Pantha du Prince : “J’aimerais conduire les gens à se toucher”

Écrit par Laure Stokober
Le 27.04.2016, à 18h12
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Écrit par Laure Stokober
Le 6 mai prochain sortira chez Rough Trade le cinquième album de Hendrik Weber, que nous connaissons mieux sous le nom romanesque de Pantha du Prince. Ce nouveau projet oscille entre rêve et réalité, balance de l’euphorie à la mélancolie, et vogue entre éther et terre, comme s’il cherchait à atteindre un équilibre parfait. Une “utopie concrète”, nous dit-il. Pantha du Prince était de passage à Paris, chez Beggars. Rencontre.Photos par Flavien Prioreau

Pantha du Prince, un pseudonyme à prononcer à la française, puisé par le producteur, compositeur et chanteur allemand dans ses lointaines racines huguenotes des Cévennes, dont il s’est auréolé à une époque où bon nombre de courtisans électroniques préféraient s’affubler, quant à eux, de blasons germanisants. Il confiera d’ailleurs l’importance accordée à ce moniker, choisi pour “faire sens dans un contexte techno” et “sonner comme un son”. Clamant son appartenance à la lignée des Neu!, Faust, et autres Harmonia, s’inspirant du jazz cosmique de Sun Ra et se reconnaissant dans le travail d’Agnès Varda, l’artiste se nourrit d’oxymores sonores avec The Triad

Ton nouveau LP s’intitule The Triad, et tu as collaboré avec deux personnes pour sa réalisation : Bendik Kjeldsberg, membre de The Bell Laboratory, et Scott Mou, qu’on connaît sous le nom de Queens. Est-ce qu’on peut dire que tu partages ce projet avec eux ?

Oui, je partage cet album avec eux, mais le point de départ des tracks, c’est moi, tout seul dans une pièce. Ensuite, j’ai partagé mes ébauches avec la communauté. Nous avons donc joué ensemble à partir de mes idées, puis j’ai repris et retravaillé les résultats, on a ajouté des nappes ici et là, et j’ai édité l’ensemble. Donc le truc a fait des allers et retours.

“La musique n’est pas une manière de s’échapper dans un rêve, mais plutôt de se demander comment faire pour le concrétiser.”

On s’est vus entre Los Angeles et Berlin, mais on a aussi fait une session dans le Jura souabe. On y a enregistré plein de sons, on jouait sur des machines étranges des années 60 et 70, des synthés, et on a aussi fait beaucoup de piano préparé. J’ai commencé à travailler à partir de sons archivés, mais je voulais plutôt aller vers l’électronique analogique.

The Triad n’est pas un album instrumental. Qu’apportent les voix à ce disque ?

En fait, ça fait partie de mon idée d’utopie concrète : “De quoi ai-je besoin maintenant ? Qu’est-ce que je veux maintenant ? Qu’est-ce qu’un lieu utopique ? Ça doit être hors de portée, mais je peux l’atteindre parce que j’ai besoin de croire que je peux le faire”. La voix était quelque chose que je voulais explorer. Je crois que la musique m’a demandé de lui apporter des voix. Mais je cherche à créer un personnage sonore plutôt qu’une voix humaine. Dans la pop music, la voix est un transmetteur et doit toujours être au centre. Je ne voulais pas que ce soit le cas ici.

Pantha Du Prince / ©Flavien Prioreau

C’est un album techno ?

Je crois. C’est aussi assez expérimental et atmosphérique. C’est une aventure sonore sur des beats techno.

Qu’est-ce qui a évolué entre Black Noise et The Triad ?

À l’époque de Black Noise, j’avais adoré la possibilité d’utiliser les logiciels comme des instruments. C’était la première fois. J’étais seul avec mon ordinateur. C’était fascinant. J’ai compris qu’on pouvait faire énormément de choses avec un ordinateur. J’ai utilisé cette connaissance pour retourner vers un son plus analogique. C’est probablement l’évolution principale.

The Triad débute de manière très onirique, laissant foisonner les tintements de cloches et les voix éthérées, notamment sur “Winter Song” et “You what ? Euphoria !”. À partir du morceau “Dream Yourself Awake”, dont le titre évoque pourtant le rêve, les cloches disparaissent soudainement, pour laisser l’album s’achever avec des tracks plus “terre à terre”. Qu’en penses-tu ?

Je dirais que l’album est un voyage en direction d’un ailleurs nouveau, tout en se référant à ce qui s’est passé avant. À la fin, l’ensemble atterrit. Je pense que c’est très important d’atterrir, autant pour mon développement personnel que pour celui de la musique (rires) ! Donc, effectivement, on peut décrire ça de la sorte.

Pantha Du Prince / ©Flavien Prioreau

Quelle est l’histoire que tu as voulu nous raconter ici ?

The Triad parle d’un système autosuffisant. Je voudrais donner aux gens un moyen de penser à de nouvelles manières de vivre ensemble, de fonder des “communautés” capables de vivre en autarcie, sans dépendre de la consommation. J’aimerais conduire les gens à se rencontrer, à se parler, à se toucher, et donc à se confronter en tant qu’êtres humains. Cette musique peut être un catalyseur pour partager une expérience, aussi personnelle soit-elle. Parfois, c’est probablement mieux de simplement s’asseoir au soleil en parlant avec quelqu’un, plutôt que d’être au téléphone ou sur Facebook. Il y a tellement de moyens de se dévoiler et de montrer ce qu’on ressent, alors que tout le monde se cache derrière un faux soi-même.

“J’aimerais conduire les gens à se rencontrer, à se parler, à se toucher, et donc à se confronter en tant qu’êtres humains.”

“Concrete Utopia” s’inspire de La Femme sur la Lune de Fritz Lang. La fusée qu’on y voit avait été construite pour la première du film et c’est exactement le même genre de fusées qui a été réellement utilisé par la suite. De la même façon, la musique peut apporter une idée de base qu’on pourra reprendre pour la réaliser. Ce n’est pas une manière de s’échapper dans un rêve, mais plutôt de se demander comment faire pour le concrétiser.

Pantha Du Prince / ©Flavien Prioreau

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