Comment a démarré ton parcours musical ?
Ma mère m’a inscrite au conservatoire quand j’avais 10 ans, donc j’ai passé une bonne partie de ma vie à apprendre à jouer de la musique dans un cadre scolaire. À l’époque, je ne pensais pas forcément à ce que ça représentait : je faisais des trucs, on me disait que c’était bien, donc je continuais. J’ai commencé par le piano, puis je me suis mise au violoncelle. Ce sont les deux instruments qui ont vraiment compté dans mon parcours.
À quel moment as-tu eu le déclic, l’envie de partager tes compositions ?
Il n’y a pas vraiment eu de déclic. Quand tu fais des choses, tu as envie de les montrer. Au début, je jouais au sein de groupes et à cette époque, je ne composais pas au piano et n’avais pas écrit de chanson. Il y a eu une vraie scission entre ce moment et celui où j’ai eu mon ordinateur. J’ai commencé à composer seule, dans ma chambre et j’ai eu envie de poster mes morceaux.
J’avais 19 ans quand j’ai acquis mon premier ordinateur et j’ai appris à m’en servir seule. J’ai commencé sur Garage Band puis, dix mois plus tard, j’ai installé Logic. Une version de merde que j’ai toujours – et ça commence à être dur d’ailleurs. Mon ordi se fait vieux, le processeur chauffe à mort, il bugge pas mal ces dernières semaines. Et je vois les artistes que je rencontre bosser sur d’autres logiciels donc je commence à ouvrir les yeux sur les inconvénients de Logic.
Tu as commencé ta carrière en publiant sur YouTube des vidéos enregistrées dans ta chambre. C’était quoi l’idée à ce moment ?
Je ne saurais pas expliquer… C’était une période, je l’ai fait parce que j’avais envie de le faire, c’est tout. C’était un processus qui me correspondait pour m’exprimer, ça me faisait kiffer.
Tu multiplies les rencontres et tu suscites l’intérêt. Ca roule plutôt vite pour toi…
Par rapport à tout ce qui se fait, j’ai l’impression que c’est le rythme normal. Du moins pour les gens qui font de la musique qui passe par les mêmes médias que moi, qui font du son chez eux. En tout cas, je pense que si ça a pu aller vite, je ne suis pas une exception : ça fait partie de notre époque, tout va toujours très vite.
J’ai vu ta vingtaine de playlists sur YouTube. Indie, hip-hop, pop, R&B… De quelle manière ces différentes scènes t’inspirent-elles ?
Déjà, je n’écoute plus d’indie aujourd’hui. J’ai eu ma phase en 2011 quand la scène bougeait bien mais j’ai toujours écouté plein de styles différents. En fait, il y a plein de sons que je kiffe pour plein de raisons différentes. Ils ne me procurent pas les mêmes sensations.
En parlant de sensations, lesquelles aimes-tu développer dans ta musique ?
Quand je crée, la sensation dans laquelle je me situe est assez nostalgique. Ca tourne autour de ces sentiments-là. J’écoute aussi beaucoup de club music. C’est un truc qui, est très important dans mon panel d’émotions ; et pourtant, quand je compose, je n’ai pas l’impression que ce soit la première chose que j’aie envie de retranscrire.
Ce sont des choix qui se font, on ne sait jamais trop pourquoi. Avec le peu de recul que j’ai sur mon travail, j’aurai tendance à dire que je suis harmoniquement et mélodieusement orientée très pop. Pas forcément dans les sons utilisés, dans les techniques ou les samples, mais plutôt dans la mélodie. En termes de solfège, les suites d’accords que je sors, tu peux les retrouver dans des milliers de chansons. Elles caractérisent souvent les morceaux pop. En tout cas, si je devais parler de ce que je fais, je dirais que l’influence de la pop est celle qui prend le plus de place.
Tu es une artiste résolument indépendante mais influencée par la pop. Et le conflit indé / mainstream alors, t’en fais quoi ?
C’est un truc qui n’existe pas pour moi. Les choses existent parce qu’il y a des gens pour les écouter ; et on n’écoute pas tous la musique pour les mêmes raisons. Il y a des gens qui cherchent quelque chose à écouter quand ils font la cuisine, d’autres qui ont envie de pleureur – enfin, je sais pas…
Ca ne sert à rien d’essayer de créer des jugements de valeur entre les choses ou de s’insurger que tel artiste n’écrive pas ses propres trucs. On s’en tape ! Ce qui est important, c’est ce que tu ressens quand tu écoutes du son. Ce qui compte, c’est pourquoi tu écoutes tel ou tel artiste.
Il y a certaines figures de la culture mainstream qui t’inspirent au quotidien ?
Oui bien sûr, cette année j’ai écouté comme tout le monde les albums de Rihanna, Drake et Beyoncé mais mon préféré reste peut-être celui de Justin Bieber.
Justin Bieber qui faisait l’objet d’une des émissions de radio que tu diffuses mensuellement depuis les studios de PIIAF. Comment a commencé T.G.A.F (These Giyals Are on Fiyah) ?
