Vous sortez votre 5e album. Comment vous vous sentez ?
Odezenne, en cœur – On est super heureux de pouvoir vivre de ça, c’est énorme. On n’est pas stressés, c’est notre 5e bébé. On est hyper fiers de ce disque, on se sent très forts. Certains morceaux existaient avant, et c’est cool de les avoir enfin incorporés dans un album. Ça permet de les digérer pour de bon. Comme “Matin” par exemple, qui a enfin sa place officielle dans notre discographie.
La notion de voyage a l’air de vous accompagner régulièrement. Le voyage avec une femme, une fois qu’on décolle après avoir fumé un joint, ou en mer… Quel est votre rapport au voyage de manière générale ?
Jacques – Pendant un moment, on a eu besoin de partir pour composer. Mais les deux derniers albums, on les a faits à la maison. Et quand tu es chez toi, tu as besoin de déconnecter, comme si tu partais en voyage, parce que lorsque tu composes, tu penses plus à rien, tu t’occupes de personnes, tu fais ta musique.
Mattia – Même dans nos morceaux, il y a cette idée de voyage. Quand je compose, j’ai tendance à m’emporter dans des mouvances, avec cette réelle impression de départ et d’arrivée… Peut-être parce que je ne pars jamais en voyage (rires). La dernière fois que je suis parti, je crois que c’était il y a quatre ans pour un week-end à Amsterdam avec ma meuf…
Certains de nos morceaux marchent mieux maintenant qu’avant.
Odezenne
Alix – Je partage complètement ce que dit Mattia. Quand tu voyages, tu mets du son. Tu roules en bagnole la nuit, paf tu mets un skeud. Lors de la dernière tournée, on avait fini au Texas. Les autres sont rentrés, moi j’ai proposé à ma meuf de me rejoindre. On a loué un van, on a fait des barbeucs… C’était génial. Sur la route, on a beaucoup écouté Odessey and Oracle, des Zombies. C’est un album qui a une histoire de ouf : quand ils ont commencé à faire de la musique, ça marchait pas. Du coup un jour, ils se séparent. Cinq ans plus tard, un producteur tombe sur un de leur son, le diffuse, le truc cartonne. Depuis, les mecs ont 70 piges et ils tournent encore avec ce disque. Ils ont même été au Primavera il y a deux ans ! Ça donne confiance, ce genre d’histoire. Parfois, des morceaux qui ne marchent pas un temps peuvent être repêchés plus tard, on sait pas…
Jacques – C’est sûr que si quelque chose comme ça arrivait à Odezenne, ce serait cool. Quand j’avais 15-16 ans, je me disais : « putain, si j’arrive à sortir un disque, ce sera un accomplissement ». C’est déjà tellement exceptionnel, ce qu’on vit !
Alix – En réalité, ça se passe un peu comme ça déjà, pour nous. Ce matin, j’étais sur YouTube et j’ai remarqué que la plupart de nos morceaux marchent mieux aujourd’hui. Comme “Souffle le vent” par exemple. Il est écouté quatre fois plus qu’en 2015 !
Le premier morceau, “Bleu Fushia”, est carrément cold wave. Comment vous en êtes venus à associer cold wave et Rungis ?
Mattia – J’avais envie de faire un track rapide pour accompagner ce morceau qui trace. J’ai toujours adoré la disco des Cure, Joy Divison, etc. Donc je m’y suis essayé et ça a marché ! Pourtant, il est passé par quatre ou cinq versions avant d’arriver là. L’important, c’était que ça nous plaise à tous les trois. De toute façon, tant que ça ne plaît pas à tout le monde, ça ne sort pas. C’est un vrai challenge de réussir à choper la bonne émotion entre la musique et le texte. Il suffit que tu changes de vitesse pour que le morceau entier change de sens.
Jacques – En fait on n’avait pas envie de faire une instrumentalisation too much. Déjà que le texte est fort, si en plus on rajoute de la mélancolie dans la mélodie, c’est trop. Donc le rythme froid de la cold wave allait très bien.
Jacques, dans “Bleu Fuchsia”, tu racontes ta période passée à travailler au marché de Rungis. Tu rappelles être « Fier de ma race ferroviaire ». Quel regard vous portez sur cette classe prolétaire qui se met à ouvrir sa gueule en ce moment ?
Mattia – Quand tu écoutes “Existe” dans Sans Chantilly, “Novembre” dans Rien, “Satana” dans Dolziger, il y a une forme de conscience de ce rapport dominants/dominés. Il y a des gens qui bossent pour les autres, parce qu’ils n’ont pas le choix. Je ne suis pas sûr que l’on ait vraiment donné l’opportunité aux gens qui sont obligés de travailler pour les autres de faire autre chose.
Pouchkine n’est pas un appel à la révolte.
Odezenne
Alix – Il faudrait être aveugle et insensible pour ne pas voir les injustices. Parfois j’ai l’impression qu’on est retourné à la monarchie. Il y a de moins en moins de monde qui se partage de plus en plus de richesses. Et de plus en plus de monde qui se partage un cookie. Je me dis que toutes les revendications qu’on voit exploser dans le monde sont les prémices d’une révolution. Quand je vois que Bernard Arnaud vient encore d’augmenter sa richesse de 30 %, j’hallucine. Ça se chiffre à des sommes inimaginables. C’est comme si tu me parlais de la grandeur de l’univers. Je ne peux même pas l’appréhender.
Jacques – Et à côté de ça, il y a des gens qui ont besoin de 5 euros en plus par mois pour vivre, alors qu’ils se cassent le dos à charger des camions. C’est hardcore. Je pense qu’on se doit d’avoir une lucidité sur la question. Après, je tiens à préciser que Pouchkine n’est pas un appel à la révolte. On veut laisser aux gens la possibilité de fonder leur propre avis. On ne cherche pas à donner des leçons.