Angel Karel, DJ résidente de The Future is Female, et Marine nous expliquent l’histoire de leur collectif et défendent leur concept des soirées No Gender. Elles ont apporté à Lyon ce qu’elles avaient vécu et expérimenté en Allemagne – à Berlin et à Munich – et souhaitent proposer un « espace de liberté totale » à un public d’habitués.ées de la scène LGBTQ+, mais aussi à un public nouveau et curieux de participer à ces soirées. Dans les soirées No Gender, les genres ne comptent plus et n’existent plus – d’où le nom –, et seule la techno « bouillonnante et hypnotique » permet à tous.tes de se libérer des mœurs.
Présentez-nous ce qu’est le collectif The Future is Female et ce que vous défendez.
Marine : On est un collectif féministe de Lyon, qui organise des soirées techno, où la liberté est totale et l’élément central de notre démarche. Les gens qui sont venus à nos premières soirées intitulées The Future is Female puis à nos soirées No Gender doivent se sentir libres, sans la pression d’une identité sexuelle et de codes genrés.
Concernant l’équipe de The Future is Female, on travaille surtout en binôme – Angel et moi – mais on a aussi des bénévoles avec nous. On est aujourd’hui une bonne équipe de 5 personnes actives, et on a l’ambition de grandir et d’intégrer encore davantage de bénévoles. Personnellement, ça n’est pas mon métier à la base. Au début, je m’occupais surtout de la partie communication pour Angel, mais maintenant, mon engagement dans le collectif correspond à une réelle activité militante, qui me tient beaucoup à cœur.
Angel : Moi c’est mon métier, je suis DJ depuis une dizaine d’années. Depuis 4 ans, j’ai choisi de m’orienter exclusivement vers de la techno. Avant, je jouais plus de la house, notamment sur le label Krome Records, sur lequel j’ai sorti 3 EP’s. Aujourd’hui, j’ai évolué et je m’exprime beaucoup plus à travers des sons plus dark et techno et c’est un choix qui s’inscrit complètement dans le concept de The Future is Female.
En quoi le choix de jouer de la techno, en tant que DJ femme, a une dimension politique et militante ?
A : Selon moi, la techno n’a pas de genre. C’est un style musical brut et puissant, libérateur, qui correspond à notre concept No Gender. Après avoir vécu à Berlin pendant une période de 6 mois – au cours de laquelle j’ai pu profiter de tout ce qu’apporte cette ville, comme le Berghain –, j’ai eu le déclic : « D’accord, c’est possible de jouer cette musique et de faire de la bonne techno. » Aujourd’hui, je considère que j’ai atteint ma vraie façon de communiquer avec cette musique.
M : Notre orientation artistique est représentée par Angel, par sa techno. Elle joue dans tous nos événements et fait partie de tous nos line-up, car c’est elle qui représente l’identité du collectif à l’extérieur. Être une femme et jouer de la techno, c’est clairement féministe, car c’est encore trop rare. Avec The Future is Female, on fait le choix d’inviter des femmes DJ, comme Stéphanie Sykes ou Milena du collectif lyonnais JACOB, qui savent estampiller l’identité techno et créent des ambiances à la fois bouillonnantes et hypnotiques.
Vos lines-up sont 100% féminins.
M : Exactement. De ce côté-là, on reste assez activistes. Même si on fait des soirées No Gender, on préfère garder un line-up féminin. Ça peut paraître un peu sectaire d’affirmer « Non, on ne fera pas jouer des mecs », mais si on veut rester cohérentes par rapport à ce qu’on propose, on est obligé de dire non. Après, si un jour on a une coproduction avec un autre collectif lyonnais ou parisien qui partage les mêmes valeurs que nous, et qu’ielles ont un artiste masculin, on ne dira pas non, mais peut-être.
A : On a décidé d’appeler le collectif « The Future is Female » parce qu’on veut principalement soutenir des artistes féminines pour qu’elles se développent. On pense justement au futur – on veut faire changer les choses !
Quelles sont vos influences ?
A : Pour ne citer qu’elle, je suis personnellement beaucoup influencée par Paula Temple, qui est très militante dans sa démarche artistique, notamment avec son label Noise Manifesto. Concernant les autres collectifs, je considère particulièrement female pressure, qui est un réseau mondialement connu soutenant les artistes féminines, trans et queer.
Qu’est-ce que signifie une soirée « No Gender » ?
A : Le collectif a commencé en faisant des soirées qui s’appelaient « The Future Is Female », dans un bunker lyonnais qui s’appelle l’Annexe. C’était très militant et l’idée de base était de mettre en avant des artistes femmes sur la scène techno. À Paris, on sait qu’ il y a déjà des choses comme ça, mais il n’y avait pas encore ça à Lyon. Puis lors de nos soirées, on a été observatrice et on a vu que notre public était finalement très « no gender », très troisième sexe, et que les gens n’avaient pas forcément envie de se donner une identité sexuelle particulière. Donc voilà, aujourd’hui on a un public qui ne se retrouve pas forcément dans ce concept The Future Is Female parce qu’on a des mecs, ou des trans, ou des gens qui n’ont pas envie de se définir tout court. Avec les soirées No Gender, on reconnaît la pluralité des genres et on cherche à casser les codes. C’est juste très libre, avec un côté indécent. Il n’y a pas de règles de genre, mais au contraire une réelle mixité sexuelle. Disons que… Ça sent pas mal le poppers, souvent. Cette odeur particulière… Je dis souvent : « Oh, ça pue la fête ici ! »
Comment arrive-t-on, en tant que collectif féministe, à s’installer dans une ville comme Lyon où ce concept n’existait pas encore ?
