Sortir ? Pour quoi faire ? Le confinement prend progressivement fin à travers la France mais les bars et cafés, eux, restent fermés. Depuis quelques jours, les conditions de leur réouverture sont cependant débattues dans les mairies des grandes villes, où l’on cherche à repenser l’espace public à l’heure de la distance sociale.
La maire de Paris, Anne Hidalgo, prévoyait ainsi dans les colonnes du Parisien, le 4 mai dernier, de donner plus d’espace aux bars, quitte à déborder sur la rue. « Nous allons faire en sorte que [les bars et cafés] puissent s’élargir sur l’espace public afin de pouvoir travailler dans des conditions sanitaires satisfaisantes. Et ce, jusqu’en septembre. Des rues entières pourraient leur être réservées à titre gratuit », laissant entendre que des rues de la capitale pourraient ainsi être coupées à la circulation, au bénéfice d’acteurs privés. Une annonce qui a pu surprendre, à l’heure où les terrasses sont encore repliées sur ordre du gouvernement. Invitée de la matinale de BFM TV, la maire de Paris a précisé que la mesure pourrait voir le jour dès le mois de juin.
L’appel du 18 mai
L’initiative fait partie d’un plan plus vaste de reconfiguration, actuellement en discussion à l’hôtel de ville. Frédéric Hocquard, adjoint à la vie nocturne et à l’économie culturelle de la ville de Paris, détaille les pistes qui seront présentées par la mairie lors du conseil de Paris, ce lundi 18 mai. « Nous travaillons sur un plan qui permette d’assurer les distances de sécurité entre les citoyens, explique l’édile. Cela nécessite de récupérer de l’espace partout où cela est possible, et notamment sur le trafic automobile, afin d’éviter que les passants ne doivent se serrer le long des trottoirs. »
Dans ce plan, les bars joueraient un rôle actif. « On peut considérer les bars comme des agents régulateurs de l’espace public » , estime Frédéric Hocquard. « Depuis la fin du confinement, nous devons faire avec espace public en accès libre mais qui ne propose aucun lieu d’accueil, aucune régulation. Et ça se traduit par des regroupements le long du Canal Saint Martin ou ailleurs, très difficiles à maîtriser ». Denis Talledec, directeur de fédération au sein de Culture Bar-Bars, collectif représentant les cafés et lieux festifs à programmation culturelle et qui participe aux discussions avec la mairie, abonde en ce sens. « Permettre aux gens de boire des verres dans un cadre sanitaire adéquate garanti par les bars permet d’éviter les regroupements sauvages qui mettent en danger toute la population. »
L’idée est de recréer une convivialité de nuit.
Frédéric Hocquard, adjoint à la vie nocturne de Paris
Le représentant des bars et cafés salue nécessairement l’initiative parisienne. « Agrandir la surface des terrasses, c’est créer un levier essentiel pour assurer la pérennité des petites structures. Un établissement qui pouvait accueillir 60 personnes dans une surface donnée, ne pourra en accueillir plus que 20, et ne serait donc plus rentable », prévient-t-il. La situation des bars indépendants et cafés-concerts demeure très précaire, comme l’expliquait déjà le représentant de Bar-Bars à Trax en avril dernier. Frédéric Hocquard s’en émeut. « Si 20% des bars devaient fermer à la suite de cette crise, la vie nocturne de Paris en serait défigurée. »
Du côté de la Mairie, on se défend toutefois de donner un blanc-seing aux bars et cafés. « Il ne faut pas oublier que les bars sont des opérateurs privés et qu’augmenter la surface d’une terrasse, c’est aussi rogner de l’espace public. » La mise en œuvre du plan, dont l’agenda dépend toujours de la politique du gouvernement, devrait donc se faire de manière « responsable », et sous l’impulsion des mairies d’arrondissement. Et l’édile de rappeler la priorité donnée à la circulation à vélo. « Ce plan est élaboré avec Christophe Najdovski, l’adjoint aux transports, et les espaces dévolus aux bars ne devraient en aucun cas perturber la mise en place des pistes cyclables. »
Les terrasses en scène ?
La question des riverains et des nuisances sonores est elle aussi sur la table. Les représentants des bars et élus veulent pourtant croire à un retour pacifié de l’activité en extérieur. « L’idée n’est pas de faire la fête dans la rue toute la nuit, mais de recréer une convivialité de nuit », estime Frédéric Hocquard, rejoint par le collectif bar-Bars : « L’espace public c’est le bien commun, et tous à notre échelle nous en avons compris l’importance au cours des derniers mois. »
La mairie de Paris réfléchit enfin à donner une dimension culturelle et artistique à l’espace public post-confinement. « Nous ne sommes pas prêts à retourner nous entasser dans des caveaux, ni dans des salles de concerts. Alors, l’espace public pourrait accueillir une forme de spectacle vivant repensée », estime Frédéric Hocquard. Celui-ci évoque pêle-mêle des silent disco, ces concerts par casque audio, du théâtre de rue ou des performances qui se déploieraient via les établissements de nuit et cafés.
Pour ce faire, la mairie devrait mettre en place un appel à projets à l’intention des artistes et collectifs dont le calendrier sera précisé prochainement. Denis Talledec et Bar-bars plaident quant à eux pour une récurrence de l’initiative. « Il faut que ces événements soient réguliers et diffus, pour éviter tout risque d’engorgement. Si l’on offre qu’un créneau, le vendredi soir de 19h à 21h pour les manifestations culturelles, on va se retrouver avec des scènes de métro bondés, et c’est précisément ce que l’on cherche à éviter », prévient-il. Le collectif confie réfléchir à des initiatives comparables avec plusieurs mairies de grandes villes à travers la France.
Les propositions d’Anne Hidalgo demeurent toutefois suspendues à la politique nationale mise en œuvre par le premier ministre, ainsi qu’à l’évolution de la pandémie. Un bras de fer est d’ores et déjà engagé avec le gouvernement autour des parcs : la maire de Paris plaide pour leur réouverture, le ministre de la Santé, Olivier Véran, s’y oppose. « Nous tenons notre position, conclut Frédéric Hocquard. La balle est dans leur camp. »