Chaque année à Morlaix, on assiste à un curieux rituel : celui des djeunz du Panoramas Festival venant partager le fameux vin blanc de 12h30 avec les habituels piliers de bar du PMU, au lendemain des festivités. Tandis que certains aînés chambrent les pilosités tardives, d’autres se souviennent tout fort de leurs souvenirs de raves. Les festivaliers, encore sonnés par les décibels de la veille, écoutent d’une oreille… Et pensent déjà à la prochaine sauterie techno du week-end.
Kosme dans le (petit) Club Coatelan lors du Panoramas Festival 2016 (crédit photo : Ben Pi)
Breton after all
Depuis la fin des années 90, la ville foisonne d’événements où l’on peut écouter un panel étonnamment large de musique électronique, avec des jauges variant de 200 à 5000 personnes (voire 11 000 pendant le Panoramas Festival). Pas mal pour une commune qui ne compte que 15 000 habitants… Mais pas si surprenant quand on sait qu’Astropolis, le plus vieux des festival français dédié aux musiques électroniques, a vu le jour à Brest (à 60 kilomètres de là) et que Rennes accueillait déjà The Orb, 808 State et Underground Resistance pour sa désormais mythique Rave O Trans en 1992.
Eddy Pierres, un des Morlaisiens derrière le Panoramas Festival (Crédit photo : © Eric Tanguy)
“Un voisin est venu pour nous demander de baisser le son : on l’a retrouvé vers 1h du matin, la tête collée aux caissons…” – La Menuiserie
Les premiers promoteurs de la région sont pour la plupart des enfants des raves bretonnes. Eddy Pierres, un des cofondateurs du Panoramas et de l’agence de booking Wart, se rappelle des premiers jours de son festival : “On est tous du coin, moi, Lionel (son frère) Joran et Tanguy. Au début, c’était juste des concerts dans les bars. Le public était exclusivement composé de teufeurs, beaucoup plus âgés qu’aujourd’hui, alors que j’étais en première Arts plastiques à Rennes et que les autres organisateurs étaient encore au lycée !”, raconte celui qui reçoit maintenant plus 27 000 spectateurs sur tout un week-end.
Les drapeaux bretons sont PARTOUT en festival, et surtout au Panoramas 2016 (Crédit photo : © Eric Tanguy)
Les jeunes promoteurs apprennent sur le tas : dealer avec la mairie, les riverains, trouver une direction artistique inédite sur le territoire : “Il n’y a jamais eu d’animosité mais il a parfois fallu lutter pour se faire accepter. On s’est pris de bonnes gamelles sur les premières éditions, mais à force, on a trouvé notre direction. En se rendant compte que certains artistes, qui avaient déjà une bonne fanbase, comme Boys Noize ou Vitalic ne jouaient quasiment pas dans le Grand Ouest, on s’est dit qu’on allait les programmer. Je pense que c’est en grande partie comme ça qu’on a trouvé notre public et qu’on a pu se faire une place entre Astropolis et les Trans.”
Morlaix, terre de free
Si le Finistère accueille un nombre incalculable de festivals (Vieilles Charrues, Astropolis, Le Festival De l’Alligator, Panoramas, Festival du Bout du Monde, etc.), le département est aussi une terre de free party et de soundsystems. Agathe en organise depuis plus de 15 ans dans les environs de Morlaix ainsi que le festival CrossFire avec son association T.lesco.P :
“On propose des événements légaux mais pas commerciaux et surtout ouverts à tous : l’entrée est à 5 euros.” – T.lesco.P
“Il y avait déjà quelques soundsystems installés dans les environs avant qu’on commence à monter le nôtre : 6NAP6, Invisible Compagny, Narkotic (NKT), Oxyde, Radical, Saltimbank, RAF (organisateurs des Cartonpolis en marge d’Astropolis), Critik Aquatik… Beaucoup étaient encore dans l’inégalité, certains n’existent plus. De notre côté, on essaye de faire évoluer la mentalité des gens face à la musique électronique.”
L’Astral Expedisound en juin dernier, co-organisée par T.lesco.P
À lire également :
Panoramas Festival : l’art de la teuf dans le Nord-Ouest
Pour le crew morlaisien, les infolines et autres saisies de matos sont maintenant de lointains souvenirs : la soirée des 15 ans du collectif a rassemblé 5 000 personnes, tout était entendu avec la mairie et aucun incident n’a été signalé. Le groupe s’installe de temps à autre dans les clubs morlaisiens et s’est doté d’un festival pour assurer la survie de l’association (entièrement auto-financée), amortir le coût des free et des réparations du soundsystem : “On n’oublie pas qu’on vient du milieu underground, de la free, mais on propose aussi des événements mieux organisés comme le CrossFire, légaux mais pas commerciaux et surtout ouverts à tous pour un maigre budget : l’entrée est à 5 euros.”
Une free T.Lesco.P / Oblyk à Botmeur, aux abords de Morlaix
“Tous les week-ends, on a au minimum une soirée techno”, raconte Victor Ronné aka Mr. Tounu. Lui et sa bande de potes (20 ans de moyenne d’âge) ont monté début 2014 le collectif techno La Menuiserie, qui se transformera bientôt en label. Après quelques soirées dans leur QG, un ancien atelier de menuiserie, puis au club Coatelan, le festival Panoramas leur a ouvert ses portes cette année.
“En zone rurale, les lieux de rencontre ET de culture se déplacent de plus en plus dans des endroits comme les supermarchés ou les zones industrielles.” – Eddy Pierres
“C’est une consécration évidemment, on doit beaucoup au Pano, en terme de découverte musicale. Mais il ne faut pas oublier que nos premières vraies soirées auxquelles nos frères nous trimballaient, c’était des free organisées par T.lesco.P.”
Comme ses aînés de la free, le jeune collectif est passé par les fêtes plus ou moins légales : “Un jour, on organisait une soirée dans un grand hangar agricole, un voisin est venu à 21h pour nous demander de baisser le son : après l’avoir invité à venir boire un verre et écouter la musique, on l’a retrouvé la tête collée aux caissons vers 1h du matin… Quand les flics sont arrivés.”
Sortir la culture des supermarchés
Bientôt, Morlaix se dotera d’un nouveau centre névralgique de la culture : le SEW, installé dans l’ancienne Manufacture des Tabacs. Il comprendra une grande salle de spectacle, une petite salle de répétition, deux salles de cinéma de 100 et 200 places et un café-restaurant.
Impliqué dans le projet, Eddy Pierres de Panoramas explique : “On vise un public beaucoup plus large encore que celui du festival, plus local. En zone rurale, les lieux de rencontre ET de culture se déplacent de plus en plus dans des endroits comme les supermarchés ou les zones industrielles. Les cinémas et les café-concerts ferment les uns après les autres.
Avec ce projet, le Morlaisien aimerait faire revenir la culture dans la Manufacture des Tabacs, en centre-ville : “Ça serait un beau symbole, car s’il y a bien un lieu emblématique de la ville de Morlaix, c’est celui-là. Et ça représente aussi quelque chose pour moi puisque dans ma famille, on y travaille depuis plusieurs générations. À sa fermeture, il y a plus de dix ans, ça a été un traumatisme pour le territoire, mais là il y a un espoir que ça redevienne un lieu d’échange et d’émancipation… Par la culture, cette fois.”