Par Laurent Catala
Que les amateurs de singularité stylistique se rassurent, l’obsolescence créative de Kirikoo Des, alias NSDOS, est encore loin d’être programmée. DJ, producteur, mais aussi danseur, mannequin, performeur, inventeur d’instruments, concepteur de dispositifs, Kirikoo Des est un créateur au sens prospectif du terme, parti de ses expériences chorégraphiques, de la rigueur du butô, des déviances du hacking, pour atteindre des sphères transdisciplinaires étonnantes, où organique et technologique, survivalisme et networking communiquent dans un rapport sans cesse réinventé entre l’homme, le vivant et la machine. Kirikoo Des est donc le genre d’artiste qu’il fait bon rencontrer car son ouverture, sa curiosité mais aussi son sens de la discipline et de l’expérimentation créent forcément des connivences avec ceux qui partagent le même état d’esprit. Après tout, à la base, la techno n’est-elle pas aussi l’expression d’une culture empirique du libre ?
L’apprentissage techno avec ClekClekBoom
Algorithmique, informatique, mathématique, le lexique musical de Kirikoo rejoint celui d’un système d’exploitation artistique, d’où le nom du projet NSDOS, monté avec son vieux complice Walter Mecca, avec qui il participe à l’aventure entre potes du label/plateforme artistique Weirdata et impulse un style entre Game Boy music et danse technologique performée dans la lignée Dumb Type.
« La culture dance et techno a été totalement détournée par la société de consommation, même sur un plan purement musical. On est parti trop loin dans la reproduction des clichés. »
Puis vient la rencontre avec Valentino Canzani (French Fries), boss du label Cleckcleckboom, qui propose au duo d’enregistrer un premier EP (Lazer Connect), suivi d’un deuxième (Female Guest List) avec le seul Kirikoo Des aux commandes. « C’est là que j’ai commencé mon apprentissage du milieu techno, reconnaît-il. J’ai entamé une nouvelle vie de musicien. Je suis allé dans le sens que le label voulait. Je n’ai pas vraiment de culture techno. Je ne connais pas les codes en vigueur. Je fantasme plus sur un mec comme Alva Noto, qui passe d’un live A/V au Exit Festival à un set club au Berghain. »
À travers la résidence du label à Fabric, la Boiler Room, Kirikoo/NSDOS découvre les dancefloors depuis le booth des DJ. Mais il n’en oublie pas pour autant ses performances connectées. Et comme souvent chez ce solitaire qui aime être entouré, c’est une rencontre, celle de son manager et ami Maxime Grenier de Mr Maqs Productions (ancien comparse d’Ed Banger et de Justice), qui va l’aider à aboutir à l’un de ses projets live les plus ambitieux : Clubbing Sequence.
À la recherche du dancefloor du futur
« À ce moment-là, je m’occupais de développer la partie label night de ClekClekBoom, relate Maxime Grenier. J’ai amené Kirikoo jouer à Londres, à Amsterdam, en France, en Espagne. Mais j’aimais beaucoup ce qu’il faisait dans le cadre de NSDOS avec Walter, cette approche live un peu folle. J’ai essayé de le pousser davantage vers d’autres types d’expérience plus élaborées et notamment vers cette idée qu’il avait de public augmenté. » Clubbing Sequence, présenté à la Gaîté lyrique en mai 2015, est un projet où le public devient directement émetteur de datas et déclenche boucles musicales et visuels génératifs par un système de vidéo tracking en temps réel. Il procède directement de la vision qu’a Kirikoo du rapport à la danse dans le milieu techno club. « J’ai pas mal observé le public dans les clubs où j’ai joué et je me suis souvent demandé où était la place de la danse là-dedans, raconte-t-il. Il y a toujours quelque chose qui vient altérer le comportement du danseur, qui l’empêche d’être totalement libre : la queue au bar, l’accès aux toilettes. C’est comme autant de filtres qui viennent gêner le danseur. Avec Clubbing Sequence, on voulait débarrasser le danseur de ce genre de problème. On voit bien que le côté rituel de la danse a disparu. Je n’ai pas connu les premières raves, mais il est facile de constater comment la culture dance et techno a été totalement détournée par la société de consommation, même sur un plan purement musical. On est parti trop loin dans la reproduction des clichés, dans ce côté duplicata, industrialisation de masse. Quand tu vas au Berghain, tu n’entends que du 4/4 en permanence. J’ai toujours plus kiffé le côté libre, défricheur, un peu dans la ligne des TAZ (zones autonomes temporaires, ndlr) d’Hakim Bey. »
La suite à lire dans le Trax #197.
S’abonner – Où trouver son magazine ?