Paris : Ce qui rend les soirées libres et mixtes de La Creole uniques en leur(s) genre(s)

Écrit par Briac Julliand
Photo de couverture : ©Fanny Viguier
Le 07.03.2019, à 16h02
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©Fanny Viguier
Écrit par Briac Julliand
Photo de couverture : ©Fanny Viguier
Voilà plus d’un an que le collectif La Creole secoue la scène parisienne avec ses soirées inclusives, interculturelles et militantes. Devenus les nouvelles égéries Asos, les membres du collectif reviennent, pour Trax, sur leur engagement et l’importance de leur identité dans le paysage culturel parisien.

La diversité, sociale ou culturelle, est une dimension qui a toujours fait partie du monde des soirées, qu’il s’agisse de revendication légitime ou d’instrumentalisation. Dans cette optique, nombre de soirées spécialisées ou non-mixtes sont apparues dans le paysage culturel des fêtes parisiennes. Sans nier l’utilité de ces soirées, le collectif La Creole a fait le pari d’organiser des fête engagées, où mixité et interculturalité sont les maître-mots.

« Le but, c’est de casser les codes. », annonce Mickaël “Snake” Narbonnais, vogueur et ambassadeur des soirées du collectif. « On mixe tout, on n’impose pas de thème dans nos soirées. » Un principe à la frontière de l’intersectionnalité, qui marque aussi bien l’engagement social que culturel de La Creole. « Ici, on n’entendra jamais la même musique à deux soirées différentes, contrairement à ce que font certains clubs. Il y en a pour tous les goûts. Et il n’y a pas d’espace V.I.P, d’où on peut exhiber la bouteille de champagne qu’on a acheté : à La Creole, sur le dancefloor, tout le monde se tient sur un pied d’égalité », ajoute le danseur. De quoi faire se mélanger un public très varié, sans que les divergences d’opinions n’entravent l’ambiance : « Puisqu’on est tous là pour danser ensemble, on se concentre sur ce qui nous unit plutôt que sur ce qui nous sépare, et ça se passe bien. »
La « mixité éclectique des genres » que décrit Mickaël est donc au cœur de soirées « ni chics, ni queers ni antillaises : ce sont des soirées pour tous », comme le souligne le vogueur.

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Difficile, donc, de situer La Creole dans le paysage évènementiel parisien, même le plus underground. Pour cause, le collectif n’a pas vraiment d’équivalent. « Quand des clubs prévoient de passer des musiques “exotiques”, il s’agit toujours de soirées à thèmes qui se terminent sur de la techno », regrette Vincent Frédéric Colombo, directeur musical du collectif. « De manière générale, c’est de l’électro qu’on joue la nuit, les partis pris et les mélanges sont trop rares, ou jamais vraiment exploités. » Alors, pour ne pas que les soirées de La Creole tombent à leur tour dans le piège, le collectif prend soin de sélectionner des DJ’s sensibles à des musiques qui ne trouvent que trop rarement leur place en club : « Les gens qu’on invite à nos soirées ont une sensibilité qui tend généralement vers le mélange », avoue Vincent. « Certains sont issus de la scène ballroom, et se permettent de passer des titres que tout le monde ne “comprend” pas, mais ça créé une énergie spécifique, et les gens se libèrent davantage… »

La question du public est donc primordiale : mixte, il doit aussi se montrer sensible à une expérience différente à celle du club “classique”. Pour attirer l’ouverture d’esprit, La Creole joue sur une identité visuelle bien particulière : « Le nom de notre collectif affirme une intention forte, mais il ne s’agit pas d’une soirée spécialement antillaise », explique le directeur artistique. « Là où les campagnes de communication des soirées à thème sont souvent très explicites, on préfère jouer sur un clash artistique : notre typographie évoque un registre techno pointu, on n’est pas dans la caricature tropicale qui se révèle souvent limite. » L’image est donc déconnectée de la soirée. Le pari est audacieux, et permet surtout aux participants d’être surpris : « J‘ai beaucoup de retours de gens, métropolitains ou pas, qui me disent que les soirées de La Creole sont au-delà de leurs attentes », révèle Vincent.

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Au final, l’audace de La Creole réside dans sa capacité à repenser les modes de militantismes festifs. « Etant nous même tous plus ou moins issus ou proches de ce monde, nous avons un noyau LGBTQI+ important dans ces soirées, mais encore une fois, il s’agit d’une soirée ou toutes les identités quelles qu’elles soient sont invitées à célébrer ensemble, tant que c’est fait dans le respect de l’autre. », explique Fanny Viguier, photographe et directrice de la communication visuelle de La Creole. À l’heure où certains rassemblements prônent le militantisme en non-mixité, La Creole offre un espace de fête et de communion inclusive. « Pour nous la créolité s’inscrit dans la pensée  du “Tout-Monde” d’Edouard Glissant :  un monde que l’on partage selon un principe d’interpénétration des cultures.  La créolité est précisément née du mélange de quatre continents.  Il nous paraît légitime de proposer un événement portant ce nom et dans lequel toutes les identités, aussi diverses soient elles, puissent conglomérer. »
Evidemment, les nombreuses grilles de lecture du monde peuvent alors s’entrechoquer. La disparition des frontières séparant les notions de communautés minoritaires et majoritaires n’est t-elle pas utopique ? « Ce qui est supposé définir la norme est un concept sociétal qu’on tente de nous imposer, mais c’est quelque chose qu’on peut en réalité redéfinir. », annonce Fanny. « À La Creole, il ne s’agit pas de d’annuler le principe de différence, mais de véritablement célébrer la diversité. En tant qu’individu il est important de prendre conscience de sa propre position pour ensuite élargir notre propre champ de vision aux identités à côtés desquelles on aurait pu passer. »

Et force est de constater que la démarche est fructueuse, tant l’avenir de La Creole semble radieux. La diversification du public de ses soirées ne fait que rendre le collectif plus fort, et ses fêtes réussies. La preuve le 30 mars prochain, où le collectif se réunira de nouveau au Chinois, à Montreuil, pour une soirée en collaboration avec le collectif milanais Balera Favela.

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