Odezenne n’est pas un groupe comme les autres. Pour définir son style, le trio prend toujours un malin plaisir à répondre « on fait du Odezenne ». Une réponse pré-mâchée, mais pas si vide de sens au vu du parcours des musiciens : depuis 2008, et la sortie d’un premier album Sans. Chantilly, ils surprennent en détournant les codes du rap. Un processus que Jaco, l’un des deux chanteurs du groupe, décrit comme instinctif, plus que volontaire : « Odezenne, c’est des tentatives. On est arrivé avec notre premier album par la porte du rap, mais c’était déjà un truc assez jazzy et poétique à l’époque. Depuis, on travaille la matière brute, humaine, créative, de ce qu’il y a entre nous. » Dix ans plus tard, les Bordelais continuent de produire une musique subversive, toute en paradoxes, qui semble faire souffler un vent nouveau sur un style qui n’est pas le leur. Avec OVNI, en 2012, à grands coups de sampling et scratching — pas une révolution dans le style, mais d’une inventivité déjà reconnaissable, avec des textes en anadiplose sur Saxophone —, puis avec Rien et Dolziger Str.2, parus respectivement en 2014 et 2015. Deux disques de caractère, où les punchlines mélancoliques fusent, balancées par des voix monotones, parfois presque blasées, sur des instrumentales synthétiques faisant la part belle aux solos de guitare langoureux.
Des solos composés par Mattia, talentueux instrumentaliste de la formation, qui justifie l’éclectisme du groupe : « y’a plein d’albums qui sortent aujourd’hui que j’écoute et où je me dis “c’est cool, mais vous savez faire que ça ? Vous n’écoutez que ça ? Y’a que ça qui vous parle ?” Moi j’aime bien quand y’a des morceaux calmes et plus énervés sur le même disque, parce que c’est ça la vie : des fois t’es énervé, des fois t’es stressé… »
De quoi légitimer l’hétérogénéité des compositions d’Au Baccara, où s’alternent ballades électroniques — avec Nucléaire — et morceaux techno — Bébé —, que Jaco défend également : « je pense que le disque tient à ça : c’est une photographie du moment où on l’a fait. Tous les jours tu te lèves, t’es pas de la même humeur, tes humeurs sont inégales. C’est pareil là, on suit une branche qui pousse, sans savoir où elle va. »
Si les instrumentales sont inattendues, les textes eux, sont plus fidèles au style d’Odezenne. Pourtant, nouveauté, les rappeurs les ont écrits à quatre mains : « Mattia composait au sous-sol pendant qu’on était sur un Google doc avec Alix, explique Jaco. C’est quand même beau, d’être nu du cerveau comme ça. Mais c’est dur. » Peut-être plus mélodiques qu’à l’accoutumée, certaines paroles viennent de nouvelles voix : pour la première fois, le trio bordelais a fait appel à d’autres pour chanter. Parmi ces feat, les vocalises électroniques de Moussa — qui assurera nombre de premières parties du groupe pour la tournée — sur James Blunt, mais surtout le monologue de Nabounou sur BNP.
« Nabounou c’est une sans-papiers de 16 ans, arrivée on-ne-sait-pas-comment de Côte d’Ivoire, raconte Jaco. Ma meuf l’a rencontrée dans un atelier qu’elle organise, et on l’a mise dans l’album déjà parce qu’elle a une voix et une musicalité incroyable, mais aussi parce que ça donne un ton plus international à la chanson, pas que “CGTiste”… » Une surprise pleine de sens pour un album composé selon le précepte du baccara qu’adopte le trio.
« Le roi des jeux c’est les échecs, le jeu des rois c’est le baccara, présente Jaco. C’est un jeu de cartes qui se passe dans des salons privés et où des destins changent à chaque tour car ce sont des grosses sommes qui sont mises en jeu. » Plus qu’un passe-temps, Mattia explique que, pour le groupe, le principe du jeu — où, d’ailleurs, les têtes, appelées « bûches », ne valent rien, de quoi rappeler leur chanson Novembre — est un état d’esprit : « C’est une sorte de mektoub, on appelle ça le mektoub de Gironde entre nous. Quand y’a un choix à faire, c’est comme ça qu’on choisit : au baccara, on verra. » Pas étonnant, dès lors, que le morceau Au Baccara donne son nom à l’album, quand même son clip résume tout à fait le processus créatif du groupe : des soirées pour créer, ou, comme résume Jaco, « faire sérieusement sans se prendre au sérieux. »