M : Au début, il faut commencer doucement, par des plus petites choses. On organisait par exemple par des soirées gratuites à l’Annexe. Et justement, on a eu beaucoup de chance pour commencer, car le propriétaire de l’Annexe nous a fait confiance. Ça a marché, et ça nous a permis de grandir et de voir plus grand. On avait besoin de plus d’espace, qu’on pouvait aménager avec plus de possibilités de scénographie, et c’est au Ninkasi Kao que nous faisons ça maintenant. Ça nous a permis d’ouvrir nos portes à davantage de personnes, aussi.
A : On a proposé quelque chose d’unique, en tout cas à Lyon. On a réussi à transformer le Ninkasi Kao, qui est originellement une scène classique où des DJ’s se produisent dans une foule en bas et en haut sur les gradins – une salle de concert lambda donc. Nous, on a voulu changer les règles du jeu, et pour cela, on a beaucoup travaillé sur la mise en scène et la scénographie avec notre stage designer Emile Abadie. Il a un vrai talent ! Pour notre première soirée No Gender, il a réussi à créer de super effets de projection avec des mannequins déstructurés. On a aussi transformé la scène qui accueille habituellement les DJ’s en une énorme « black room ». C’est un élément très important de nos soirées, parce qu’il représente vraiment cet espace où tu fais ce que tu veux, où personne ne vient te voir. La scénographie est donc un point important pour l’atmosphère de nos soirées. Dans cette même idée, on donne aux vigiles la prérogative de ne pas rentrer à l’intérieur et de laisser cet endroit en toute liberté.
M : Dans ce deuxième lieu – au Ninkasi Kao –, on a vraiment eu de la chance pour réaliser ce projet, car le programmateur est très ouvert – il a envie de voir du contenu différent dans son club – et nous on aime bien casser les codes !
Avez-vous imaginé faire vos soirées à Lyon dans un autre lieu ?
M : On se projetait déjà sur une certaine scénographie, et toutes les configurations de club ne permettent pas de faire ça. Ce qui est particulier et agréable au Ninkasi Kao, c’est qu’il y a deux étages, et on a décidé de transformer l’étage supérieur en proposant deux vestiaires. Un premier, classique, où tu peux enlever ton manteau, puis ensuite si t’as envie d’enlever un peu plus que ton manteau, c’est possible dans le deuxième. Ça permet d’être libre et de pouvoir le faire à l’abri des regards.
A : On a voulu proposer cette liberté totale qu’on a connue à Berlin, où les gens sont libres d’être plus nus que dans la vie quotidienne. Là c’est un lieu de fête, alors même si t’es dentiste, avocat, ou que tu bosses dans la restauration, en fait tu peux être toi-même et tu peux être libre. Et si t’as envie de danser à poil, tu peux !
Vous proposez un espace de grande liberté, un peu sur le modèle du Berghain. Vos portes sont-elles aussi dures d’accès ?
M : À vrai dire, on n’est pas – et malheureusement, on ne peut pas – être dans ce schéma-là, car on est régie par les règles de billetterie des clubs avec lesquels on travaille, et notamment par un système de prévente. Donc il n’y a pas sélection à l’entrée. Néanmoins, on voit globalement que notre public est déjà habitué à ce genre de soirées et aux événements LGBTQ+, donc on revoit souvent les mêmes têtes de la communauté. On a un public qui vient particulièrement pour le concept No Gender, pour l’aspect politique et parce qu’ils sont à la recherche d’un endroit de liberté totale. On a des habitués qu’on adore voir tout le temps – comme les mecs qui débarquent avec leurs masques de chien en cuir sur la scène. Eux, ils font réellement parti de l’ambiance.
Puis sinon, on a un public un peu plus curieux, parfois un peu voyeur – et ça, c’est aussi problématique parfois. Les gens sont plutôt curieux d’expérimenter l’expérience de la blackroom, parce que c’est assez inhabituel dans les clubs. Mais tant qu’ielles ne dérangent pas les autres, ce n’est pas grave. À nous de veiller à ça, à ce que chacun.une puisse faire ce qu’ielle lui plaît. Notre rôle, c’est d’offrir un endroit de pure liberté à tout le monde – et notamment aux personnes homosexuelles, car il ne faut pas oublier le fait que l’homophobie existe, encore, vraiment en France.
Vous avez apporté quelque chose de nouveau à Lyon : vous avez un lieu, un concept et un public qui vous suit… C’est quoi les prochaines étapes ?
M : Pour nous, 2017 était l’année de lancement, où on a pu présenter notre projet et se faire une place dans le paysage de la nuit et du militantisme à Lyon. Cette année 2018, ça va être pour nous l’occasion de consolider encore plus le concept, et aussi de préparer 2019 en essayant de voir plus loin. On veut contacter des collectifs ou des clubs d’autres villes, comme à Paris ou même à l’étranger, pour pouvoir exporter notre concept et aussi se rapprocher des personnes qui le défendent ailleurs.
J’ai vécu à Munich par exemple, où il y a un club qui s’appelle Harry Klein et qui fait des soirées intitulées Mary Klein, où ils font jouer seulement des artistes féminines. C’est de ça que j’ai envie ! À ce jour, on se doit de faire la démarche de contacter les clubs qui ont les mêmes idées que nous, car on veut essayer d’internationaliser notre réseau. Déjà aujourd’hui, on fait systématiquement l’effort d’écrire les descriptions de nos événements en anglais, parce que lorsque j’étais expat’, je me suis rendue compte que les descriptions de soirées en allemand, ça n’est pas forcément accessible. Comme on veut rendre ça accessible au plus grand nombre, on prépare déjà le terrain à travers notre communication.
Vous pourrez (re)découvrir la soirée No Gender le vendredi 6 avril prochain, au Ninkasi Kao de Lyon. Pour plus d’informations, rendez-vous sur la page Facebook de l’évènement.