On vous le disait, l’International Music Summit (IMS) à Ibiza ne parle pas que d’EDM, le versant commercial en France de la musique électronique. Invités à une table ronde, Tommy Vaudecrane, président de Technopol (qui organise chaque année la Techno Parade et la Paris Electronic Week), Alexandre Jaillon, directeur de We Love Art (We Love Green, The Peacock Society…) et l’un des fondateurs de notre cher magazine, ainsi qu’Antoine Buffard, PDG actuel de la marque, ont débattu ensemble sur le passé, le présent, et le futur des cultures électroniques et underground, et en particulier de leurs déclinaisons en France.
Pour vous faciliter la tâche, on vous a concocté un résumé de ce qu’il fallait retenir de ces discussions. (Et si vous êtes motivé, la vidéo complète en anglais est disponible à la fin de cet article)
“L’amour français d’entreprendre a finalement pris le pas et peut expliquer en partie ce qu’il se passe aujourd’hui”
1/ Une “French Touch” dans la manière de mêler culture et business
Tout le monde s’accorde à dire qu’il y a encore cinq ans, le climat était morose (“tout se passait dans des clubs, et pas les moins chers”), mais que depuis environ trois ans, un vent de fraîcheur souffle sur l’underground électronique, en partie grâce à de nouveaux collectifs jeunes et ambitieux. Pour Antoine Buffard, “même s’il y a eu d’autres acteurs majeurs avant et après, l’avènement de Concrete a permis de remettre Paris sur la carte des grands clubs européens. Il est le symbole d’une nouvelle génération qui a compris que l’entrepreneuriat dans la culture doit être menée avec les mêmes compétences que si l’on voulait créer une application, ou tout autre business”.
Autre élément de réponse apporté par Antoine : “Jusqu’à maintenant, excepté quelques gros acteurs, tous les autres fonctionnaient à petit niveau, de manière associative, sans vraiment savoir comment un business fonctionnait. Mais l’amour français d’entreprendre, même à petite ou moyenne échelle, a finalement pris le pas, et peut expliquer en partie ce qu’il se passe aujourd’hui”.
“Il est fini le temps où, à We Love, nous faisions venir un artiste pour sa seule date française de l’année”
©Tom Horton
2/ Les festivals grossissent, mais peinent à trouver une réelle identité, et font face à de nombreuses difficultés
“Avec toute l’offre existante, on a un peu peur”, concède Alexandre Jaillon. “Les festivals peinent à trouver une véritable identité, car le plus difficile aujourd’hui est d’obtenir l’exclusivité d’un artiste. À Paris par exemple, toutes les grosses têtes d’affiche passent une fois tous les trois mois. Il est fini le temps où, à We Love, nous faisions venir un artiste pour sa seule date française de l’année.”
Malgré un contexte favorable, Alexandre déplore qu’“il y ait aussi des gens qui ne font pas les choses correctement. Si jamais il y a un problème, tout le monde se focalisera dessus et tout deviendra plus difficile par la suite. Les autorités commencent par exemple à être vraiment fatiguées des nuisances sonores, car certains organisateurs d’événements ne font pas attention et ne limitent pas le bruit”. Un risque pour que des autorités tendues ne fassent plus la distinction entre bons et mauvais acteurs, et décident de détruire un travail acharné de plusieurs années de négociations ?
“La techno reste un moyen de dire positivement que l’on est contre le système”
3/ La France, un pays conservateur ?
C’est en tout cas ce que semble affirmer Antoine Buffard : “Jusqu’à il y a trois ou quatre ans, il était question de faire de Paris un musée géant à ciel ouvert, preuve qu’ici l’on s’intéresse plus au passé qu’à ce qu’il se passe en ce moment-même. Du coup, si ça ne sonne pas comme de la techno originale de Detroit ou de Berlin, ou de la house originale de Chicago, une musique reste sur le côté du tableau. La drum’n’bass, même si elle a eu son âge d’or, a par exemple toujours été marginale.”
Mais ce serait également la raison pour laquelle l’EDM a si peu de prise en France. “Il existe aussi, encore et toujours, une forme de résistance à la culture américaine. En outre, la techno reste un moyen de dire positivement que l’on est contre le système, et c’est peut-être, dans un certain sens, encore vrai en France. Et l’EDM, ce n’est pas vraiment une musique de militant”, explique Antoine.
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La techno est-elle devenue mainstream ?
A l’appui, Tommy Vaudecrane veut démontrer que l’EDM ne perce pas en France : “Tous les festivals qui naissent hors de Paris ne sont ni EDM, ni commerciaux, mais plutôt autour de la techno, de la house, de la bass music, de la trance, etc.”
Pour Alexandre Jaillon, les sphères commerciale et underground (bien que cette dernière “ne le soit plus tant que ça aujourd’hui”) évoluent côte à côte, sans qu’il n’y ait d’interaction entre chacune. “Les personnes qui ont un pied dans les deux sphères sont vraiment une minorité.”
©Tom Horton
4/ Un héritage difficile à transmettre aux jeunes acteurs de la scène électronique
Mark Lawrence, modérateur de la table ronde et président d’une association de défense des musiques électroniques au Royaume-Uni, s’est inquiété de voir ses invités si préoccupés par le futur, et notamment par les capacités de la jeune génération à reprendre le flambeau, notamment en ce qui concerne l’événementiel. Pour Tommy Vaudecrane, l’explication réside dans la volonté d’une certaine tranche de la jeune génération à vouloir tout faire trop vite.
“On mise beaucoup sur les jeunes aujourd’hui, malheureusement tous ne suivent pas nos conseils pour les basiques de l’organisation. S’ils suivaient peut-être un peu plus certaines règles, on aurait une situation plus claire. Quoi qu’il arrive, il faut savoir être professionnel, se préoccuper de son audience, que tout le monde soit sauf, etc.” Selon le président de Technopol, on éviterait ainsi de lancer une perche aux médias, aux autorités ou aux politiques, et qu’ils s’en saisissent pour jeter l’opprobre à une culture entière.
Même son de cloche du côté d’Alexandre Jaillon : “Tout le monde fait des erreurs au début, c’est d’ailleurs comme ça que l’on apprend. Mais la différence c’est qu’avant, les jeunes collectifs grossissaient petit à petit, tandis qu’aujourd’hui certains voient tout de suite trop grand, en organisant pour leur première soirée des rassemblements de 2 000 personnes. Ce n’est pas les mêmes responsabilités, et ils risquent de rater des étapes dans leur formation.”
“A mon avis, le futur sera composé d’une scène riche et de qualité, car ses principaux acteurs ont été éduqués par la musique plutôt que par l’argent.”
5/ Du coup, quel futur pour la scène électronique française ?
“Ça va continuer à grossir”, avance Tommy prudemment. “Je pense qu’il y a encore de la place pour d’autres festivals ici en France, que ce soit pour des styles ultra pointus ou des festivals multi-genres. Aujourd’hui, la jeune génération peut écouter énormément de styles différents dans une même soirée.”
“A mon avis, le futur sera composé d’une scène riche et de qualité, car ses principaux acteurs ont été éduqués par la musique plutôt que par l’argent. Même si durant les trois dernières années on a vu passer plus d’argent que durant les vingt années qui ont précédé, les gens semblent encore garder le contrôle, parce qu’ils n’oublient pas d’où ils sont issus”, veut-il croire.
“La France va sortir de sa coquille dans les prochaines années”, espère de son côté Antoine, en guise de conclusion.