“N’oublions jamais que la musique électronique est née en Europe avec des artistes comme Pierre Henry”

Écrit par Lucien Rieul
Photo de couverture : ©D.R.
Le 06.07.2017, à 13h21
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Écrit par Lucien Rieul
Photo de couverture : ©D.R.
Pierre Henry, l’un des pères de la musique concrète, est décédé dans la nuit du mercredi 5 juillet, à l’âge de 89 ans. Visionnaire, pop et avant-gardiste, son œuvre demeure l’une des plus influentes du XXe siècle, ouvrant la voie à des générations de producteurs, notamment électroniques.

Né en 1927, Pierre Henry semble voué dès sa jeune enfance à s’accomplir dans la musique ; élève du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris à 10 ans, il est formé comme pianiste et percussionniste d’orchestre. Si ses premières compositions datent des années 40, c’est à l’aune de la prochaine décennie que sa carrière prend un tournant décisif. Embauché aux studios de la radiodiffusion publique (RTF), il y rencontre Pierre Schaeffer, avec qui il composera la Symphonie pour un homme seul (1950), œuvre séminale de la musique concrète – et pionnière de la musique électronique. Créée sur quatre platines, diffusée via des haut-parleurs (une rupture pour l’époque), la symphonie pose les bases d’une utilisation de la « musique enregistrée » comme matériau, qui se prolonge tant dans les tubes des Beatles, période Revolver, que dans le travail de Jean-Michel Jarre. « N’oublions jamais que la musique électronique est née en Europe continentale, principalement en Allemagne avec Stockhausen et en France avec Pierre Schaeffer et Pierre Henry », écrivait ce dernier dans son édito du Trax #186.

Pierre Schaeffer & Pierre Henry – Symphonie pour un homme seul

Directeur des travaux du groupe de recherche de musique concrète (GRMC, le futur GRM) de 1950 à 1958, Henry fonde par la suite son propre studio de musiques expérimentales à Paris. Rodé au classique et passionné de technologie, c’est en couteau suisse qu’il collaborera tantôt avec des chorégraphes (Béjart, Balanchine, Cunningham, Marin), tantôt avec des plasticiens tels que Yves Klein. Tout comme d’autres pionniers de la musique électronique, Suzanne Ciani par exemple, Pierre Henry composera aussi des bandes-son de publicités, ainsi que des musiques de film, dont une interprétation du culte L’Homme à la Caméra de Dziga Vertov.

Pierre Henry – Psyché rock

Dès la fin des années 60, la musique de Pierre Henry se fait plus populaire, et des thèmes comme Teen Tonic ou Psyché Rock (1967) mêlent avec jubilation synthétiseurs, bruitages enregistrés hérités de la musique concrète et rengaines rock. Une période qui signe sa découverte par le grand public – et si les cloches de son “tube” Psyché Rock sonnent encore familières, c’est qu’outre les fameux remix qu’en a fait Fatboy Slim en 1997, le compositeur Christopher Tyng s’en aussi est lourdement inspiré 20 ans plus tard pour le générique de la série Futurama. Dans cet intervalle, Henry aura composé plus de 70 nouvelles œuvres. Fidèle à l’utilisation de supports enregistrés, il explorera dans ses travaux plus récents la spatialisation – en 2015, un (jeune) public passioné de musiques électronique découvrait ainsi au festival Marathon (où se produisaient aussi James Holden et Arnaud Rebotini) une scène occupée par des dizaines et des dizaines de haut-parleurs, de toutes tailles et formes. Au milieu du public, l’octogénaire barbu s’affairait derrière la console de mixage, et la salle entière devenait une bulle sonore où les enceintes dialoguent entre-elles comme les instruments d’un orchestre. « Pierre Henry travaille en multipliant ses points sources, ses haut-parleurs, et en faisant un grand blast, un grand mur, pour donner de la puissance. Quelque chose de frontal », spécifiait François Bonnet, actuel directeur artistique du GRM, dans Trax #186.

La présence de Pierre Henry à ce festival qui fait dialoguer dance music contemporaine et pionniers historiques allait de soi ; nombreux sont les producteurs électroniques à revendiquer son influence. « J’ai passé du temps dans les bureaux du GRM à regarder les machines utilisées par Pierre Henry et Pierre Schaeffer », nous confiait Amon Tobin (Trax #181), tandis que Quentin Dupieux (Mr Oizo) utilisait les boucles du compositeur pour mettre en musique ses premiers courts-métrages. En 1997, pour les soixante-dix ans d’Henry, sortait l’album Métamorphose – Messe Pour Le Temps Présent, une compilation de remix où se côtoyaient Fatboy Slim, Coldcut, Chateau Flight, Dimitri From Paris, St Germain…

Pierre Henry & Michel Colombier – Jericho Jerk (St Germain Remix)

Jamais reclus – il donnait encore en 2014 une série de concerts dans sa propre maison –, Pierre Henry n’a eu de cesse de composer une musique tournée vers le futur, parfois mystique. « J’aime chercher ce qui pourrait conduire à l’extase, à la pureté ou à la transe », déclarait-il en 2014. Et si les rythmes binaires de la techno n’avaient que peu de charme à ses yeux, le maestro aura indubitablement ouvert la marche pour des générations d’artistes électroniques. Afin de plonger plus en profondeur dans l’œuvre visionnaire d’Henry, le documentaire The Art of Sounds (2007) qui lui est consacré est disponible en intégralité sur YouTube. Radio France rendra hommage au compositeur les 8, 9 et 10 décembre prochains, en présentant trois œuvres inédites créées en collaboration avec son propre studio Son/Ré, le GRM et la Compagnie Inouïe de Thierry Balasse.

The Art of Sounds

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