Qui étais-tu plus jeune ?
Une fille plutôt introvertie et solitaire, j’avais l’impression de ne pas vraiment comprendre ce qui passionnait les autres autour de moi. Faire des plans sur la comète sur des potentielles histoires de coeur ou passer 4h à se plaindre du prof de maths. Je grossis le trait, mais dans l’ensemble c’est le souvenir que j’ai de mon adolescence. Écouter en silence les conversations des autres et n’y comprendre absolument rien. Je passais beaucoup de temps dans ma chambre, à lire des livres ou à regarder des films. Après mon bac, j’ai poursuivi mes études à Paris. J’y ai rencontré mes meilleurs amis, la musique et la nuit.
“On a créé une teuf qui n’est ni pour les gays ni pour les gouines mais pour ceux qui aiment la techno, se respectent et savent faire la fête ensemble.”
Et donc ta première véritable soirée…
C’était la dernière du Pulp en 2007. Avec mon pote Viken, on s’est retrouvés au milieu de gens incroyables. J’ai passé la soirée un peu dans un coin, à enregistrer scrupuleusement tout ce que je voyais, à moité flippée, à moitié fascinée… J’avais l’impression d’être dans un film, ou sur une autre planète. On est restés jusqu’à la fin de la soirée. Quand on est sortis, on était dans un état quasi hypnotique, on a échangé un regard entendu genre : qu’est-ce qu’il vient de nous arriver ? »
Et ensuite… ?
On se tenait au courant via MySpace, à l’époque, on sortait autant pour la musique que pour les gens qu’on retrouvait à chaque soirée. On se faisait une liste, on enchaînait 3 ou 4 fêtes différentes par nuit. En fait on passait surtout beaucoup de temps à traverser Paris à pieds. J’ai vite rencontré Anne-Claire, Pipi et Nizar : l’équipe de la Flash Cocotte. Quand j’ai commencé à sortir avec Viken, ils nous ont pris sous leur aile. Ils étaient surpris parce qu’on avait 19 ans, et qu’on paraissait plus jeunes. C’était surprenant pour eux de croiser des gamins.
On s’habillait un peu n’importe comment. Avant de sortir, on faisait le tour des fripes pour être sûrs d’être “bien sapés”. C’était marrant, on était des espèces de petites pétasses, toujours contents d’avoir notre photo sur internet : ça voulait dire qu’on était cool (rire). On faisait la fête sainement : on ne buvait pas, on ne prenait rien… On dansait, c’est tout.
Comment s’est passé l’arrivée derrière les platines ?
Anne-Claire organisait une soirée aux Souffleurs et elle m’a invité à mixer. J’ai accepté. J’étais super flippée. Il faut remettre les choses dans leur contexte, Les Souffleurs c’est genre une cave de 30m2… Mais pour moi c’était déjà énorme. J’ai passé un mois à m’entraîner, j’avais reçu pour mon anniversaire une table de mixage et une platine CDJ-400, UNE SEULE, du coup je m’essayais à faire des transitions la platine sur une piste, mon ordi sur une autre… c’était coton… J’avais passé pas mal de temps à observer les djs quand je sortais, j’étais fascinée par le geste, j’essayais de reproduire ce que je les avais vu faire, avec plus ou moins de succès…
Mes premiers sets, je mixais un peu n’importe quoi dans des bars pédés, pour rigoler. Je venais du rock à la base, mais j’aimais aussi la house et la musique de Kill The DJ, ce genre de trucs…
“J’ai vite été fascinée par les DJs. Je restais à leurs côtés pour observer. Leurs gestes m’attiraient, je voulais moi aussi passer derrière les platines.”
Et ta rencontre avec la musique que tu joues actuellement ?
C’était il y a quatre ans, avec une amie, Audrey. Elle m’a fait découvrir des sons et j’ai bien accroché. J’ai commencé à chercher dans les scènes qui m’intéressaient vraiment, du genre techno indus, crade et sèche. J’adore la scène anglaise, en particulier le label de Perc, Perc Trax. Le premier morceau qui m’a vraiment touché, c’était “Articles” de Clouds, remixé par Ado.
Quand j’ai quitté les Arts Déco, j’avais de la place à nouveau : je me suis remise à sortir et donc à mixer. J’ai commencé à passer de la techno aux Stereotype avec AZF. C’est là que je me suis dit que c’était ce que je kiffais faire et que je devais le faire bien.
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Qu’est-ce que tu ressens aux platines ?
Ce qui me fait le plus kiffer, c’est les transitions : le fait d’avoir deux morceaux, d’en construire un troisième et de le faire traîner le plus longtemps possible. J’aime faire des transitions de quatre minutes. À Possession, je mixe avec trois platines et c’est le kiff absolu. Au début, comme je jouais des trucs de pétasses pour faire marrer mes potes, je n’avais pas ce plaisir.
© Irwin Barbé
Justement, Possession, c’est quoi pour toi ?
Possession, c’est un projet que je mène avec des amis ; à l’origine il y avait Anne-Claire, Mathilda, François et moi. On s’est tous retrouvés, à un certain moment, avec du temps libre et une envie commune, donc tout s’est fait naturellement. Avec Possession, je retrouve l’excitation de mes premières teufs, la synergie. Tout le monde est là, content, dans une bonne ambiance. Il y a un appétit du public pour le genre d’artistes qu’on booke, ça ramène du monde. On a créé une teuf qui n’est ni pour les gays ni pour les gouines mais pour ceux qui aiment la techno, se respectent et savent faire la fête ensemble. Le clivage m’a toujours dérangé. La nuit est un espace de liberté et de mixité. À Possession, tu vois des pédés qui se roulent des pelles, des petits mecs de 18 ans qui viennent d’avoir leur bac et il n’y a aucun jugement : tout le monde est réuni autour de la musique.
“J’adore accueillir les gens, c’est cool. Ils arrivent et je suis là pour les saisir, j’impose ma vibe.”
J’y assure le warm up. Étant donné qu’avant 1h du matin, l’entrée coûte 5€, il y a tout de suite du monde. J’adore accueillir les gens, c’est cool. Ils arrivent et je suis là pour les saisir, j’impose ma vibe. Entre minuit et 2h30, on en est tous au même point, on évolue au même rythme, c’est génial. Au début, je fais attention à ce qui se passe autour de moi, mais passé une certaine heure, je ne sors plus ma tête des platines : plus rien n’existe.
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Tu poursuis tes études à la Fémis. Le cinéma, c’est ton autre vie ?
Le cinéma était mon premier amour. Dès le lycée, j’étais déjà inscrite en option cinéma : la Fémis, c’était un rêve de gosse. J’ai mis ça de coté un moment parce qu’il me fallait un bac +2 que j’ai eu du mal à obtenir… on va dire que je me suis un peu perdue en route…
“Un film, c’est des images et du son ; et de la même manière, un club est un espace fait de son et d’images en mouvement.”
Je ne pense pas qu’il faille dissocier mes passions pour la musique et le cinéma. Ma façon de mixer se nourrit de mon amour pour le cinéma et vice versa. Je monte un film en ce moment, et dès le scénario, j’ai beaucoup pensé au son. J’aime raconter des histoires avec des sensations et de la musique qu’avec des dialogues. Même les sons naturels comme la pluie, j’aime les traiter comme de la musique… Dans un club, je retrouve le caractère hypnotique et enveloppant d’une salle de cinéma. Pour moi, c’est comme être plongé dans un espace/temps parallèle fait d’images en mouvement et de son, c’est rassurant, et séduisant.