C’était il y a moins d’un an. J’étais invitée dans les studios de PIIAF pour faire un mix ou parler, je sais plus trop. Et j’ai ramené mes copines avec moi. J’avais pas compris : ils m’ont demandé de ramener des potes dans le public mais j’ai cru qu’on devait faire une émission. Au final, les filles sont venues, on l’a fait et l’équipe a kiffé.
Ce sont toutes mes copines. Carin Kelly, on était au collège ensemble ; DJ Ouai, Malibu et Miley Serious, je les ai rencontrées il y a peu de temps mais l’alchimie a tout de suite fonctionné. On est toutes contentes de faire ça parce qu’on partage la même passion pour la musique. Et outre l’émission, je pense que c’était aussi un moyen de nous rapprocher les unes des autres.
On n’a jamais eu l’intention de créer quoi que ce soit mais l’opportunité s’est présentée, on a trouvé un nom et puis voilà. Pour l’instant, on garde l’émission, quand on nous invite à jouer on y va mais on ne compte pas encore en faire un label.
Internet wave, R&B, électro futuriste… On a tous du mal à définir ta musique. Et toi, tu peux nous aider ?
C’est difficile en tant qu’artiste de te placer sur telle ou telle scène. Je situerais plutôt mon esthétique par rapport à des noms de crews qui me ressemblent plutôt qu’à un style.
S’il y a quelque chose d’hyper important pour moi, c’est de rester maître de mon projet et de me sentir libre dans ce que je fais. Et ce n’est pas simple. C’est un problème presque psychologique je pense. Penser à trop de choses quand je fais du son, ne pas me laisser assez aller, c’est un de mes défauts à travailler. J’ai conscience de trop de choses quand je crée, c’est difficile d’être curieux et créatif à la fois. Je me mets peut-être trop la pression… Quoi qu’il en soit, s’il y a quelque chose d’important quand tu fais de l’art, c’est que la manière dont tu le fais soit la plus sincère possible.
Ta voix est aussi importante que complémentaire dans tes productions. Un peu comme un instrument ?
Le texte est secondaire dans ce que je fais car les sons me parlent plus que les mots. Quand j’écris des trucs, je vais vers des émotions simples : ce n’est pas mon but de m’épancher. Certains se disent peut-être qu’il ne faut pas chanter de paroles dans ce cas mais le truc, c’est que j’ai envie de chanter : j’adore faire des mélodies vocales, alors je dois trouver des paroles. Quand j’écris, ce sont des trucs que je pense, ça vient de moi et ce n’est pas parce que je ne me prends pas la tête dessus pendant 48 heures que c’est de la merde.
Ma priorité, c’est la musicalité. Je traite la voix un peu comme un synthétiseur sur lequel j’ajouterais du delay et de la reverb mais il y a un traitement différent du fait que ce soit une ligne vocale. Après, ça dépend vraiment des trucs que je fais. Tu vas avoir des morceaux ambient avec un vocal atmosphérique, d’autres avec couplet et refrain où la voix prend plus de place.
Ca fait quoi de passer de sa chambre à Boiler Room Paris et aux scènes de festivals ?
J’avais déjà fait de la scène avant Oklou donc mon projet n’a pas évolué avec mon expérience scénique. De ce fait, je n’ai pas beaucoup réfléchi à cette transition. Mais avant, je me produisais avec des groupes. Aujourd’hui, les gens viennent me voir et me découvrent parmi d’autres artistes.
Les femmes n’ont jamais été aussi présentes qu’aujourd’hui dans la scène électronique mais quelques progrès restent à faire. Quel est ton avis sur le débat autour de la place des femmes dans la musique électronique ?
La difficulté à être une femme dans ce milieu, pour être honnête, je ne l’ai pas vécue. Ou si, peut-être, mais dans le sens inverse. J’ai eu l’impression d’avoir plus d’opportunités que certains mecs. D’ailleurs, ce n’est pas forcément positif quand tu es un humain qui crée des choses parce que ça peut te faire douter. Après, j’ai volontairement choisi de ne pas m’inscrire dans les entreprises du son ou les labels. Je reste indépendante donc mon entourage professionnel n’est composé que d’amis, des gens de confiance avec qui je partage les mêmes idées. Et la misogynie, dans ma vie, ça n’existe pas.
J’ai tourné dans des festivals, il y avait des mecs, des nanas et ça se passait très bien. Mais c’est vrai qu’il y a plus de mecs que de filles, du côté des artistes et surtout de l’industrie. Mais en vrai, la majorité des gens de ma génération et de celles qui sont à venir n’en ont rien à foutre. Ce qui reste encore aujourd’hui de la misogynie, ce sont des vestiges d’une culture qui a fait son temps. Je suis optimiste à fond : d’année en année, les générations évoluent dans le bon sens sauf quelques illuminés qui restent à côté de la plaque.
Oklou finira par nous révéler qu’elle prépare un ensemble de titres pour la rentrée. Si elle ne sait “pas trop quelle forme cela prendra”, elle affirme que “ça arrive” ! On ne pourrait être plus impatients, au regard de sa récente participation à la première compilation du nouveau-né label Paradoxe Club.