Oliver Sim : « J’ai toujours honte, j’ai toujours peur, mais tout va bien »

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©DR
Le 09.09.2022, à 10h32
04 MIN LI-
RE
©DR
Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©DR
En partenariat
avec
Logo MUBI_Logo_Standard_Black (1)
0 Partages
Le chanteur de The xx a décidé d’accompagner la sortie de son premier album solo d’un court-métrage musical, Hideous, réalisé par Yann Gonzalez et disponible dès maintenant sur MUBI. Il y explore les notions de honte, de monstruosité et aborde frontalement sa séropositivité. En crooner pop, Oliver Sim devient définitivement rétro et livre une œuvre visuelle aussi réussi que son album. 

Par Brice Miclet

Il faudrait des heures pour comprendre ce que cachent les yeux perçants d’Oliver Sim. Une seule rencontre et l’on ne fait qu’entrevoir cet esprit sinueux, si confiant en apparence et pourtant plongé dans un doute permanent. Avec son groupe The xx, le chanteur anglais a pris part à l’une des aventures les plus importantes de la pop mondiale des quinze dernières années. Son comparse Jamie xx est devenu un producteur majeur, collaborant avec des artistes mastodontes. Oliver Sim, lui, semblait presque dépendre artistiquement de ses collaborateurs de toujours, lié à eux sans discontinuité. Cette époque est révolue. Le voici qui sort son premier album solo, Hideous Bastard, accompagné d’un court-métrage situé quelque part entre le clip et la thérapie, quelque part entre le monde des badauds et celui des monstres, des freaks, de ceux qui effraient monsieur et madame tout le monde. Réalisé par le Français Yann Gonzalez, cet objet visuel est certes un outil pour mieux comprendre le propos développé dans l’album, mais surtout un temps d’affirmation et de libération.

David Lynch rencontre John Carpenter

« Lors du premier confinement, j’ai eu besoin de joindre des artistes que j’admirais, de discuter avec eux, rembobine Oliver Sim. Yann Gonzalez était l’un des premiers sur la liste. » Pendant un an, les deux hommes échangent, parlent de musique, partagent des films, des aspirations et des inspirations. Et puis, peu à peu, l’idée de travailler ensemble fait son chemin, des démos musicales font des aller-retours par mail. Ils élaborent longuement les grandes lignes d’un court-métrage, devenu Hideous, qui plonge le spectateur dans une introspection en direct, où le chanteur joue son propre personnage, où plutôt plusieurs lui-mêmes. On l’y voit répondre aux questions d’un curieux journaliste, se transformer en monstre, en crooner filmé dans des tons surannés, dans une sorte de triptyque planant et profond dont les titres “Confident Man”, “Fruit“ et “Hideous” forment la bande-son. On y lit l’influence John Carpenter, référence commune à Oliver Sim et Yann Gonzalez. « J’adore John Carpenter, et sans vouloir parler à sa place, je sais que Yann aussi. Halloween est l’un des premiers films d’horreur que j’ai vus. Il m’a plongé dans ce genre. Le personnage de Laurie Strode, joué par Jamie Lee Curtis, était, d’une certaine manière, le genre de personne que je voulais devenir étant enfant. C’était un peu une héroïne, elle était belle, douce, féminine, mais aussi en colère, forte… Pour le gamin gay que j’étais, cette combinaison était folle. »

Si la photographie du court-métrage semble vieillie, rétro, elle se décline également en noir et blanc, rappelant parfois le film Elephant Man de David Lynch, sorti en salles en 1980. Encore une histoire de monstres, de ceux que l’on a envie d’aimer et d’accepter. « La notion de ‘freak’ est très importante pour moi, continue Oliver Sim. Ils sont chassés de la société, chassés des villages parce qu’ils sont différents ou paraissent hideux, ce qui peut mettre une part d’eux en colère. Enfant, je ne me suis jamais reconnu dans les princesses Disney, dans les super-héros. Ils me paraissaient tellement ennuyeux… Dans le cinéma actuel, on observe une tendance à raconter l’histoire originelle des méchants, comme celle du Joker par exemple. Ils ne font pas cela pour les princesses Disney. Qui a envie de savoir comment tu es devenue si belle, si charmante, si parfaite ? Boring ! Je préfère comprendre comment tu as vrillée. C’est bien plus passionnant. » Et inspirant.

« C’était la bonne chose à faire »

Si Oliver Sim aime tant les mal-aimés, c’est qu’il porte en lui une honte bien ancrée, pierre angulaire de son œuvre actuelle, sujet principal de ses textes et du court-métrage. Dans le titre “Hideous”, que l’on entend donc dans le film, il scande cette phrase : « Been living with HIV since seventeen / Am I hideous ? » (« Je vis avec le VIH depuis mes 17 ans / Suis-je hideux ? »). Un aveu fort, fait avec des mots terriblement simples et limpides. « J’ai passé beaucoup de temps à essayer de trouver la façon la plus poétique de parler du VIH. Mais ça n’allait jamais. Il en résultait toujours un sentiment de honte. Comme si c’était quelque chose que j’avais besoin de cacher. Le dire le plus clairement possible était plus impactant. Aussi dur que ça a pu l’être, c’est ce qui m’a aidé. C’était la bonne chose à faire. » Au cours de la discussion, il mentionne les noms d’Andy Bell, John Grant ou Billy Porter, tous chanteurs ayant mis à nu leur séropositivité respectivement en 2004, 2012 et 2021.

Dans le court-métrage Hideous, Oliver Sim et Yann Gonzalez apparaissent également sous les traits d’un enfant aux yeux écarquillés devant son téléviseur, fasciné de voir cet artiste se livrer, se dévoiler, sans savoir s’il joue un rôle ou s’il montre réellement sa vulnérabilité. « Cet enfant voit et entend des choses qui auraient sûrement stimulé nos imaginations. » Se voit-il comme un modèle, comme un exemple pour de plus jeunes générations ? « Cette idée me fait peur, avoue-t-il. Tout ce que j’ai à offrir sont mes propres pensées, mes propres sentiments. En parlant tout haut, je me parle à moi-même, plus qu’aux gens. Je ne leur dis pas ce qu’ils doivent faire. » Mais lorsqu’on ajoute que les modèles peuvent permettre à certaines personnes de se défaire de leur sentiment de honte, ce rôle semble lui plaire, sous conditions. « Je porte moi-même une forme de honte. Quand j’extériorise mes peurs, mes sentiments, ils semblent moins lourds, moins puissants. Je reviens de très loin sur ce sujet et je ne suis pas un produit fini. Mais la honte n’est pas toujours aussi mauvaise que je ne le pensais auparavant. Elle peut nous préserver, elle peut aussi être sexy, attirante. J’ai toujours honte, j’ai toujours peur, mais tout va bien. »

Le court-métrage d’Oliver Sim Hideous, réalisé par Yann Gonzalez, est dores et déjà disponible sur la plateforme MUBI avec 30 jours d’essai gratuits.

0 Partages

Newsletter

Les actus à ne pas manquer toutes les semaines dans votre boîte mail

article suivant