Eden, c’est en réalité la vie de Sven Løve, frérot de Mia, qui porte à sa manière les premiers balbutiements de ce qu’on appellera plus tard la French Touch. Dans le film, il est Paul (interprété par Felix De Givry), ce petit mec qui fait du garage dans son home studio, “de la house mais en plus disco” explique-t-il. Il dévore tout ce qui provient des États-Unis — particulièrement de New York — pour le ressortir en version tricolore. Et dans les années 90, dans l’hexagone underground, ce style est une mine d’or, artistique autant que financière.
D’autres acteurs de cette minuscule scène électronique française s’échinent également à trouver un ton national à ce “boum boum” qui ne se joue même pas encore en “discothèques”, mais plutôt de façon illégale, en campagne ou en banlieue. Ce sont deux copains de Paul qui, lors d’une soirée, testent pour la première fois l’un de leur nouveau titre auprès de leurs potes à moitié éméchés dans le petit salon de cet appartement parisien. Les deux garçons sont un peu fébriles, “tu crois que ça va le faire ?” demande Thomas à Guy-Man’. Et nous, environ vingt-cinq années plus tard assis dans notre fauteuil, nous avons le cœur qui bat lorsque l’un des meilleurs grooves électroniques de tous les temps fait crier le petit public amassé dans ce petit salon. Et la réaction de l’amie de Paul à celui-ci, qui écoute alors “Da Funk” pour la première fois : “C’est pas mal, mais je préférais quand c’était plus techno.”
Les clins d’œil se poursuivent, les références ont du corps, et on oubliera vite cette sensation de malaise procurée par deux ou trois lignes de texte clichées, aussi gênantes que d’écouter du Fauve. Réellement, Mia Hansen-Løve est crédible lorsqu’elle utilise l’immense “Plastic Dreams” de Jaydee, Sueño Latino ou “The Mkappella” de M.K. derrière le son d’un énième snif de cocaïne. D’ailleurs la drogue est là elle aussi, à l’origine de la création et de la destruction, raisonnante jusqu’en 2014 où elle se prénomme plutôt “MDMA” ou “Keta”. Dans le désordre, la musique, la drogue, l’amour, voilà Eden. Voilà les trois principaux protagonistes, trio de choc que l’on voit peut-être souvent au cinéma, mais jamais encore sous cet angle, celui de notre très chère French Touch et jamais d’une façon si réaliste, précise et crédible. Eden est finalement comme un miroir, une image d’un “paradis perdu“, d’une belle époque révolue et de ses composants qui ressemblent encore drôlement aux nôtres aujourd’hui. Courez le voir le 19 novembre en salles.