On n’y croyait plus. Jusqu’à ce jeudi 2 mai, le site internet de La Station-Gare des Mines – temple des musiques électroniques et de la fête alternative du 18ème arrondissement – affichait un sinistre compte à rebours. 198 jours, 12h, 30 minutes et 45 secondes avant la fermeture définitive, lors de la dernière consultation. Et pourtant… Par un heureux concours de circonstances, la pugnacité des gérants actuels et la précieuse aide apportée par certains membres des autorités municipales, les occupants viennent de voir leur permis d’occupation renouvelé pour trois ans supplémentaires. Le producteur et co-fondateur de la Station, Olivier Le Gal, également à la tête du collectif Mu et Frédéric Hocquard, chargé de la vie nocturne et de la diversité de l’économie culturelle auprès de la Maire de Paris, reviennent sur cet épisode riche en émotions.
Sur le site de la Station, il était écrit jusqu’à hier que la fermeture aurait lieu exactement dans 198 jours et 12 heures. Quelles en étaient les raisons ?
Olivier : On avait une convention d’occupation temporaire avec la SNCF, l’ancien propriétaire, depuis juin 2016. L’échéance de 3 ans allait arriver à terme, d’ou le compte à rebours sur le site. C’est aussi simple que ça.
Frédéric : La parcelle appartenait en effet à la SNCF. La Ville a racheté la zone, entre autres, afin d’installer une nouvelle arena pour les Jeux Olympiques de 2024. Plus généralement, il s’agit de reconstruire, bâtir, mettre aux normes, aménager un certain nombre de bâtiments s’étendant de la Porte d’Aubervilliers à la Porte de La Chapelle. En réalité, on parle de plusieurs dizaines d’hectares, de déplacement de stades, de constructions massives, y compris de logements sociaux. C’est un grand projet d’aménagement urbain.
La Station devra-t-elle s’adapter à ce plan d’aménagement ?
Frédéric : Comme vous le savez désormais, la Gare des Mines, qui se trouve à l’intérieur de ce périmètre, va être prolongée pour 3 ans. L’enjeu pour la mairie est de faire en sorte que le projet s’inscrive à l’intérieur de ce paysage en pleine reconfiguration. Il s’agit de cohérence du territoire.
Olivier : On sait déjà qu’on ira pas au-delà des 3 ans supplémentaires, sauf si la Ville décide de nous garder au sein de cette ZAC – pour “zone d’aménagement concerté” – des Mines. Il va y avoir des gros changements sur la zone, des terrains de foot vont être déplacés. Ce qu’on a plaidé, c’est avant tout pouvoir rester pendant ces travaux mais, évidemment, il faudra s’y adapter.
« Le futur est ouvert. »
Allez-vous participer à cette concertation ?
Frédéric : La question principale était de savoir si le projet continuerait avec le transfert SNCF – Ville. Maintenant que ce point est réglé, il y aura des consultations avec la mairie du 18ème, les habitants et les acteurs associatifs et privés. Le futur est ouvert.
Olivier : Depuis qu’on sait que notre sort est lié au devenir de la zone, on suit avec beaucoup d’attention la consultation locale. On a fait des interventions dans les cités juste derrière La Station, dans les écoles. On est aussi en train de développer des projets avec les acteurs d’Aubervilliers, et ce afin de porter une pratique du territoire qui cumule innovation artistique et ancrage de proximité.
Comment se sont passées les négociations avec la Ville ?
Olivier : Comme nous sommes en plein milieu de cette vaste zone d’aménagement urbain, notre survie dépendait surtout du cabinet de l’adjoint à la Maire, chargé de l’urbanisme : Jean-Louis Missika. Ils ont donc été le principal interlocuteur. Lors de ce type de rachat par les pouvoirs publics, les propriétaires sont censés rendre le lieu “vierge” de tout occupant. C’est presque une première qu’on laisse un collectif comme le nôtre rester.
