Le Péripate a-t-il déjà vécu ses dernières heures de fête ? Le 17 décembre dernier, le fondateur Aladdin Charni rendait les clés du local à la Mairie. Un déchirement pour celui qui, depuis 2015, se bat pour faire de ce hangar désaffecté un lieu de vie solidaire et libertaire. Le jour, on l’appelle Freegan Pony, un restaurant anti-gaspillage à prix libre. La nuit (et souvent le matin, parfois l’après-midi), ce bâtiment niché sous le périphérique devient le Péripate, théâtre de soirées queer sulfureuses, où la programmation, toujours radicale, n’est jamais annoncée à l’avance.
Cet espace de 1000 mètres carrés, à la fois militant et avant-gardiste, est menacé de fermeture depuis ses débuts : d’abord occupé sauvagement, il est devenu légal avec une convention d’occupation temporaire signée pour deux ans, qui a pris fin le 18 décembre dernier. En quête d’une solution plus pérenne, le gérant n’a pas cherché à renouveler la convention. Sans perdre espoir de revenir entre ces quatre murs en béton. Car la Mairie de Paris lance un appel à projet d’occupation, auquel l’équipe du Péripate a déjà postulé. La réponse est attendue pour le mois de février.
Le serpent se mord la queue
Une seule certitude : cette décision sortira l’association d’une situation d’entre-deux devenue intenable. Depuis deux ans, la Mairie de Paris exige des travaux dans le bâtiment désaffecté, afin de le mettre en accord avec les règles de sécurité des ERP (établissements recevant du public). Le coût de cette mise aux normes est d’abord fixé à 450 000 €, puis grimpe à 900 000 €. L’équipe du Péripate obtient 153 000 € d’aide de la Ville, récolte 30 000 € via un appel aux dons. Elle commence des travaux, mais n’a pas les moyens de les terminer. Des marques (d’alcool notamment) ont proposé d’apporter leur soutien. Par principe, l’association refuse catégoriquement tout sponsoring. Dans ces conditions, la préfecture lui interdit d’organiser le moindre événement. Comment financer les travaux si aucune activité n’est autorisée… Avant la fin des travaux ?

Faire voler les normes en éclat
L’équipe du Péripate espère enfin régulariser sa situation en remportant l’appel à projet. Mais elle sait que des mastodontes de la nuit parisienne sont aussi candidats. Le modèle associatif fera-t-il le poids face à de gros clubs de la capitale, forcément bien plus rentables ? Si c’est le cas, Aladdin Charni pourra fournir un dossier viable aux banques, et emprunter l’argent nécessaire aux travaux tout en conservant son indépendance. Car c’est l’ADN du lieu qui est en jeu. Depuis maintenant quatre ans, toutes les normes y volent en éclat dès la nuit tombée : la nudité y est devenue courante, la fête dure souvent plus de 15 heures d’affilée. L’entrée des soirées est à 10 €, la bouteille d’eau à 1 €. Quatre soirs par semaine, Freegan Pony propose un dîner à prix libre et surtout 50 repas gratuits pour les plus défavorisés.
Si c’est ce dossier qui est choisi par la Mairie de Paris, l’équipe se renforcera pour atteindre une vingtaine de salariés, le restaurant pourra ouvrir six jours par semaine au lieu de quatre. Surtout, Aladdin Charni et ses associés auront prouvé qu’il existe encore une place pour des projets militants et indociles dans la grande jungle des nuits parisiennes.