est chaleureusement accueillie ! Mais mon esthétique a toujours évolué indépendamment du monde de la nuit.

AZF : Je ne sais pas s’il y a lien direct, mais ce qui est certain c’est que d’avoir connu cette époque ou seul 2/3 clubs faisaient la pluie et le beau temps, m’a montré ce que je ne voulais pas faire ou ce que je ne voulais pas devenir. Il y a des clubs qui pratiquent des politiques qui me foutent la rage, mais c’est un moteur. Je fous tout ça dans mes DJ sets ou dans mes soirées et ça me permet d’avancer.

Fils de Vénus : On a commencé quand on avait 18 ans, on faisait des soirées dans des bars sans se poser plus de questions. L’idée c’est de continuer à se faire plaisir et inviter des artistes qui ne sont pas forcément invités par d’autres promoteurs. Aujourd’hui cette diversité des publics et des réseaux est plutôt libératrice, ça nous permet de faire une programmation qui ne cherche pas à rentrer dans une case. Les gens sont enthousiastes à l’idée de découvrir des nouveaux artistes et demandent à être surpris.

Dj Ouai : Ce qui donne confiance, c’est de savoir qu’on peut partager ça avec d’autres personnes et que ça ne parle pas qu’à nous.


Est-ce que cette même multiplicité n’est pas parfois un problème, parce qu’il devient difficile de capter l’attention du plus grand nombre ?

« Un artiste, un club, un collectif avec une vraie proposition et une démarche intègre finira toujours par trouver sa place et son public »

Hugo LX : Il y a une saturation du marché, et tout le monde veut sa part du gâteau. Si on cherche de la reconnaissance il faut passer un temps fou à se promouvoir et à se démarquer. C’est un boulot à part entière et tout le monde n’a pas ce temps.

Bamao Yendé : Il faut qu’on ait le choix. Plus il y aura de propositions, plus les personnes qui proposent des soirées seront obligées de faire des efforts sur la qualité des plateaux la diversité.

Exal : Il y a forcément un moment où il y a plus d’offres que de demande. À nous d’attirer le public avec un line-up cohérent dans un lieu adéquat.

AZF : Un artiste, un club, un collectif avec une vraie proposition et une démarche intègre finira toujours par trouver sa place et son public, et sortira donc du lot. Je préfère 1 000 fois la multiplicité des offres plutôt que le monopole de quelques clubs sur une ville.

BLNDR : Cette multiplicité peut également être problématique lorsqu’on essaye de se faire une place dans une scène déjà très saturée. C’est très dur de proposer un service qui soit capable de capter l’attention du plus grand nombre. Surtout avec la normalisation de l’esthétique techno.

Fils de Vénus : On ne fait pas des soirées avec des grosses jauges, mais le vrai challenge c’est de faire découvrir un artiste et de créer l’enthousiasme. En août, on invite la rappeuse américaine Shake 070, cela va être un véritable enjeu pour nous de parler d’elle et de la faire découvrir au plus grand nombre.

Dj Ouai : Le flux d’informations est si dense qu’elles passent inaperçues, elles n’ont pas le même impact ni la même importance lorsqu’elles sont mélangées à tout le reste. Mais c’est motivant, ça donne envie de se démarquer et de se surpasser pour attirer l’attention, j’imagine.

Miley Serious : Je trouve que c’est de plus en plus difficile de faire passer l’information car les gens s’intéressent peu à d’autres choses qu’à leur milieu.

Oko DJ : On ne cherche pas à capter l’attention du plus grand nombre, juste celle des personnes qui se reconnaissent dans notre façon de faire la fête, d’apprécier la musique et de la partager. De plus, pour arriver à faire d’une fête une micro-utopie, afin que la magie puisse opérer entre les gens, la musique et le lieu, on ne peut pas être trop nombreux. Donc ça nous va bien de ne pas être 3 000 à chaque fête.

Si on jouait aux prophètes, dans quelle direction va aller la scène ? À quoi risque-t-elle de ressembler dans 2 ou 5 ans ?

« J’espère que ma génération, qui est à présent en âge de gérer des clubs et des agences, ne reproduira pas les mêmes erreurs que nos aînés. »

Hugo Lx : Quelques-uns, les plus talentueux et/ou persévérants seront encore là, mais j’imagine que le renouvellement générationnel se poursuivra tranquillement.

Bamao Yendé : Les sous-genres auront beaucoup plus d’importance. J’espère qu’on pourra voir des grosses Warehouses bass music/uduro, des 48H de garage entrecoupées de R’n’B, de grime et de club music.

BLNDR : Je n’ai aucune idée de la direction que pourra prendre la scène. Vu l’engouement récent pour le revival 80/90 et la musique EBM post-punk avec la montée de labels comme aufnahme + wiedergabe, je suppose que l’on peut s’attendre à une explosion de ce mouvement dans les années à venir.

AZF : J’espère que ma génération, qui est à présent en âge de gérer des clubs et des agences, ne reproduira pas les mêmes erreurs que nos aînés. Qu’elle réussira à proposer une vraie vision ouverte de la musique électronique à Paname, plutôt que de se renfermer sur soi par peur de se faire botter le cul par les jeunes qui arrivent !

Fils de Vénus : Pour moi, la scène parisienne intra-muros risque d’étouffer un peu, et il y a un vrai renouveau en proche banlieue avec des lieux comme le Chinois ou la Station. Il va falloir sortir du mardi au dimanche pour ne rien louper ! Niveau style, j’attends l’alliance trap/post-punk avec impatience. Paris devient un environnement privilégié pour les artistes, il y a une vraie demande pour de la musique ambitieuse, politique et novatrice.

Dj Ouai : J’espère que plus de lieux alternatifs ouvriront leurs portes à Paris ou en banlieue.

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