Frédéric : Il fallait que le projet soit pérennisé et, en même temps, qu’il s’adapte à la reconfiguration urbaine. Au même titre que la mairie et la plupart des installations de la zone. Pour donner un autre exemple, nous venons d’obtenir de l’assureur Generali que les artistes du squat de la rue Blanche puissent rester. Il s’agit donc d’une négociation croisée entre les acteurs privés, les artistes et la Ville, qui joue souvent le rôle d’un facilitateur.
Qu’est-ce qui à fait pencher la balance en faveur de La Station ?
Olivier : Ça a surtout été un travail de rencontre avec les décideurs de l’aménagement urbain. On l’avait amorcé sur le plan artistique avec le maire et les adjoints. Il a fallu défendre et exprimer notre envie de rester et, réunion après réunion, l’ambiance nous était de plus en plus favorable. La réunion du 18 avril nous a vraiment soulagés et rendu joyeux. Avec cette prolongation de notre contrat jusqu’à fin 2022, la Ville nous a donné un horizon. On peut vraiment remercier Frédéric Hocquard !
Frédéric : La diversité des activités créatives et culturelles est d’une extrême importance pour la ville. Plus il y en a, mieux c’est. Au sein de mon cabinet, on essaie de faire s’épanouir cette diversité dans Paris. Une de nos priorités, c’est que des lieux comme Concrete, Péripate ou Les Grands Voisins puissent continuer à se développer. La Station est un lieu qui a beaucoup apporté et valorisé un territoire, qui, il faut le reconnaître, n’était pas facile. D’ailleurs, nous avions financé quelques travaux et les avions aidés à obtenir une subvention à hauteur de 100 000 € il y a quelques années. Parce que c‘est un projet novateur et créatif sur le plan artistique et nocturne, il était tout à fait logique de les prolonger.
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Qu’est-ce que ça fait de rempiler pour trois ans ?
Olivier : Quand on y pense, avec notre petite équipe de 15 personnes, c’est dingue le monde qu’on est arrivés à ramener. Avec mon ami David Georges-François (l’autre co-fondateur – ndlr), on pense au chemin parcouru depuis 15 ans. Il y a eu cette rencontre chanceuse de 2015 avec le lieu – la Gare des Mines – et la SNCF. On a été aidés bien sûr par la Région Ile-de-France et la Mairie du 18ème qui nous soutiennent depuis Le Garage MU. Et puis aussi la Ville et le CNV – sans qui on aurait certainement pas pu ouvrir les intérieurs en 2017. Mais là, avec ces 3 ans de plus, on pense surtout aux intermittents, à l’équipe du bar qui bosse avec nous depuis le début. La Station, c’est 1500 artistes et 170 000 personnes accueillies en 4 ans. C’est impressionnant et on est super contents de pouvoir continuer !
Allez-vous en profiter pour développer de nouvelles activités ?
Olivier : Ça a été un travail de longue haleine pour se faire accepter du voisinage, qui nous voyait comme une nuisance à un certain moment. Les cités alentours sont très enclavées et il est très difficile de toucher ces habitants, notamment les plus jeunes. On aimerait beaucoup travailler sur ce désenclavement à l’avenir. Accueillir de nouvelles activités, investir de nouveaux bâtiments, s’élargir physiquement et en termes de public. Avoir de nouveaux créneaux. Le programme, c’est aussi de développer notre dimension internationale. On s’y attelle et, dans peu de temps, nous allons accueillir les scènes de Francfort, Hambourg, mais aussi un collectif de Tel Aviv. Un festival torontois sera également reçu à la Station autour du 20 septembre. Donc on part sur une vraie intensification. Sur le plan de la forme du lieu, on aimerait bien récupérer l’entrepôt qui est juste à côté pour le transformer en scène intérieure avec un diffusion sonore non-standard. Aller au-delà du clubbing, proposer du live, des créations sonores. Ce sera ça, La Station v.2
Pour fêter cette prolongation en beauté, rendez-vous à La Station-Gare des Mines, qui ouvrira la saison estivale ces vendredi 3 et samedi 4 mai, pour deux jours de célébration avec Zombie Zombie, Pasteur Charles, Hydropathes, Betty…