On vous raconte… Jeff Mills à la Philharmonie de Paris

Écrit par Antoine Kharbachi
Le 03.06.2015, à 17h00
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Écrit par Antoine Kharbachi
En ce dernier-weekend de mai, la Philharmonie de Paris accueillait Jeff Mills, sollicité à l’occasion d’un hommage rendu à l’odyssée spatiale de Stanley Kubrick. L’œuvre 2001 : The Midnight Zone figure au panthéon de l’artiste ; un monument de la science-fiction dès lors associé à ses idéaux, affecté par sa démarche hâtive et irrégulière.

À l’entrée de la Philharmonie 2 (anciennement Cité de la musique, à différencier de l’établissement imposant de Jean Nouvel, inauguré le 14 janvier dernier), le personnel devance la confusion et les interrogations des spectateurs, les informe de la démarche peu commune de l’artiste américain : l’entrée et le placement de l’assistance sont partie intégrante du processus.

Les lumières s’estompent progressivement, une boucle répétitive et aliénante, semblable aux émissions sonores d’un puissant système informatique (HAL 9000 ?) et aux bandes-son de Silent Hill (Akira Yamaoka), recouvre les murmures du public de Jeff Mills, tapi dans l’obscurité. Une silhouette inquiétante, discrète, imperceptible. Le programme distribué au préalable révèle la nature et le propos de 2001 : The Midnight Zone, un récit parallèle à l’œuvre de Clarke et à l’adaptation cinématographique de Kubrick, auquel la Philharmonie rendait hommage – au travers de ses prestations et de l’organisation d’un ciné-concert dédié à 2001 : l’Odyssée de l’espace, dont Mills est un fervent admirateur. À cent lieues des événements relatifs à la mission Jupiter, au plus profond de nos océans, cinq êtres se soumettent au monolithe noir et se préparent à une révolution, à une profonde métamorphose.

jeff mills

L’artiste américain souhaite vraisemblablement transcrire les idéaux de Détroit au cœur de nouvelles pratiques, de nouveaux espaces. S’il s’est affranchi de l’influence de son milieu d’origine, attiré par l’Europe et l’activité d’établissements culturels de renom (il fut associé au Centre Pompidou, au CCCB, à la FIAC parisienne, à la salle Pleyel et au Musée du Louvre), Jeff Mills en conserve néanmoins certains attraits élémentaires. L’épopée de Midnight Zone, teintée de futurisme, si cher au mouvement technoïde de Détroit, évoque les projets d’anciens partenaires artistiques (le mythe de Drexciya, Model 500) et s’approprie, çà et là, des attributs de l’œuvre de Méliès.

Mills se place en retrait, respectueux de la volonté d’anonymat des artistes de Détroit, au profit des différents composants de sa création. La danse contemporaine se mêle à la musique et à la vidéo ; les formes évasives et la gestuelle des cinq figurants s’unissent à l’ambient techno, aux nappes synthétiques, à l’écho du sonar et aux diverses allusions à 2001 (le monolithe noir, mentionné précédemment, l’apparition du fœtus et la traversée du nouvel espace-temps, à l’approche de Jupiter).

D’emblée, l’ensemble paraît stérile, vaniteux – ce malgré les aspirations sincères de son auteur. Le minimalisme de la scénographie et de la mise en scène, non exempt d’imperfections, semble se justifier par l’exigence, l’expérimentation et l’ésotérisme. The Midnight Zone pâtit d’un sérieux manque de cohérence et de clarté, les différentes disciplines ne paraissent liées d’aucune façon.

Conscient des facultés et de l’intégrité de Jeff Mills, d’ordinaire méticuleux, de son (soudain) regain d’enthousiasme, de sa progression hasardeuse dans le milieu de l’art contemporain, cette nouvelle étape ne témoigne en aucun cas de l’épuisement de son génie créatif – en témoigne l’intérêt du dispositif Time Tunnel à la Machine du Moulin Rouge, excessivement ingénieux. « Lui-même le reconnait, tout en disant : ‘Ça ne fait rien, j’aurai essayé.’ Il a d’abord un très grand appétit de recherches », confiait ainsi Jacqueline Caux, une proche de l’artiste américain, interrogée en début d’année par Télérama. Un discours tout à fait à propos.

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